Reportage : Sénégal – Ces 500 FCFA qui mettent la vie des enfants en danger

La mendicité des enfants au Sénégal a pris une ampleur considérable. Ils sont nombreux à partager les rues avec des adultes avec une seule envie, celle de ramener de l’argent à leurs maîtres coraniques. Nous avons fait une descente dans cette ambiance peu enviable pour en savoir plus sur le quotidien de ces enfants laissés à eux-mêmes. 

Pieds nus, habits déchirés, boîtes ou pots dans les mains, le décor est bien planté pour décrire l’ambiance dans les rues de Dakar. Ils sont des milliers d’enfants âgés entre 5 et 15 ans à travers le pays qui constituent les sources de revenus dans de nombreuses familles religieuses. C’est un secret de polichinelle. Ces mômes loin de la chaleur maternelle font leur vie dans les rues du pays.

Selon une cartographie publiée en mars 2014 par la cellule de lutte contre la traite des personnes, sur les 1 006 écoles coraniques situées dans la capitale sénégalaise, 54 160 élèves sont dénombrés dont 30 160 qui seraient des enfants mendiants. Le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) pour sa part, estime que les autres villes du pays comptent 100.000 enfants dans les rues.

Des chiffrent qui évoluent au fur des années. Pour mettre fin à cette ‘’hémorragie’’, le chef de l’Etat, Macky Sall a lancé en 2016, la campagne de retrait des enfants de la rue. Une campagne codirigée par le ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfance, la brigade spéciale des mineurs et la Direction des Droits de Protection de l’Enfance et des Groupes vulnérables qui a visiblement du plomb dans l’ail. Les équipes « essoufflées » sont mises en stand-by, constate-t-on.

Une routine dangereuse

«Le Gouvernement a pris une bonne posture pour la sécurisation de ces enfants qui se faufilent entre les véhicules. Mais … la suite est sans nouvelle», regrette Mme Maimounatou Diagne. Comme cette maman qui vend de l’eau dans des bidons d’un litre et demi sur le boulevard du centenaire à Dakar, Bachir a tristement fait la même remarque. Autant dire que tout est revenu à la case départ. « Ils disent que le travail est en train d’être repris sous la force de lutte contre la traite des enfants. Je pense que c’est un problème de fond », confie une source du ministère de la Famille de la Femme et du Genre.

Retrouvé dans ses locaux en plein centre-ville, Cheikh Tidiane Kandé se veut clair : «L’avenir d’un pays dépend de sa capacité à prendre en charge ses enfants, de les préparer aux grandes mutations de l’heure et de les protéger. Un enfant dans la rue n’est pas à l’abri des menaces», analyse le Président de l’Association Peace initiative (API).

Une campagne, une équation à double inconnue

«Ce sont des opérations de sécurisation pour ces enfants-là. Ils sont en danger face à tous les risques de la rue », avait clamé haut et fort Niokhobaye Diouf, Directeur des droits de protection de l’enfance et des groupes vulnérables le 30 mai 2016, jour du lancement de cette campagne. Plus d’un an après, cette campagne de retrait des enfants de la rue semble montrer toutes ses limites, ces dangers existent toujours et s’amplifient du jour le jour. La quasi-totalité de ces enfants passent la nuit dans les rues. La principale préoccupation de ces garçonnets (talibés comme on les appelle au Sénégal), c’est d’apporter 500 francs CFA (environ 70 centimes d’euros) à leurs marabouts. Et c’est une recommandation pour tous. Quelles que soit les situations ou même par tous les moyens, ces petits enfants sont tenus d’apporter cette somme.

L’exploitation au premier degré

Contrairement aux petits enfants qui n’ont pas de soucis dans leur vie qui prennent leur petit déjeuner très tôt le matin avant de se faire accompagner à l’école, c’est tout le contraste chez Moussa et Ibra, deux apprenants des écritures du saint Coran, dans le populeux quartier de la Médina. Ce vieux quartier de Dakar qui avait pleuré dans la nuit du 3 au 4 mars 2013, la mort tragique de neuf (9) élèves dans l’incendie d’une école coranique. C’était à la rue 6 x 19 et ils étaient âgés entre 5 et 12 ans. A l’époque, le gouvernement sénégalais s’était engagé à garantir la sécurité de ces établissements et à mettre fin à la mendicité organisée des enfants. Près de cinq ans après, « la promesse reste politicienne ».

« Le gouvernement de Macky Sall n’a pas une cohérence +du tout+ dans ses prises de décision. Il n’y a pas une vision stratégique. La mendicité de l’enfant est une des pires exploitations de l’enfant. C’est vraiment un cumul de violation des droits de l’enfant. Il manque encore de volonté politique. Moi je ne comprends pas quand le chef de l’Etat s’engage et que tous les ministères ne contribuent pas à réaliser cet objectif », déplore Mamadou Wane dit « Mao », coordonnateur de la Plateforme pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Ppdh).

Moussa et Ibra font la manche entre les voitures, matin et soir, avec comme mobile : apporter 500 F Cfa chacun le soir, et de la nourriture –facultatif-. « A 17h, nous jouons au foot entre amis du même daara. Ces genres de matchs sont très agréables. Tout cela nous fait oublier nos chagrins. Ceux qui n’ont pas pu accomplir leurs tâches, c’est-à-dire les 500 F Cfa, sont perdus de vue durant ces temps de plaisir. Ils sont sans doute dans les rues », s’enthousiasme Ibra. Avant de préciser : «Tous les vendredis, nous versons 1.000 F Cfa au marabout». Comme Moussa, ils sont, selon les derniers chiffres des ONG -Organisation non gouvernementale- plus de 80 000 à travers le pays soumis à des écoles coraniques illégales ou à des parents malveillants.

 

 

Le Sénégal porte le poids de ses pays voisins

Si les uns sont des Sénégalais, les autres par contre viennent des pays voisins. Le Sénégal partage ses frontières avec la Mauritanie (nord), le Mali (est), la Guinée et la Guinée-Bissau au (sud) et la Gambie qui forme une quasi-enclave dans le pays. Aussi les îles du Cap-Vert sont-elles situées à 560 km de la côte sénégalaise. Avec un accent Poular –langue généralement parlée au nord du Sénégal-, un jeune talibé, Ibou G. confirme nos doutes. « Je viens de la Guinée Bissau, je suis venu ici pour apprendre le coran mais notre marabout nous demande de mendier avant de manger. Parce qu’il n’a pas les moyens pour nourrir tout le monde ». Par exemple, précise le Directeur Diouf, « dix jours après le lancement de la campagne, au total 204 enfants ont été retirés dans les rues de Dakar : 153 enfants sont sénégalais, 37 Bissau-guinéens, 11 maliens, 3 guinéens, 2 Gambiens et 1 Siéra Léonais. Soit près de 30% de non-sénégalais dans le lot ».

« Dakar a toujours attiré tous les migrants ou toutes les personnes en situation de mobilité. Les études ont montré que le Sénégal est un pays d’accueil et de transit également. C’est un pays qui émet aussi, il y a des enfants sénégalais qui sont en situation de mendicité au Mali, Mauritanie… Il y a un capital de l’aumône très important au Sénégal. La position géostratégique de Dakar qui est une sorte de carrefour vers l’Europe, l’Amérique. Nous sommes pratiquement en face de l’Amérique latine. Il faut aussi souligner l’existence de l’offre », confie Mamadou Wane « Mao ». Pour lui, la mendicité est un système qui fonctionne sur une relation « offre demande et demande offre ».

Un marché estimé à plus de 2 milliards F CFA par an

Le marché de l’aumône sénégalais apporte beaucoup d’argent. Cette somme est estimée à 2 milliards 280 millions de Francs Cfa par an. C’est une filière pour les trafiquants d’enfants. Sur le modèle, ils ont pu exploiter le modèle traditionnel d’éducation de l’enfant, de socialisation de l‘enfant avec des pratiques de conscience de l’enfant avec des mobilités de l’enfant dans notre espace. Dans toute la sous-région et la région, l’enfant ne circule pas que dans la sphère familiale. Les Sénégalais participent à ce phénomène en donnant l’aumône à ces enfants dans la rue dont ils savent très clairement qu’ils sont victimes de traite et de travail forcé. « Mais malgré tout on alimente ce phénomène en espérant qu’on aura l’indulgence du Tout-Puissant ou qu’on va acheter des actions au Paradis. Pour moi, les donneurs sont complices. C’est comme par exemple, le voleur et son receleur », conclut Mamadou Wane.

Face à ce phénomène qui n’émeut plus les Sénégalais, le gouvernement doit redistribuer les cartes pour épargner ces enfants des dangers auxquels ils sont confrontés tous les jours. Les maîtres coraniques doivent aussi mesurer les risques que courent leurs élèves en quémandant jour et nuit dans les artères du pays.

Reportage réalisé par Ankou Sodjago 

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici