Pr Philippe Chalmin, Économiste: « Pourquoi j’aurais préféré que le Sénégal ne dispose pas de pétrole »

Pr Philippe Chalmin

 

Son vœu peut paraître un peu incompréhensible, mais, Philippe Chalmin a l argumentaire bien convaincant. Historien et économiste libéral français de renom, ce fin spécialiste des marchés de matières premières ne croit pas au miracle du pétrole. Il se méfie surtout de la «malédiction» que l or noir propage dans les pays où il est découvert. Un sort qu’il ne souhaite vraiment pas au Sénégal, qui vient de découvrir dans ses eaux, d’importants gisements d’or noir.

«Je suis heureux de savoir qu’il y a du pétrole offshore au Sénégal. Mais j’aurais préféré que vous n’en ayez pas (…). La tentation des matières premières est une tentation dramatique. Et je préférerais encore que vous n’en ayez pas. Je pense que vous devriez continuer à raisonner comme si vous n’en aviez pas», conseille le diplômé de l École des hautes études commerciales (Hec), agrégé d histoire, docteur d État ès lettres et sciences humaines de l Université Paris Sorbonne. Cet ancien conseiller du commerce extérieur de la France, membre du Conseil d analyse économique auprès du Premier ministre français en 2006 et consultant de la Banque Mondiale, estime que les matières premières ont un puissant pouvoir de corruption, non seulement des circuits économiques, mais des âmes, des cœurs, des portefeuilles, des hommes et des systèmes politiques. Et très peu de pays, qui disposent de l’or noir, ont pu réussir sa gestion économique et financière et sans ressentir des soubresauts politiques. «Le Sénégal, à la différence de beaucoup de pays africains, comme le Ghana, le Centre Afrique etc., a eu cette chance de ne pas avoir de pétrole. Et je vois une corrélation avec la maturité politique de votre pays et le fait que le Sénégal n’a jamais connu, depuis son indépendance, ni coup d’Etat ni guerre civile. C’est peut-être parce que, jusque-là, il n’y avait pas de pétrole», a souligné le Pr Chalmin, lors d’une conférence.

 Comment le Sénégal pourrait éviter la malédiction du pétrole

 Aujourd’hui que le Sénégal a cette matière première, il devra savoir en gérer les rentes. Surtout s’inspirer des pays qui ont su réussir l’administration de leurs ressources pétrolières, comme la Belgique. «Si vous avez du pétrole, alors exploitez-le. Mais la rente du pétrole isolez-la. Ne la faites pas rentrer dans le budget. Le pétrole c’est comme le cyclisme. Vous êtes un cycliste, vous avez un petit passage à vide et vous vous dites je vais me shooter un peu. Je vais prendre un dopant. Vous devenez un habitué du dopant et vous augmentez la dose. Puis, de plus en plus, vous ne pouvez plus vous en passer. La solution à la norvégienne, c’est de bâtir une sorte de muraille entre le budget normal de l’Etat et la ressource pétrolière qui est uniquement consacrée aux générations futures. Et il y a des investissements portés sur le long terme et non de la consommation courante. C’est la solution idéale», indique le Pr Chalmin lors d’une conférence organisée par Le Groupe de Recherche et d Étude pour la Démocratie et le Développement Durable en Afrique (Greddda). En guise d’exemple, il rappelle que le Ghana avait admirablement bien géré son Cacao pendant longtemps avec la Cocoa Marketing Bank. Et le pays fut longtemps cité en exemple comme un exemple de démocratisation et de développement économique, avant que le pétrole ne vienne, selon lui, tout gâcher. «Manque de chance, ils ont eu du pétrole. Ils doivent produire aujourd’hui entre 200.000 à 300.000 barils de pétrole par jour. L’année dernière le Ghana est allé frapper à la porte du Fmi parce que le développement du pétrole avait complètement déséquilibré l’économie Ghanéenne. Donc j’entends bien que le Sénégal devienne exportateur d’énergie. Vous ne l’êtes pas encore, mais de grâce ne rêvez pas trop en la matière», conseille-t-il.

«Les pays ne décollent pas parce qu’ils ont des matières premières»

 Le Pr Chalmin souligne que «les pays ne décollent pas parce qu’ils ont des matières premières». Et pour preuve, il explique qu’en Europe, il y avait du charbon et des minerais de fer au 18ème et 19ème siècle. Mais, le vrai développement durant cette période y était porté par l’industrie textile à partir du coton importé. Le Japon aussi, ne disposait que de très peu de matières premières et a pu pourtant se développer. «Les histoires de développement économique réussies ne se sont pas faites sur les matières premières. Elles se sont faites sur les hommes, sur leurs nombres, leur capacités à travailler et dans un deuxième temps sur leur niveau de formation», déclare l’économiste libéral.

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