Serigne Mbacke Sohna Lo : Le haut Fonctionnaire du mouridisme

Serigne Mbacke Sohna Lo : Le haut Fonctionnaire du mouridisme

Cet arrière-petit-fils du fondateur de la confrérie mouride est l’un des chefs religieux les plus riches et les plus connus du pays et à l’étranger, celui dont tout le monde parle et que chacun veut rencontrer. Du petit fidèle de Libreville au haut fonctionnaire

La seule évocation de son nom provoque l’hystérie chez certains de ses adeptes. Ses fidèles se déchaînent pour l’approcher, le toucher, lors de ses rares apparitions publiques. Serigne Mbacké Sokhna Lô, de son vrai nom Mohamed Mbacké, arrière-petit-fils de Cheikh Ahmadou Bamba, qui fonda la puissante confrérie des mourides à la fin du XIXe siècle dans le bassin arachidier sénégalais.

Boroom Taïf ak Beyla (« le maître de Taïf et Beyla », deux villages du Sénégal profond), est « l’homme de cette époque », comme la tradition mouride en désigne un à chaque génération.
Grand, beau, élégant, portant bien ses 71 ans, cet autodidacte au français sommaire est devenu l’homme dont tout le monde parle, que tous veulent rencontrer, et vers qui accourt tout ce que le Sénégal compte de responsables politiques, décideurs économiques, autorités coutumières, simples citoyens… Du Premier ministre Macky Sall à la ministre d’État chargée de la Décentralisation Aminata Tall, en passant par celui de l’Intérieur Ousmane Ngom ou du Tourisme Ousmane Masseck Ndiaye, des personnalités de tous bords se sont succédé auprès du marabout, de passage à l’hôtel Méridien Président à Dakar pour quelques jours de repos, fin décembre-début janvier. Rien n’est aujourd’hui de trop pour se rapprocher de Serigne Mbacké Sokhna Lô, réputé avoir l’oreille du calife général des mourides, Serigne Saliou Mbacké (auquel il fournit la main-d’oeuvre qui laboure son immense domaine agricole de Khelcom). Mais aussi celle d’Abdoulaye Wade, qui lui a rendu visite le 5 juin 2004, à son fief de Taïf, un village fondé en 1939 par Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké, fils aîné et premier calife de Cheikh Ahmadou Bamba. En 2000, Macky Sall est devenu l’un de ses « talibés ». Tout comme l’est Amath Dansokho, le remuant leader du Parti de l’indépendance et du travail (PIT, opposition).
Par le hasard de la naissance, Serigne Mbacké Sokhna Lô a de réels avantages sur les autres membres de la grande famille de Serigne Touba. Il est l’aîné de Serigne Cheikh Mbacké, surnommé Gaïndé Fatma, lui-même premier fils de Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké. Calife des mourides après la mort du fondateur en 1927, ce dernier a hérité des biens, des « talibés », mais aussi des « cheikh » (compagnons distingués) de Cheikh Ahmadou Bamba.
Ce patrimoine est revenu à Serigne Mbacké Sokhna Lô.
Aîné des 49 enfants de Gaïndé Fatma, décédé le 11 mars 1978, il est né en 1934 à Touba. Dès son jeune âge, il est confié au maître d’école coranique Serigne Mafall Fall, à Taïf, qui l’a initié à « la parole de Dieu » puis à la théologie. En 1952, il débarque en Algérie « pour approfondir [sa] connaissance du Livre Saint et de la Sunna du Prophète Mohammed ». Avant de se retrouver deux ans plus tard, toujours à la poursuite du savoir, en Mauritanie. Un pays qui lui colle encore à la peau. Il y a pris et repris femme, et y compte encore de nombreux amis.
Devenu le calife de Darou Khoudoss (dénomination de la concession paternelle à Touba) en 1978, Serigne Mbacké Sokhna Lô s’est fixé comme défi de faire mieux, sinon autant que son père, le premier descendant de Cheikh Ahmadou Bamba à avoir visité le monde, compris la nécessité de s’ouvrir à la modernité, bâti une fortune dans le négoce international, conduit des voitures de luxe, construit des maisons en dur…
Première autorité religieuse subsaharienne à défendre une motion de soutien au peuple palestinien, dès les années 1960, Gaïndé Fatma a eu des liens très étroits avec Yasser Arafat, Sékou Touré, Félix Houphouët-Boigny, William Tolbert, Mohammed V puis Hassan II… Serigne Mbacké Sokhna Lô a entretenu ces nombreuses relations jusqu’à ce que la mort y mette un terme. Non sans se faire son propre « réseau » parmi les grands de ce monde. Il est reçu avec les honneurs dans les palais du roi Mohammed VI, d’Omar Bongo Ondimba, de Maaouiya Ould Taya, de Teodoro Obiang Nguema. L’homme fort du nouvel émirat pétrolier équatoguinéen a dépêché un avion spécial pour amener le marabout à Malabo, le 15 octobre 2004. Les « bénédictions » de l’arrière petit-fils de Cheikh Ahmadou Bamba sont courues par bien des têtes couronnées.
Serigne Mbacké Sokhna Lô a hérité de Gaïndé Fatma le goût de construire. Au bâtiment en dur érigé en pionnier par son père en 1954 à Taïf, il a répliqué par un château, achevé en 1998, qui tranche avec le décor rustique de ce village. Dans cette demeure aux somptueuses bâtisses dérobées aux regards par de longs murs, le visiteur est ébloui par le marbre, l’électroménager dernier cri, le mobilier importé du Maghreb, l’exubérance de la maroquinerie et de la robinetterie, mais aussi par la cour verdoyante illuminée par des lampadaires au style gothique. Coût de l’ouvrage : 1,5 milliard de F CFA (2,28 millions d’euros). Abdoulaye Wade, qui y a dormi le 5 juin 2004, a confié à des proches avoir été frappé par le luxe et le bon goût des lieux.
Les hôtes de marque se succèdent dans ce village de 3 062 âmes et 350 concessions, perdu dans la brousse à 27 km de Touba, la capitale du mouridisme. Des ressortissants de pays de la sous-région, des Mauritaniens notamment, y séjournent par dizaines, pendant de longs mois. Taïf sait mettre les petits plats dans les grands. Comme dans un festin sans fin, le marabout égorge chaque jour dix moutons et trente poulets pour nourrir sa famille et ses visiteurs. Réputé bien s’occuper de ses hôtes, il leur offre à leur départ boubous, parfum, argent…
Pour rendre son fief encore plus attractif, le marabout, qui voit décidément les choses en grand, vient de terminer la maquette d’un projet dénommé « Taïf 3 », chiffré à 25 milliards de F CFA : la construction d’une « maison des hôtes » à trois niveaux, comprenant 256 suites, un palais des congrès, des annexes…
Le fils de Gaïndé Fatma, déterminé à laisser sa trace dans ce bourg fondé il y a plus de six décennies par son grand-père, est en train de bâtir une luxueuse mosquée, de pas moins de 3 milliards de F CFA. Sur l’origine de toute cette fortune, il explique : « Je suis agriculteur et éleveur. Je vis des fruits de mes champs et de mes troupeaux. Pour faire fructifier mon activité, je vais d’ailleurs incessamment me lancer dans l’agriculture intensive à Mbane, près de Richard-Toll, dans le delta du fleuve Sénégal. J’ai trouvé des partenaires égyptiens. Ils assurent l’encadrement et l’équipement, et je fournis, pour ma part, la main-d’oeuvre. Nous allons cultiver sur une superficie de 6 000 hectares du sésame qui va être exporté en Égypte. »
Les fruits de la terre ne suffisent pas à nourrir ce gros producteur, qui vit aussi du hadiya, ces dons en espèces et en nature que lui versent ses « talibés » en signe d’allégeance. Une manne financière abondante, alimentée par une substantielle contribution de ceux de la diaspora.
Réputé riche à milliards, Serigne Mbacké Sokhna Lô est également influent. Il est aujourd’hui le guide de 300 « cheikh » et de leurs adeptes, mais aussi de 1,3 million de « talibés » répartis en fédérations, sections, sous-sections jusqu’au dahira, qui constitue l’unité de base. Originaires de toutes les villes du Sénégal, ces ouailles sont également présentes en Europe (France, Italie, Espagne, Belgique…) où le marabout effectue, chaque été, une tournée. Le « guide » a également des daaras (écoles coraniques) disséminées à travers le pays : à Taïf, à Guerlé, à Ross Béthio, à Nimbodji, à Darou Salam Darma, à Touba… Autant de réservoirs de main-d’oeuvre pour les travaux champêtres et autres corvées.
S’il n’a jamais prononcé de ndigël (consigne de vote à ses fidèles) à l’occasion d’élections, Serigne Mbacké Sokhna Lô fait figure de grand électeur, capable sur le papier de faire basculer l’issue d’un scrutin dans un pays où le fichier électoral compte 2,7 millions d’inscrits. Les hommes politiques de tous bords l’ont compris, qui multiplient les signes d’attention envers « le maître de Taïf et Beyla » à mesure qu’approchent les échéances législatives de 2006 et présidentielle de 2007.
Va-t-il, comme y oeuvrent activement des proches du chef de l’État, faire voter en faveur d’Abdoulaye Wade ? Les rapports entre le marabout et le président sont certes anciens. Le défunt père du premier, Gaïndé Fatma, lié au second depuis les années 1950, a suscité et appuyé financièrement la création en 1974 du Parti démocratique sénégalais (PDS, aujourd’hui au pouvoir). À l’époque en froid avec Léopold Sédar Senghor, il a joué la carte Abdoulaye Wade.
Mais Serigne Mbacké Sokhna Lô, qui compte des « talibés » dans toutes les chapelles politiques, affirme se placer dans une position de stricte neutralité. « Je ne suis d’aucun parti politique, ni ne soutiens aucun candidat, confie-t-il. Ma seule préoccupation, c’est que le Sénégal aille de l’avant. Je suis avec quiconque pose des actes pour faire avancer notre pays. »
Mais neutralité ne veut pas dire indifférence. Et Serigne Mbacké Sokhna Lô est loin de se désintéresser de la politique et de ceux qui la font. Son entourage est d’ailleurs choisi pour l’aider à se positionner sur les choses temporelles. Son porte-parole, Baïla Wane, directeur général de la Loterie nationale sénégalaise jusqu’en mars 2004, est un vieux routier de la politique, compagnon de Wade pendant les années de braise. Amdy Moustapha Diagne, de fait son chargé des relations publiques, gère le protocole et la communication du marabout comme on s’occuperait de ceux d’un homme politique.
Le fils de Gaïndé Fatma ne saurait être indifférent au pouvoir, lui qui descend de la famille régnante du Cayor, un royaume qui a rayonné au XIXe siècle au coeur du Sénégal. Sa grand-mère paternelle, Fatma Thioubou, est la fille d’Amadou Khourédia, frère de Lat Dior Diop, roi du Cayor, résistant à la pénétration coloniale et héros national du Sénégal.
Serigne Mbacké Sokhna Lô, qui aurait pu arriver au trône si la colonisation n’avait pas vaincu et aboli la royauté, en a gardé quelques attributs. Son goût pour le luxe notamment. Chaussures Vuitton, écharpe Chanel, montre Cartier en or (coût : 11 millions de F CFA), le marabout s’habille en basin riche teint devenu la mode masculine au Sénégal, au gré de la Serigne Mbackémania. Le « guide » achète ses parfums en quantité industrielle aux Galeries Lafayette. Un jour qu’il en a pris pour 3,7 millions de F CFA dans ce magasin parisien, la caissière n’a pu s’empêcher d’apostropher l’un des accompagnateurs : « De quel pays est-il, ce roi ? »

Dakar92.com édité Par la fondation « Keur Rassoul »

« Sala lahou Ala Seydina Mohamed (PSL) »

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