PORTRAIT… Sur le maire de Dakar et adversaire potentiel de Macky Sall à la prochaine présidentielle : Sur la route du Khalifa

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Il est présenté comme le potentiel adversaire de Macky Sall à la prochaine présidentielle, sans qu’il en assume pleinement le statut. Samedi dernier, lors de la rentrée solennelle de l’Ecole du Parti socialiste, sa formation politique, ses partisans ont réclamé publiquement sa candidature devant le Secrétaire général du Ps, Ousmane Tanor Dieng. Qui est vraiment ce Khalifa Ababacar Sall qui divise le Sénégal politique, non pas en deux, mais en quatre? L’Obs a mené l’enquête.

Un militant discipliné, mais aussi un mou qui reflète, au bout du compte, en dépit de sa popularité, une image d’un homme qui a peur. Flou optique ou simple stratégie ? En tout cas, Khalifa Ababacar Sall refuse de manœuvrer à visage découvert, de descendre dans la fosse aux lions, en déclarant ses réelles ambitions. Malgré la volonté pressante de ses partisans de faire de lui, le seul candidat du Parti socialiste à la prochaine Présidentielle et les «provocations» du pouvoir qui essaie de lui mettre des bâtons dans les roues dans sa gestion de la mairie de Dakar, Khalifa Sall reste impassible. Ou presque. «Khalifa a une fausse timidité. Il est extrêmement téméraire, mais très raisonnable et méthodique», précise son ami d’enfance, El Hadji Malick Diop, ancien maire de Tivaouane. En 2009, il accède à la tête de la mairie de la capitale, par le concours de la Coalition Benno siggil Senegaal (Bss). Le contexte lui était tellement favorable qu’on ne saurait jauger sa force politique. Karim Meïssa Wade, alors très controversé, briguait la mairie de la capitale. Aux dernières Locales, il se révèle comme un véritable leader dirigeant la coalition Taxawu Dakar, pour sa réélection. Ses partisans voient en lui un présidentiable et chantent ses réalisations qui ont «changé le visage de la capitale». Mais le ministre Abdoulaye Diouf Sarr, par ailleurs maire de la commune de Yoff, ne retient de son bilan que «quelques pavés et du lait à l’école». Oups ! La mairie de Dakar, aujourd’hui d’une existence virtuelle, du fait de l’Acte III de la décentralisation, suffit-elle pour autant, de faire figure de favori pour le fauteuil présidentiel ? La question divise défenseurs et pourfendeurs du tombeur de l’ex-Premier ministre, Mimi Touré, à Grand-Yoff. Mais passé cette petite victoire qui a fini par faire de lui le premier magistrat de la capitale du Sénégal, qui est vraiment Khalifa Sall ? Est-il ce chef de guerre de la rébellion socialiste, traître magnifique qui orchestre les petits meurtres contre Ousmane Tanor Dieng, sans jamais en assumer la responsabilité, comme l’accusent ses contestataires ? Ou le cheval de Troie socialiste qui viendra mettre fin aux années de courbettes du Ps, en le remettant au pouvoir, comme soutiennent ses partisans ? L’Obs a essayé de lever le mystère sur cet homme qui, malgré son agenda caché, est en route vers le… Khalifa.

Au Ps pour soutenir Senghor

Socialiste pur jus. A 59 ans, Khalifa Ababacar Sall donne encore l’impression d’être un novice dans la politique. Il a confié au magasine Jeuneafrique, en 2012, qu’il a adhéré au Parti socialiste (Ps) à son plus jeune âge. «J’avais été très marqué par les manifestations de mai 1968. Quand j’ai su pourquoi les gens s’en prenaient à Senghor, j’ai été révolté et j’ai voulu le soutenir.» Le maire de Dakar n’était âgé à peine que de 12 ans, quand il rejoint le Ps. Il ne le quittera plus, même après la perte du pouvoir en 2000. «Je ne connais ni le renoncement ni le reniement», martelait-il. Un talisman de parcours.
Aujourd’hui secrétaire national à la vie politique (congrès 2007) «qui fait de lui, le second de Tanor Dieng, de fait», Khalifa Sall a dû trimer pour arriver à ce stade de responsabilités au sein du Parti socialiste. Mais il «n’a jamais rien forcé, il a su prendre son temps pour gravir les échelons», témoigne son compagnon de lutte, Sidy Lô. Responsable de la 4e coordination de Dakar qui regroupait Yoff, Grand-Yoff, Cambérène, Ouakam et membre du directoire national du Ps qui comprenait trois jeunes par région, en 1979, Khalifa Ababacar Sall a, marche par marche, monté les escaliers, jusqu’au sommet. Des fois, par un concours de circonstances. Il est devenu le responsable de l’Union régionale de Dakar, en remplacement de son camarade, victime d’un accident.

1984, l’année de consécration. La réforme du parti intervenue en 1982 qui passe du Directoire national au Bureau national des jeunesses socialistes, profite au maire de Dakar dont le chef patron, Amadou Ciré Diallo, était atteint par la limite d’âge. L’ascension commence. «Quand on est arrivé à la conférence nationale des jeunesses socialistes, je me rappelle toujours Khalifa Sall dans son grand boubou noir, prononcer le discours de bienvenue aux délégués nationaux. Abdou Diouf était venu présider la rencontre», se remémore Sidy Lô. La vérité sur la limite d’âge du secrétaire général ne sera découverte qu’après l’investiture. Mais le destin avait déjà souri à Khalifa Sall. Sidy Lô raconte que «Abdou Diouf était furieux après et avait ordonné à ce qu’il soit relevé, parce qu’il considérait qu’il a triché». Khalifa Sall, «gêné de remplacer un ami», était obligé de prendre la tête des jeunesses socialistes. C’est à Kolda qu’il sera consacré, en 1983, à la tête des jeunesses socialistes qu’il dirige jusqu’au congrès «sans débats» de 1996. «J’ai eu l’honneur de lire la résolution qui élisait Khalifa Ababacar Sall comme secrétaire général national des jeunesses socialistes», révèle-t-il. A la tête des jeunesses socialistes, Khalifa Sall devait se «débarrasser» des adultes qui les chaperonnaient à travers un «encadrement». Il engage ce combat pour leur «indépendance», afin d’intégrer les jeunes dans le bureau politique du Ps. Il était encore membre du comité central. Mais le congrès extraordinaire de mars 1984 est une aubaine. Sous sa houlette, les jeunes socialistes gagnent «la voix délibérative» qui leur permettait de participer aux votes d’installation des structures du parti. Les jeunes ont maintenant les mêmes prérogatives que les adultes. Khalifa intègre ainsi le Bureau politique, en 1984 dont il est aujourd’hui, le deuxième plus ancien, devant Ousmane Tanor Dieng.
Le piège de la bourse étrangère

Son «jumeau» El Hadji Malick Diop confie qu’il a renoncé à une bourse étrangère, sur sa demande, pour poursuivre son chemin politique. «C’était à trois mois des investitures pour la députation. Je lui ai demandé de refuser, parce qu’il avait toutes les chances pour être député. Je lui ai fait savoir que c’était un piège pour l’écarter. Et sur cette base, il a renoncé», révèle-t-il. Il avait raison de l’en dissuader. Khalifa Sall devient «Honorable député» aux élections législatives de 1983, mais sans pour autant, être membre du bureau politique. L’année suivante, au renouvellement du bureau de l’Assemblée nationale, il remplace Mamba Guirassy, père de Moustapha Guirassy, ancien ministre sous Me Abdoulaye Wade, au poste de secrétaire élu, le poste revenant aux jeunes. Il devient le premier jeune à être membre du bureau à l’Assemblée nationale. En novembre 1984, il est devenu adjoint au maire Mamadou Diop à la ville de Dakar, après les élections locales.
La descente aux enfers. Sans «débat», au congrès de 1996, il quitte la structure des jeunesses socialistes pour devenir secrétaire national chargé des élections. Mais déjà en 1993, il était ministre délégué chargé des relations avec les Assemblées et avait cédé le poste de député «aux plus jeunes», parce qu’atteint par la limite d’âge, à son tour. «Sur la liste pour la députation en 1993, il s’est retrouvé à la 56e position», renseigne Sidy Lô. Il hérite de la coordination de Grand-Yoff, puis dirige sa mairie d’arrondissement. En tant que secrétaire national chargés des élections, il conduit les Législatives de 1998 et la Présidentielle de 2000, perdue. Les malheurs s’enchaînent. En 2002, il perd la commune d’arrondissement de Grand-Yoff et la ville de Dakar. Directeur de campagne du candidat socialiste, Ousmane Tanor Dieng, à la Présidentielle de 2007, il vient 2e à Dakar, après le Parti démocratique sénégalais (Pds); ce qui lui donne la chance de diriger la liste de Benno siggil senegal aux Locales 2009.

«Ceux qui pensent que c’est un homme frileux…»

Un calculateur. L’impression d’un homme timide ne fait pas de lui un peureux. C’est une stratégie. A la place du bruit, il a choisi d’agir en sourdine pour attraper sa proie. Khalifa Sall a parfois fait profil bas, à certaines occasions, au point d’irriter ses supporters. Le 21 mars 2014, le Bureau politique du Ps procédait à l’élection de son secrétaire général national. Tous les yeux étaient rivés sur Khalifa Sall qui faisait déjà de l’ombre à Ousmane Tanor Dieng, pour lui succéder. Que nenni ! Le secrétaire national à la vie politique a déjoué tous les pronostics. Mais pas par peur. «Ceux qui pensent que c’est un homme frileux se trompent lourdement. On confond souvent le courage physique au courage politique. Le courage politique, c’est de la lucidité, de l’habileté, et sur ce plan, il a beaucoup de courage. Il est patient, prudent et respectueux des principes, c’est pourquoi, il ne force pas les choses. C’est un homme organisé dans la méthode. Politiquement, il sait se battre et il ne fait que ça, d’ailleurs. Il choisit le bon moment. C’est un homme de combat», relève son conseiller spécial et chargé des affaires politiques, Moussa Taye. Tel un chasseur, le maire de Dakar attend le moment propice pour donner le coup fatal. «C’est un homme méthodique qui n’agit qu’au moment opportun. Quelqu’un qui est pressé ne peut pas cheminer. Il prend tout son temps, analyse la situation avec ses proches et quand il prend la décision, elle est irréversible», martèle son compagnon de lutte, Sidy Lô. Khalifa Sall ne «demande jamais à être devant, mais ce sont les gens qui le réclament. C’est ce qui le différencie des autres», ajoute-t-il. Il est décrit comme quelqu’un qui «a une grande capacité d’écoute et de dépassement et capable d’accepter les critiques les plus acerbes». C’est quelqu’un qui «ne prend jamais une décision à la va-vite», rappelle El Hadji Malick Diop.
Sa candidature à la prochaine élection présidentielle, réclamée par certains et contestée par d’autres au sein du parti, le laisse, du moins, pour le moment, de marbre. «Quand je l’ai interpellé sur son éventuelle candidature à l’élection présidentielle prochaine, voici la réponse qu’il m’a servie : «Comment voulez-vous que je me prononce sur une élection qui n’est pas encore fixée ? Seul Dieu sait». Je sais qu’il est tellement organisé dans sa tête qu’il ne fera pas d’erreur sur cette question», rassure Moussa Taye. Pour qui, cette candidature réclamée est «une volonté divine». Il n’imagine pas Khalifa Sall se présenter à l’élection présidentielle, sans le Ps. «Il a la politique dans le sang. C’est un homme de parti. Si demain, il doit entreprendre une démarche, ce sera dans le cadre du parti», jure-t-il. Dans le bras de fer qui l’oppose au pouvoir central, avec l’Acte III de la décentralisation, l’emprunt obligataire et la gestion des ordures, Sidy Lô ne doute pas un seul instant que son «ami» en sortira vainqueur. «Sa méthode : il laisse ses adversaires poser des pièges, pour ensuite les déjouer. Quelle que soit la volonté de Macky Sall à vouloir lui barrer la route, il vaincra», prédit-il. Son calme olympien fait que «même nous qui le côtoyons au quotidien, il nous est parfois difficile de déceler son humeur». Mais il sait crier quand il le faut : «personne ne peut m’arrêter», a-t-il récemment tonné à l’occasion du «jury citoyen» organisé par Y’en a marre. Un comportement qui rappelle, à bien des égards, celui du jeune chenapan Khalifa Sall, à l’époque des 400 coups dans les rues sablonneuses de Grand-Yoff. Son royaume d’enfance.

«Pa bou déh», catéchiste, arbitre…

L’ancien maire de Tivaouane, El Hadji Malick Diop, a cheminé avec Khalifa Sall depuis leur tendre enfance, à Grand-Yoff. Ils ont fréquenté la même école primaire, Mor Fall du quartier et plus tard, le lycée Blaise Diagne. Pendant 37 ans, les deux «jumeaux ne se sont pas quittés». Issu d’une famille modeste, Khalifa Sall a grandi dans un quartier qui ne laisse pas place «à la peur». A Grand-Yoff, le temps de la jeunesse est fait de castagnes. Mais Khalifa n’a jamais fait de la force son atout, plutôt la sagesse. Ce qui lui a valu le surnom assez moqueur de : «Pa bou déh». Mais Khalifa ne s’est jamais limité au discours, il a su démontrer aux jeunes de sa génération qu’il était bien capable de réussir sa vie, sans heurts. Il s’est, en quelque sorte, tracé sa propre voie à suivre. «On l’appelle «Pa Bou déh», parce qu’il était «vieux jeu». Il était trop mature pour son âge. C’était le sage, le médiateur du groupe. Tout convergeait vers lui. Il a été le premier à être marié de tout le groupe. Il a très tôt eu le sens de la responsabilité, de la mesure et de la méthode», témoigne El Hadji Malick Diop. Etudiant, il logeait au Pavillon des mariés (PM6) et occupait la chambre 13 avec son épouse, Marième Fall. Un amour de jeunesse qui s’est concrétisé, alors que les deux cherchaient encore leur avenir.

«Maman, vendeuse de Couscous». Intello amarré à son fief, rien ne pouvait se faire au quartier Grand-Yoff sans passer par le jeune leader, Khalifa Sall. Lui et ses camarades ont activement participé aux activités de Enda Tiers Monde, dès sa fondation, en 1972, à Dakar, par Jacques Bugnicourt. «Nous avons été les premiers à être recrutés à Enda Tiers Monde. Khalifa a eu à faire tous les mouvements de jeunesses. Tous les mercredis, nous étions avec nos amis chrétiens à suivre des cours de catéchisme à l’Eglise Saint-Paul de Grand-Yoff, parce que notre groupe était uniquement composé de Manjack. C’est nous qui avions construit cette Eglise, dans le cadre de ce mouvement de jeunesse», relève El Hadji Malick Diop. Le «capitaine» Khalifa mobilise ses troupes pour combattre la première inondation qui a frappé Grand-Yoff, «au début des années 1970». Un chef de bande «très discipliné», mais qui s’occupait de l’organisation des manifestations festives. «Quand on organisait des bals, c’est lui qui s’occupait de tout, même du cambiste», révèle M. Diop. Il ne se salissait pas au foot. Mais il se révèle comme un grand arbitre, non sans courir des risques de la furie des supporters de Navétanes. «Je me rappelle une finale de Navétanes où il n’y avait pas de services d’ordre. Khalifa Sall a pris sur lui la responsabilité d’arbitrer le match. Il avait caché un sabre dans son blouson, pour se défendre, en cas d’attaque. C’était le seul qui acceptait d’arbitrer ces genres de matchs. Mais je ne l’ai jamais vu se bagarrer». Pa bou déh devait donner des exemples partout, même dans le travail. Mais le sage a eu une mauvaise expérience dans une usine où il a failli laisser la vie. «Il travaillait en journalier dans une usine de surgélation de produits frais sur la route de Rufisque, raconte El Hadji Malick Diop. Au moment où il était à l’intérieur d’une chambre froide, on l’a enfermé. C’est plus tard que les gens se sont rendu compte qu’il était absent. Il a failli y mourir d’hypothermie.» Garçon débrouillard qui ne rechigne pas à la tâche, Khalifa s’est toujours battu pour aider sa maman, vendeuse de couscous et son père Mbaye Sall, commerçant, dans la gestion financière de la grande maisonnée.

Homonyme de Khalifa Ababacar Sy par hasard

«Fils de Gankette». C’était son destin, mais ce n’était pas prévu. Khalifa Sall est né à Louga en 1956, au cours du voyage de sa famille, en route vers Dakar. «Les parents de Khalifa Sall avaient quitté le village de Gankette pour rallier Dakar. Ils ont passé deux nuits à Louga. Et de ce séjour bref dans la capitale du Ndiambour est né Khalifa Sall», narre Sidy Lô, qui tient cette histoire du père du maire de Dakar, Mbaye Sall. Il poursuit : «C’est la sœur de Serigne Babacar Sy qui lui a donné le nom de Khalifa Ababacar Sy. Il est né dans la maison où est née la sœur de Serigne Babacar Sy. C’est la maison où habitait aussi El Hadji Malick Sy à Louga. Juste après son baptême, son père a continué son chemin pour venir s’installer à Dakar, c’était en 1956.» Depuis lors, Khalifa n’a plus quitté Dakar pour aller habiter ailleurs. Son père commerçant s’est installé d’abord à Nimzatt puis à la Médina, avant de se sédentariser à Grand-Yoff où Khalifa Sall a vécu jusqu’à ce jour. «Il est très lié à la famille Sy. Il est pieux. Il jeûne les lundis et les jeudis. Il se ressource beaucoup auprès de son homonyme, Serigne Ababacar Sy. Mais aussi, il est très ouvert aux autres familles religieuses (Touba, Yoff Layène, Médina Baye etc.) Khalifa est un homme très équilibré.» Un parfait funambule qui rêve d’un destin présidentiel.

 
 

 

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