[Spécial 4-Avril] 4/4 Capitaine Mbaye Diagne : L’incroyable histoire du Casque bleu sénégalais, héros du génocide rwandais

Capitaine Mbaye Diagne
Capitaine Mbaye Diagne

Le Sénégal célèbre, ce mardi 4 avril, le 63e anniversaire de son accession à la souveraineté internationale. Occasion pour Seneweb de revisiter l’incroyable histoire du capitaine Mbaye Diagne, officier subalterne sénégalais, qui a réussi à sauver, à lui seul et au péril de sa vie, plusieurs centaines de personnes du génocide rwandais qui a fait près d’un million de morts, en 1994.  

L’homme est aujourd’hui un parfait inconnu dans son pays, le Sénégal, et en Afrique. Et pourtant, quand on rapporte la grandeur de ses actes à la petitesse de ses moyens, quand on contextualise ses faits, on peut dire sans ambages qu’il est l’un des plus grands héros du XXe siècle. Lui, c’est le capitaine Mbaye Diagne, officier de l’armée sénégalaise et observateur militaire de la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda. Il a sauvé, à lui seul, plusieurs centaines de personnes (un millier, selon certaines estimations) du génocide au Rwanda au péril de sa propre vie.

La médaille du courage de l’ONU baptisée Mbaye Diagne
En effet, début 1994, il a assisté au génocide qui va causer près d’un million de morts. Face aux horreurs qu’il voit au quotidien, il décide, de son propre chef, d’aller à l’encontre des directives de l’ONU et de sauver autant de personnes qu’il peut. «Il s’en allait seul, puis revenait avec des dizaines de personnes qu’il avait arrachées à l’orgie sanguinaire des génocidaires», témoignera le général Roméo Dallaire (commandant en chef de la mission de la Minuar). Il organisait ensuite leur évacuation vers le Kenya, puis partait à nouveau en chercher d’autres. Il sauvera ainsi plus de 600 personnes (un millier, selon certaines estimations) avec pour seules armes, ses convictions et la force de son verbe. Il se fera tuer lors d’une de ses «escapades humanitaires». 
Une prouesse et une bravoure qui lui ont valu le titre de «l’Homme le plus courageux ayant servi l’Organisation des Nations Unies». La médaille du Courage de l’ONU porte son nom.
Le 31 mai de la même année, le capitaine Mbaye Diagne rentre seul à l’État-major de la force, lorsqu’un obus de mortier s’abat sur son véhicule militaire. Il est tué sur le coup. C’était à deux jours de son retour au Sénégal où l’attendaient sa femme et leurs deux enfants. La nouvelle parvient vite au fameux «hôtel des Mille collines» de Kigali où se trouvent les locaux de la Minuar ainsi que des rescapés tutsis et des Hutus modérés qui ont échappé aux terribles massacres perpétrés par les génocidaires interahamwe. 
C’est alors la consternation totale. «À l’hôtel des Mille collines, je me souviens des réfugiés qui pleuraient la mort de Mbaye Diagne. Tous le connaissaient. Nous étions alors très tristes», dira plus tard son frère d’armes, le colonel à la retraite Mamadou Adje, lui-même capitaine de la Minuar à l’époque. Et pour cause : l’un des plus grands héros de notre temps venait de tomber au Rwanda, le Pays des mille collines, terre rouge du sang des martyrs de l’un des pires holocaustes de l’histoire de l’humanité.  N’est-ce pas «on peut être héros sans ravager la terre», comme l’écrivait le grand poète français Nicolas Boileau dans ses «Épîtres». Il a été profondément humain dans une période où la bestialité était la norme. Il a préféré la mort au déshonneur. Il a fait preuve d’un courage extraordinaire quand le monde entier se complaisait dans un silence complice et un mutisme assassin. Une rose parmi les orties, voilà ce qu’il était.

De Koki à Kigali
Né à Koki, dans le département de Louga, le 18 mars 1958, Mbaye Diagne, à l’état civil, a fait des études de droit à l’université de Dakar avant de s’inscrire à l’École nationale des sous-officiers d’active (Ensoa) de Thiès d’où il est sorti avec le grade de capitaine de l’armée sénégalaise.
Ayant reçu le commandement de la 3e compagnie du 6e bataillon d’infanterie, il prend une part active dans le conflit casamançais, de 1989 à 1993. Au cours de la même année, il est envoyé au Rwanda, dans le cadre d’une équipe d’observateurs militaires de l’OUA chargée de surveiller la guerre civile opposant les forces gouvernementales de la majorité hutue aux combattants du Front patriotique rwandais (FPR) dominé par les Tutsis.
Par la suite, il sera affecté à la Minuar, une force de maintien de la paix des Nations Unies chargée de superviser la mise en œuvre des accords d’Arusha (août 1993) destinés à mettre un terme à la guerre. Malheureusement, le président de la République du Rwanda, Juvénal Habyarimana, d’ethnie hutue, est tué dans des circonstances troubles. C’est alors le coup d’envoi du terrible génocide des Tutsis par les extrémistes hutus.

Un Rwanda reconnaissant !
C’est dans ce contexte tragique que va se révéler Mbaye Diagne, le «capitaine courage». «Personne n’allait nous secourir. Nous étions littéralement abandonnés par le monde dans une Afrique lugubre. Il était absolument hors de question pour moi de m’en aller et j’aurais sacrifié toutes les vies sous mon commandement, de ceux qui ont décidé de rester avec moi et la mienne, pour être capable de sauver une Rwandaise ! Un Tutsi, qui tiendrait le monde pour responsable de ce génocide !», confiera le capitaine Mbaye Diagne à son ami le journaliste de la BBC Mark Doyle. «C’est l’homme le plus courageux que j’ai rencontré au cours de mon existence», dira ce dernier de l’officier sénégalais.
Notons que les cinq enfants de la Première ministre Agathe Uwilingyimana, une Hutue modérée, assassinée le 7 avril 1994, furent arrachés des griffes des miliciens interahamwe puis évacués vers la Tanzanie par le capitaine Mbaye Diagne. Ce fut sans doute l’un des premiers hauts faits du héros sénégalais qui continua de mener ses opérations de sauvetage, seul, sans arme et en dépit des ordres de la hiérarchie militaire. «Il s’en allait seul, puis il revenait avec des dizaines de personnes qu’il avait arrachées à l’orgie sanguinaire des génocidaires», témoignera le Général Roméo Dallaire, Commandant en chef de la Minuar. 
Pour cet officier supérieur des Casques bleus de l’ONU, le capitaine Mbaye Diagne peut être considéré comme «l’homme le plus courageux ayant servi l’Organisation des Nations Unies».
En juillet 2010, sa veuve et ses deux enfants ont reçu des mains du président Paul Kagamé le prix Umurinzi accompagné de ces mots émouvants : «Pour votre bravoure et votre sacrifice pendant le génocide de 1994 et pour montrer au monde la vraie signification de l’Ubuntu africain, le peuple rwandais vous sera toujours endetté.» 
Au mois d’octobre de la même année, en Italie, Mbaye Diagne est célébré par le Jardin des Justes de la ville de Padoue. En 2011, à l’occasion du 17e anniversaire du génocide, le capitaine est à nouveau honoré à titre posthume par la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton.

Les vœux de sa veuve Yacine Mar Diop
En 2014, le Conseil de sécurité de l’ONU décide de créer la «Médaille du Capitaine Mbaye Diagne pour courage exceptionnel» en son honneur.
Au Rwanda, son souvenir reste gravé dans les cœurs et dans les esprits et chaque année, son nom est évoqué au moment des commémorations du génocide de 1994.
Quid de son pays natal, le Sénégal ? En 2005, le capitaine Mbaye Diagne est décoré à titre posthume du grade de chevalier dans l’Ordre national du lion. 
Cependant, aujourd’hui encore, ce chevalier des temps modernes reste peu connu de ses compatriotes. Aucun boulevard, avenue, rue ou édifice public ne porte son nom.
Pourtant, comme le souligne sa veuve Yacine Mar Diop, son histoire devrait être connue de tous les Sénégalais, car qui est plus grand que l’homme qui a fait don de sa vie à ses semblables ? «Mon souhait serait que le nom de mon mari puisse figurer dans les manuels scolaires du pays. Que son histoire puisse être connue de tous. Son attitude sur le terrain et son courage doivent inspirer les jeunes», affirmait, avec justesse, l’épouse du capitaine Mbaye Diagne. 
Le souhait de cette brave dame, qui a su rester digne dans l’épreuve, est également le nôtre, nous ses concitoyens saint-louisiens, car nous n’oublions pas qu’elle est aussi une petite-fille d’Abdoulaye Mar Diop, Maire émérite de la vieille ville de 1946 à 1952. 

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