Elle est l’un des plus grands noms de la mode africaine contemporaine. Styliste, costumière de cinéma et de théâtre, décoratrice et créatrice de bijoux, la beauté et la création n’ont pas de limites dans son imagination. Au-delà de ces valeurs esthétiques, c’est aussi une femme d’affaires. Elle est l’une des pionnières de l’Internet en Afrique. «Je me surnomme moi-même, généraliste», se vante-t-elle. Qu’est ce qui lui a valu autant de talent si l’on sait que Oumou Sy est autodidacte ? Comme un génie, elle a une explication à toute question, en particulier sur sa personne.
Oumou Sy se dit chérifienne. D’origine peule, elle naît en 1952 à Podor, dans la région de Fouta dans une famille chérifienne. Le déclic s’est opéré à l’âge de 5 ans, à la disparition de son père, membre de la famille Tidjaniya. C’est de là que sa gloire dans le monde de la création artistique contemporaine lui a été insufflée. Elle confie : «mon père a mis beaucoup de choses en moi, à sa mort même les gens croyaient que je n’allais pas survivre. On m’a enfermée avec lui dans sa chambre mortuaire et c’est à cet instant que j’ai su que j’allais faire beaucoup de choses sans un maître, si ce n’est Dieu». Ainsi, à 13 ans, elle ne pouvait plus cacher ses créations. Elle décide de les partager avec les habitants de Saint-Louis, où «Bagatelle-Couture» s’était ouvert. C’est là-bas qu’elle a dévoilé ses talents avec comme matériel, une petite machine achetée par sa mère, qui au départ était contre l’idée. «Ma maman était opposée à ce que j’ouvre mon atelier à 10 ans. Elle disait que la mode n’était pas adéquate pour une enfant. Car il y avait des consommateurs d’alcool, des bandits etc», souligne la styliste.
A 20 ans, elle se fait un nom en tant que styliste et créatrice de mode et ouvre son premier magasin de prêt-à-porter à Dakar. Son talent se confirme et le succès frappe à sa porte. Oumou, bien appréciée par les chanteurs sénégalais tels que Baba Maal ou Youssou Ndour, devient leur costumière. Au surplus, l’international clame la prouesse de la styliste. Elle est sollicitée par des cinéastes et tourne avec les plus grands noms africains, crée les costumes de plusieurs de leurs films, comme Hyènes(Djibril Diop Mambéty, 1992), Guelwaar (Ousmane Sembène, 1992), Samba Traoré (Idrissa Ouedraogo, 1992), le court métrage Pressions (Sanvi Panou, 1995), Les Caprices d’un fleuve(Bernard Giraudeau, 1996). Más allá del jardín (Pedro Olea, 1996) ou Le Déchaussé(Laurence Attali, 2003), un court métrage dans lequel elle interprète elle-même le rôle de Zaglad subsaharienne. «C’est quand j’ai fait des grands films, qu’on m’a fait comprendre que je suis costumière, créatrice de costumes », appuie la Podoroise.
Une créativité primée de partout
En 1990, elle monte son école, les «Ateliers Leydi», chargée d’enseigner les arts traditionnels du costume et de la parure. En 1996, elle ouvre à la rue Thiong, à Dakar Plateau, le premier cybercafé d’Afrique de l’Ouest, appelé le Metissacana. C’est dans ce décor qu’elle organisait régulièrement ses défilés et sa manifestation annuelle, la Simod (Semaine nationale de la mode) qui se tient toutes les années. Fruit de ce parcours riche et divers, marqué par son héritage enfoui dans l’histoire profonde du continent, Oumou Sy a conçu une collection unique au monde de costumes de rois et reines d’Afrique qui effectue à elle seule son tour du monde.
La consécration internationale lui est arrivée à plusieurs reprises, notamment avec le 1er Prix 98 de la Fondation Prins Claus. Ce sont deux élèves de Leydi qui ont remporté, l’un le Concours Design 21 98 et le Ciseaux d’or 98 et l’autre les Ciseaux de Bronze 98. Oumou Sy est alors devenue la première lauréate du prix Rfi en Afrique, qui lui est décerné le 26 janvier 2001 et remis au Cameroun le 13 février de la même année, à l’occasion du Salon Yaoundé NetCom. Cette récompense salue son engagement dans la lutte contre la fracture numérique sur le continent africain. Elle gagne à la place Faidherbe, le marché du Bicentenaire de la révolution française pour avoir cousu une robe de signare, «faire quelque chose que personne d’autre n’a pu faire», fut son slogan. En 2003, la Semaine de la Mode de Rome (AltaModa) la gratifie d’un Prix spécial de la Ville de Rome. Le 26 mai 2006, Oumou Sy reçoit les insignes de Chevalier de l’Ordre national de la Légion d’honneur à la résidence de l’ambassadeur de France au Sénégal.
Une vie tourmentée
Malgré cette percée dans la mode et le cinéma, la vie n’a pas été toujours rose pour Oumou Sy. Ses nombreux succès sont devenus sources d’épouvante pour elle et son entourage. Cinq ans après l’ouverture du Metissacana en 2001, la polémique frappe à sa porte. Le provider-mère du Metissacana est racheté par France Telecom, et le cybercafé ferme ses portes. Un épisode qui a bouleversé sa vie. Plus de dix ans après ces évènements, la tristesse se lit dans ses yeux et l’espoir de ressusciter le dit nom de domaine se fait sentir dans ses paroles. « Beaucoup de gens sont venus pour que je leur vende le Metissacana, mais j’ai refusé. Je garde le nom de domaine. Je peux le rouvrir un jour ailleurs», projette-elle sans pourtant afficher une mine confiante.
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