Profession: préparateur «laveur de cadavre», « J’ai déjà bâti un immeuble de trois niveaux »

Profession: préparateur «laveur de cadavre», « J’ai déjà bâti un immeuble de trois niveaux »

Dans la deuxième partie de l’interview, N’Guessan Célestin Daniel, préparateur de corps à Ivosep, révèle que le métier de «laveur de cadavre» nourrit son homme. Cependant, il ne manque pas de souligner que la pratique n’est pas de tout repos.

Le métier de laveur de corps nourrit-il son homme ?

N.C.D : Évidemment. Il nourrit plus que son homme (rire)

Vous êtes donc à l’abri du besoin…

N.C.D : Le besoin, c’est l’amitié qui nous manque. Les gens disent que nous sommes des laveurs de corps. Ils ont donc peur de nous. Cela nous peine un peu, mais je dis qu’il ne faut pas s’attarder sur cette situation. Car, ceux que je lave, ne sont pas des chiens. Ce sont des êtres humains comme nous. A la différence qu’ils sont morts. La mort est un passage obligatoire. Tôt au tard, nous partirons tous. Il n y a donc pas lieu d’avoir peur des cadavres encore moins de celui qui leur restitue leur dignité avant qu’ils se présentent devant le Seigneur. Nous sommes des hommes normaux comme eux, seulement que nous avons choisi le métier de laveur de morts. Il y a rien de répugnant dans le fait de donner une dernière toilette à ceux qui vont rejoindre le créateur.

Le métier n’est pas facile, comme vous le dites. Utilisez-vous des stimulants pour l’exercer ?

N.C.D :Pourquoi voulez-vous que je sois ivre pour exercer ce métier? C’est un métier comme un autre. A la différence que je travaille dans un domaine où mes clients ne peuvent ni parler, ni voir, ni entendre. Avec ces produits exceptionnels, boire ou fumer de la drogue, compliquerait les choses.

Arrive-t-il souvent que des parents vous offrent des présents ?

N.C.D :Des parents de défunts sont souvent larges avec nous. Quand ils sont satisfaits du travail abattu, ils mettent la main à la poche. Il peut y avoir des palabres autour d’un corps. L’une des familles de la personne décédée peut refuser qu’on habille le corps avec des pagnes ou autres vêtements venant de l’autre famille. Dans ce cas, c’est le laveur qui est tout heureux. Parce que dans la majeure partie des cas, la famille fait don de ces affaires au laveur.

ivosep

Cela fait 14 ans que vous vous occupez des morts. Quel est votre plus beau souvenir ?

N.C.D :Mon plus beau souvenir est récent. C’est quand le père Blaise Anoh, le vicaire général, est mort. J’étais à Bouaké lorsqu’on m’a annoncé le décès. Un prêtre m’a appelé et m’a donné la mauvaise nouvelle. Le corps a été transféré à la morgue de Cocody. Mais en songe-et c’était la première fois depuis que je travaille dans ce domaine que cela arrive-le défunt père Blaise Anoh est venu et m’a dit : «Monsieur le commissaire, je suis parti sans que tu me voies ». Après ce songe, un autre est intervenu. Et au cours de celui-ci, le père m’a donné un message pour le cardinal Jean-Pierre Kutwa. Il m’a demandé de lui dire de « ne pas se fâcher ». On venait à peine de nommer l’évêque d’Abidjan, Cardinal. Il m’a envoyé lui dire qu’il n’a pas gâché sa fête, qu’il lui présente toutes ses excuses et qu’il va prendre sa couronne d’épines au ciel. Dans ce cas, on ne peut pas parler de mysticisme. Car celui qui m’est apparu en songe, était un homme de Dieu. Je pense qu’en toute chose, il faut mettre sa confiance en Dieu.

Voulez-vous nous dire que c’est Dieu seul qui constitue votre force ?

N.C.D :Bien sûr que oui. C’est Dieu qui me guide dans ce métier. Il me donne la force de m’occuper de ceux qui vont le rejoindre. Ma chance aussi, c’est que je fréquente beaucoup les hommes de Dieu. Je ne m’adonne donc pas au maraboutage et autres pratiques sataniques. Mon «fétiche» c’est Dieu et son fils Jésus-Christ. En plus de cela, je prie beaucoup et participe à la vie de l’Eglise. Tous les lundis, mon jour de repos, je prie avec des hommes de Dieu et des religieuses pour implorer mon Dieu et le remercier pour tout ce qu’il fait pour moi, et surtout la force qu’il me donne pour m’occuper de ceux qui sont morts.

Quel est votre plus mauvais souvenir ?

N.C.D :Mon mauvais souvenir, c’était pendant la crise post-électorale. Les gens avaient peur, surtout des corps qui jonchaient les rues. J’ai donc pris mon courage à deux mains, et muni d’un charretier, j’ai ramassé les corps. J’habitais, à ce moment là, chez ma grand-mère. De la Pmi de Marcory à Orca en passant par la gare de Grand-Bassam, c’étaient des corps partout. Je les ai ramassés pour aller les conserver à Ivosep. Il y a un chef de guerre qui n’a pas manqué de me féliciter pour ce que j’ai fait pendant la crise post-électorale. Pendant cette même crise postélectorale, des gens me faisaient appel pour les personnes décédées à la maison. C’est comme cela que je me suis occupé d’une dame qui est morte en couche à la maison. Elle est décédée avec son enfant, le jour de l’arrestation du président Laurent Gbagbo. Les parents ne pouvaient pas faire autrement. Après avoir procédé aux bains mortuaires, je suis allé enterrer les deux corps au cimetière de Port-Bouët. Il y a même une personnalité de ce pays qui avait perdu sa tante pendant la crise-post-électorale. C’est moi qui suis allé chercher le corps à la maison pour l’envoyer à Ivosep.

Vous avez rendu beaucoup de services. Est-ce que les gens vous sont reconnaissants ?

N.C.D :Certains, oui, d’autres non. Il y en a qui m’appellent souvent pour me saluer. Ce n’est pas forcément l’argent qu’il faut donner. Un simple appel peut faire l’affaire.

Quelles sont vos ambitions?

N.C.D :Je n’ai pas d’ambitions particulières. J’ai déjà bâti un immeuble de trois niveaux. Aujourd’hui, mon souhait est de trouver une femme, de me marier et d’avoir des enfants.

Vous n’avez donc pas de fiancée…

N.C.D :J’ai dit que j’attends d’avoir une femme.

Si vous n’êtes plus, demain, comment aimeriez-vous qu’on vous donne votre bain mortuaire et qu’aimerez vous porter spécialement ?

N.C.D :Comme on le dit, quand tu es mort, tu n’as plus rien à dire. Je serais déjà mort, je ne pourrais donc formuler aucun vœu. Tout dépendra de ma famille. C’est à elle de décider si je dois rejoindre notre Seigneur en costume, en linceuil ou en tenue traditionnelle.

Combien êtes-vous à exercer le métier de laveur de corps là où vous travaillez?

N.C.D :Nous sommes au nombre de quatre. Mais je tenais à dire qu’il ne faut pas faire ce travail en mettant l’argent en avant.

Quels conseils pour celui qui veut embrasser ce métier ?

N.C.D :Il faut venir dans ce domaine par vocation. Sinon, on ne pourra pas tenir un seul jour. Il faut évi (…)

 

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