Procès Hissène Habré, un modèle inachevé : pourquoi le Sénégal bloque la phase finale?

L’Union Africaine rechigne à donner son quitus  pour l’alimentation du fonds destiné à l’indemnisation des victimes de l’ancien président tchadien, Hissein Habré, un an après sa condamnation, à Dakar, par les Chambres africaines extraordinaires, a déploré Me Assane Dioma Ndiaye, un avocat des victimes et président de la Ligue sénégalaise des Droits de l’Homme.

 

Le procès Hissein Habré est certes historique pour l’Afrique, mais pour sa «modélisation», il doit être mené à son terme avec l’indemnisation des victimes qui attendent encore cette réparation, plaide Me Assane Dioma Ndiaye.  L’avocat militant des Droits de l’Homme qui a beaucoup milité pour la tenue de ce procès, s’exprimait vendredi, à Dakar,  lors d’un panel organisé par l’ambassade des Pays-Bas  sur le thème «Hissein Habré condamné depuis plus d’un an, et après ?».

Le montant total de l’indemnisation de toutes les victimes est évalué à plus de 82 milliards de francs CFA. Mais depuis  la fin du procès, les ayants-droits ne sont toujours pas rentrés dans leurs fonds faute de ressources. Abdourahmane Guèye la seule victime sénégalaise, venue spécialement de Touba a exprimé de manière courte le « désarroi des victimes ».

«Depuis que le procès est terminé, on n’entend plus ceux qui se sont battus pour que Habré soit jugé. L’Etat du Sénégal doit chercher à savoir ce que vivent les victimes sénégalaises. Moi ce qui m’intéresse, c’est la réparation. Depuis que le procès est terminé, on nous a oublié», a estimé  Abdourahmane Guèye.

Les biens saisis de Hissène Habré par les Chambres africaines extraordinaires tournent autour de 600 millions de francs CFA.  Ce qui est très loin du budget nécessaire pour les indemnisations.  C’est ainsi qu’après son jugement à Dakar, le Sénégal a de nouveau reçu mandat de l’Union africaine d’abriter le fonds d’indemnisation des victimes. Mais pour des problèmes politiques surgis lors de l’élection du président de la Commission de l’Union africaine, Dakar refuse d’abriter le fonds après avoir accepté d’organiser le procès. Le Tchad ayant présenté un candidat, Mahamat Faki qui sera élu contre le Abdoulaye Bathily à la présidence de la commission de l’union africaine,  contre le candidat du Sénégal, l’Etat du Sénégal semble décider à payer à Ndjamena son courage.

Excepté Dakar, les autres possibilités qui s’offrent au continent pour abriter le fond auraient pu être Ndajmena ou Addis-abeba. Mais des contraintes ne manquent pas.  Le président Deby ne serait pas favorable à cette éventualité mais aussi c’est que le jugement prévoit que ce soit la Cour d’appel de Dakar qui se charge de l’indemnisation et de la réparation des victimes.  Pour cette même raison et la distance d’Addis Abeba bien qu’étant le siège de l’Union africaine, n’est pas qualifié pour s’occuper de ce volet.

La participation des Etats africains à ce fonds de plus de 82 milliards n’est pas garantis attendu qu’ils ont d’autres urgences, mais des bailleurs de fonds étrangers sont prêts à mettre l’agent à la poche afin de l’alimenter.  Selon Me Assane  Dioma Ndiaye, l’Union européenne, les Etats-Unis et le Canada sont prêts à alimenter ce fonds.  Mais ces bailleurs n’attendent que le quitus de l’Union africaine qui, à son tour, cherche  le pays qui puisse abriter le fonds. Le Sénégal qui est mieux placé à tout point de vue pour abriter le fonds garde encore le suspens.

Rappelant la disponibilité d’un reliquat d’environ 5 milliards après la tenue du procès, Me Assane Dioma Ndiaye exhorte les autorités sénégalaises à assumer leurs responsabilités jusqu’au bout en acceptant de finaliser ce procès.  «L’Etat du Sénégal et l’Union africaine doivent assumer leur responsabilités jusqu’au bout»,  exhorte Me Ndiaye.

Pour l’avocat, ce procès organisé sur le continent a un impact certain dans les mentalités.  Il note d’ailleurs qu’avec ce procès, il y a « un brouillement partout» sur le continent où les crimes de masse ont été commis. Que ce soit en Guinée sous l’ère Dadis Camara, au Mali sous l’ère Sanogo ou en Gambie pendant les décennies de règne de Yayah Jammeh, après le procès Habré, ou même en Centrafrique il y a eu un déclic chez les victimes de crimes.  Ces dernières s’organisent, convaincus de ce que si les victimes de Habré ont obtenu justice, elles aussi leurs bourreaux peuvent  être jugés et que justice leur sera rendue un jour. Elles sont d’ailleurs accompagnées dans leur démarche par des organisations des droits de l’homme.  En somme, la finalisation du procès Habré, à travers l’indemnisation des victimes, donne un sentiment que le continent a fini avec l’impunité. C’est aussi un avertissement pour tout dirigeant tenté d’abuser impunément de sa position pour opprimer son peuple.

A la question de savoir s’il faut ressembler tous les 82 milliards avant de commencer les indemnisation, l’avocat explique que  ce n’est pas nécessaire. Une fois que le fonds est abrité par un pays, on peut procéder à des indemnisations progressives en accordant  25% ou 50% à chaque victimes  par exemple au fur et à mesure de la disponibilité des fonds.

Le panéliste Senghane Segnhor, militant des droits humains, lui se demande si ce procès était pertinent si on englouti autant de milliards pour juger une seule personne et qu’au finish les victimes ne sont toujours pas indemnisées. Le Dr. Amy Ndèye Fatou Ndiaye, spécialistes du Droit pénal international et enseignante, a pour sa part,  salué la tenue du procès  parce qu’il prouve la « souveraineté judicaire »  du  contient et pour le « symbolisme», cela en valait la peine  « Le procès Habaré était un procès de l’Afrique», estime-t-elle.

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