Report de la présidentielle: Comment Macky Sall a mûri son coup politique

Macky Sall
Macky Sall

Sans évoquer le mot «report», le Président Macky Sall, a réussi à faire repousser le scrutin du 25 février sans donner une nouvelle date pour la tenue de celui-ci. Révélations sur la manière dont le chef de l’État sortant a mûri et mis en œuvre son plan, lui permettant de rester au pouvoir.
C’est ce samedi, soit à quelques heures seulement de l’ouverture de la campagne électorale, que le Président de la République, Macky Sall, a acté le report du scrutin présidentiel qui était prévu pour ce 25 février, non sans appeler à un nouveau dialogue national.
Un peu plus tôt dans la journée du 3 avril, le groupe parlementaire du Parti démocratique sénégalais (Pds) a annoncé avoir déposé une proposition de loi pour un report de l’élection. Une réforme de l’article 31 de la Constitution qui devra donc permettre à Macky Sall de se maintenir au pouvoir jusqu’au 25 août 2024. Cela rallongerait de plusieurs mois le mandat pour lequel il a été élu et qui doit prendre fin le 2 avril 2024. Un scénario qui plonge le pays dans une crise politique sans précédent. Mais, comment en est-il arrivé là ?
D’abord, le vendredi 26 janvier, le Chef de l’État a réuni l’ensemble des leaders de sa coalition au Palais. La veille, le bureau de l’Assemblée nationale a ouvert la voie à la création d’une commission d’enquête sur le processus électoral. « Sa décision, ce jour-là, n’était pas encore prise. Il manquait d’informations pour confirmer le report. Il voulait savoir comment le Conseil constitutionnel avait pu à la fois valider la candidature de Bassirou Diomaye Faye [candidat du Pastef] et invalider celle de Karim Wade », confie à Jeune Afrique, une source.
Avant cela, il y a aussi le « cas » Amadou Ba, désigné comme candidat de la coalition au pouvoir, depuis le 9 septembre dernier, au détriment de trois autres principaux challengers, dont l’ancien chef de gouvernement Mahammed Boun Abdallah Dionne. Un choix « forcé », selon certains détracteurs d’Amadou Ba au sein de la majorité, qui assurent que les partenaires occidentaux du Sénégal, la France en tête, auraient imposé « leur candidat ».
D’après « JA », beaucoup lui reprochent cependant son absence de base électorale. Plusieurs caciques claquent la porte pour présenter leur propre candidature ; d’autres, comme son grand rival, Abdoulaye Daouda Diallo, se laissent convaincre par Macky Sall et restent dans leur majorité, mais le cœur n’y est pas. « Ils ont renoncé à leurs ambitions, mais n’ont rien fait pour consolider la candidature du Premier ministre. Personne n’a bougé le petit doigt pour mobiliser sa base », explique un membre de BBY.

Affaire Karim Wade : Macky « comptait beaucoup sur l’électorat mouride pour… »
L’élection arrive à grand pas et la campagne d’Amadou Ba peine à décoller. Les responsables de la majorité s’épanchent dans la presse pour le critiquer. « Les gens doivent aller voir [Macky] et lui dire que son choix n’est pas le bon et qu’il doit en choisir un autre » , a taclé, fin décembre, le ministre du Tourisme, Mame Mbaye Niang.
Mais en parallèle, Macky Sall s’est depuis plusieurs mois rapproché de Karim Wade, exilé depuis huit ans au Qatar après avoir été condamné à six ans de prison et 138 milliards de francs CFA d’amende pour enrichissement illicite.
JA écrit que Macky Sall s’est également engagé devant Serigne Mountakha Mbacké, le khalife général des mourides. « Le président comptait beaucoup sur l’électorat mouride pour faire gagner Amadou Ba, explique un membre du gouvernement. Le Premier ministre tourne autour de 40 % à 45 %. Le Chef de l’État comptait sur la participation de Karim Wade pour récupérer les 10 % de voix mourides. Une alliance entre les deux hommes aurait fait basculer la présidentielle au second tour qui devenait inéluctable face à Bassirou Diomaye Faye, le candidat d’Ousmane Sonko. »
Mais la donne a semblé changer, le 20 janvier, le jour où le Conseil constitutionnel, arbitre des élections, a invalidé le 20 janvier la candidature de Karim Wade, en raison de sa double nationalité sénégalaise et française. «Macky Sall a été surpris. Nous avons tous été surpris [par la décision du Conseil constitutionnel] », souffle à Jeune Afrique un allié du Chef de l’État.

Macky Sall « surpris » par la décision du Conseil constitutionnel
« Karim Wade n’a pas été rigoureux et ne mérite pas vraiment qu’on s’apitoie sur son sort. Mais le processus est biaisé », défend un membre du gouvernement. 
D’autant plus qu’il apparaît ensuite que Rose Wardini, dont la candidature a été validée par le Conseil constitutionnel, possède-t-elle aussi la nationalité française.
La même semaine, Macky Sall réunit autour de lui les présidents des Institutions de la République : Amadou Ba (primature) : Amadou Mame Diop (Assemblée nationale), Abdoulaye Daouda Diallo (Cese); ainsi que Mahmoud Saleh, directeur de cabinet du président de 2020 à 2022 avant d’endosser le titre, flou et honorifique, d’envoyé spécial du chef de l’État.
D’ailleurs, selon des informations de JA, celui-ci a mis en garde ses interlocuteurs. « Il faut renoncer à soutenir cette initiative de commission d’enquête, elle est dangereuse », plaide-t-il en substance. Amadou Ba, de son côté, estime qu’à défaut de voter contre le projet de résolution, les députés de la majorité présidentielle devraient à tout le moins s’abstenir. Macky Sall, quant à lui, a considéré qu’il faut donner des gages à l’opposition afin d’éviter que Karim Wade bascule dans l’opposition et, avec lui, les nombreux électeurs du PDS. Amadou Mame Diop et Abdoulaye Daouda Diallo se rangent à l’avis du patron. La rencontre sonne le glas pour Amadou Ba, désormais isolé.

Nouvelle rencontre entre Macky Sall et Amadou Ba
Au lendemain du vote, l’équipe du candidat Amadou Ba refuse de parler de report, ni même du séisme qui s’est produit la veille à l’Assemblée nationale. «Ces manœuvres de politique politicienne ne nous concernent pas, insiste l’un de ses conseillers. Les gesticulations des députés ou de certains responsables n’ont aucun intérêt. Ce qui compte, c’est la campagne électorale et la victoire de notre candidat. »
Mais, d’après toujours le magazine panafricain, une dernière rencontre entre le chef de l’État et son chef de gouvernement a eu lieu, le vendredi 2 février, dans l’après-midi. Elle entérine le scénario du report. Macky Sall suggère à nouveau d’interrompre le processus électoral en raison des accusations qui pèsent sur le Conseil constitutionnel. Amadou Ba préfère que le processus suive son cours, mais s’en remet à la décision du président. « C’est à vous de décider », dit-il.
Pendant ce temps, plusieurs ministres défendent publiquement l’idée d’un report. Dans la soirée, des messages annonçant la démission imminente du Premier ministre circulent au sein du gouvernement. Le lendemain, à 14 heures, Macky Sall passe à l’acte, dans une brève allocution diffusée en direct sur la télévision publique RTS.

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