Petrotim n’aurait dû jamais travailler au Sénégal

Retour sur les points saillants du rapport accablant de l’IGE qui fait actuellement débat, concernant la concession à PetroTim des blocs pétroliers Cayar profond et Saint-Louis profond 

Depuis quelques jours, le débat s’est amplifié par la magie des réseaux sociaux, quant à l’existence ou non du rapport de l’Ige sur la concession à Petro Tim des blocs pétroliers Cayar profond et Saint-Louis profond. Même des personnalités bien placées dans les rouages de la République ont tenu à se prononcer, pour nier l’existence du rapport ou au contraire pour la confirmer.

Le Quotidien n’a pas eu besoin d’entreprendre des investigations sur la question, parce que ledit rapport, il l’avait publié en mai 2017. N’ayant aucune autorité pour déclassifier un document destiné à l’institution suprême, on s’est juste contenté de le parcourir et d’en sortir de larges extraits. Mais le compte rendu fait à l’époque était si exhaustif qu’il ne nous a pas semblé nécessaire, malgré tout ce temps, d’ajouter des éléments nouveaux. Tout ce dont on parle aujourd’hui était déjà connu, sauf quelques faits qui ont fait la particularité du reportage de Panorama sur la Bbc.

Pour le reste, il convient juste d’ajouter que le ministre Aly Ngouille Ndiaye avait saisi la Rédaction à l’époque de la publication du dossier pour se désoler qu’on n’ait pas jugé utile de lui donner la parole. Il avait à l’occasion précisé qu’avant cela, il n’avait jamais entendu parler dudit rapport, dont même les enquêteurs de l’Inspection générale d’Etat ne lui avaient pas parlé.

Petro Tim n’aurait jamais dû entrer dans le secteur pétrolier sénégalais. Au-delà du bruit et de la fureur qui entourent le nom de cette compagnie, surtout portés par le fait que le nom du frère du Président Macky Sall y serait lié, l’Inspection générale d’Etat, dans son rapport d’enquête 94/2012 d’octobre 2012, suggérait déjà à l’autorité que les permis octroyés à Petro Tim soient retirés «en raison des irrégularités qui entachent la validité de la convention signée avec Petro Tim qui en est le substrat».

L’enquête de l’Ige avait été lancée à la suite d’une plainte de la compagnie Tullow oil Sénégal qui avait écrit aux autorités à l’époque pour se plaindre du traitement qui lui a été réservé par Petrosen. Le 2 mai 2012, la directrice Sénégal de Tullow oil, Mme Awa Ndongo, avait saisi le ministre chargé de l’Energie à l’époque pour déclarer irrégulière la convention de recherche et de partage d’hydrocarbures liant l’Etat à Petro Tim. Elle déclarait dans sa correspondance, à la base de l’enquête de l’Ige, que «les blocs attribués à Petro Tim faisaient l’objet de négociations entre Petrosen et sa société, que les négociations étaient tellement avancées que les dirigeants de Tullow oil Plc, la société-mère de Tullow oil Sénégal, ont effectué des déplacements à Dakar».

La correspondance de la dame ajoutait par ailleurs que le Dg de Petrosen lui avait demandé le paiement d’1 million 500 mille dollars américains à titre de paiement de bonus de signature par bloc sollicité. Mais, ajoute le rapport, «à sa surprise, elle a appris que les blocs concernés ont été attribués à Petro Tim limited, avant même que la demande de paiement de bonus de signature n’eût été formulée, ce que n’ignorait pas le directeur de Petrosen». En clair, la dame fait comprendre que le directeur de Petrosen à l’époque voulait «escroquer» son entreprise.

La convention, objet de litige, portait sur les blocs de recherche de Cayar offshore profond et Saint-Louis offshore profond. Interrogé par l’Ige, le Dg Mbodj aurait rétorqué que «sa demande a été motivée par la volonté de rendre attractive l’offre de Tullow qui n’était pas seule à solliciter les blocs concernés». Argument battu en brèche par les enquêteurs de l’Ige. En fait, dès le départ, Petro Tim n’aurait même pas dû être retenue, et encore moins autorisée à présenter une offre de convention.

Le coup de pouce de Karim Wade

L’Ige assure que c’est suite à un courrier adressé au ministre de la Coopération internationale, du transport aérien, des infrastructures et de l’énergie, Karim Wade, et daté du 3 octobre 2011, que le représentant de Petro Tim limited, M. Wong Joon Kwang, a manifesté son intérêt pour les blocs de Saint-Louis offshore profond et Cayar offshore profond. Le 10 octobre de la même année, soit à peine une semaine après, le ministre Karim Wade donne, par courrier, des instructions au Dg de Petrosen de prendre contact avec les représentants de Petro Tim, d’étudier leurs propositions et de voir les modalités d’une éventuelle délivrance de permis de recherche et d’exploration sur les blocs sollicités.
A la suite de quoi, en avril 2012, M. Wong Joon Kwang s’est félicité d’avoir pu conclure avec Petrosen un contrat sur les blocs cités, et s’est engagé à mettre rapidement en place les procédures et les équipements nécessaires, ainsi que le personnel requis pour entamer le travail.

Aux enquêteurs de l’Ige, Ibrahima Mbodj a affirmé qu’il «n’y a pas eu de négociations entre Petro Tim et la commission d’évaluation de Petrosen, car les instructions du ministre ont consisté à lui présenter un con­trat signé, elles n’ont pas consisté à entamer des négociations». Le Code pétrolier définit de manière claire la procédure pour obtenir un permis de recherche et d’exploration d’hydrocarbures.

Quand des prospecteurs formulent une demande de recherche d’hydrocarbures, l’Etat, par le biais du ministère en charge des Hydrocarbures, négocie une convention avec les demandeurs. Ladite convention, une fois aboutie, est signée par le ministre et le représentant légal du ou des demandeurs, après avis conforme du ministre en charge des Finances. A la suite de quoi, la convention est soumise à l’approbation du président de la République, et le décret et la convention sont publiés au Journal officiel.

Le Code pétrolier indique que Petrosen, société d’Etat, a la charge de recevoir les demandes de permis de recherche et d’effectuer les démarches pour le compte de l’Etat. Par ailleurs, aux termes de la loi sur le Code pétrolier, toute demande de permis de recherche doit être inscrite au registre spécial des hydrocarbures. Il est dit que «l’administration chargée du secteur des opérations pétrolières ouvre un registre spécial des hydrocarbures, tenu à jour. Y sont répertoriés et datés tous les demandes, octrois, résiliations ou autres éléments concernant les titres miniers d’hydrocarbures et les contrats de services».

Dans ce registre sont annexés les cartes géographiques et les périmètres des zones objets des autorisations de prospection, des permis de recherche et de concession d’exploitation relatif aux contrats de services. Le cas échéant, les zones interdites aux opérations pétrolières y sont également délimitées.

Ce registre doit être tenu à jour, sous peine de violation de la loi. Or, au cours de son enquête, l’Ige a pu constater que «le registre existe, mais il n’est ni coté, ni mis à jour. Toutes les demandes de recherche d’hydrocarbures et les contrats de services n’y sont pas répertoriés. En lieu et place, la direction des Hydrocarbures a élaboré un tableau de bord des activités d’exploitation d’hydrocarbures. Mais il ne répertorie que les titres miniers d’hydrocarbures définitivement attribués, c’est-à-dire approuvés et publiés».

Le fait que le registre ne soit pas tenu à jour a eu pour conséquence, selon l’Ige, que la manifestation d’intérêts relative aux blocs sédimentaires de Saint-Louis offshore profond et de Cayar offshore profond, introduite par Petro Tim, n’y est pas répertoriée.

Petro Tim, une demande jugée irrecevable

Quoi qu’il en soit, les Inspec­teurs généraux d’Etat ont relevé que la manifestation d’intérêts de Petro Tim n’a pas été enregistrée dans le registre spécial des hydrocarbures, tel que prescrit par le Code pétrolier. Par ailleurs, ladite demande ne comporte aucune mention des capacités financières et techniques de la compagnie, ni non plus les noms et adresses des membres fondateurs de l’entreprise. Or, ces éléments font partie des prescriptions du décret d’application de la loi sur le Code pétrolier. Cela était d’autant plus impératif dans le cas d’espèce que, assurent les enquêteurs, «Petro Tim a été immatriculée aux Îles Caïmans le 19 janvier 2012, sous le numéro 265741, donc postérieurement à l’octroi du permis».

Autre contre-vérité relevée par l’Ige, Petro Tim a été présentée dans le rapport de présentation du décret, portant approbation de la convention, comme une filiale de Petro Asia. Sur ce sujet, les enquêteurs se veulent formels : «Petro asian energy holdings, dénommée Petro asian, répertoriée dans le Hong Kong stock exchange en 2002, n’a pas de filiale du nom de Petro Tim limited». Autre élément de disqualification, l’avis conforme du ministre en charge des Finances, requis par la loi, n’a pas été pris ; d’où la conclusion nette du rapport de l’Ige : «La demande de permis présentée par Petro Tim n’était pas conforme aux exigences de l’article 8 du décret n°98-810. A cet égard, elle devait être déclarée irrecevable, en application de l’alinéa 2 de l’article 14 dudit décret». Les enquêteurs ajoutent que le fait même de demander a posteriori l’avis conforme du ministre en charge des finances «n’a aucun effet sur l’irrecevabilité relevée». Par conséquent, soulignent ces hauts fonctionnaires, le permis accordé à Petro Tim aurait dû lui être retiré toutes affaires cessantes.

Tullow oil écartée et escroquée

L’Ige a également pu établir que, concernant le bloc de Cayar offshore profond, Petrosen était parvenue à un accord avec Tullow oil dès janvier 2010. Une convention devait même être signée en mars de cette année. Samuel Sarr, alors ministre de l’Energie, avait envoyé plusieurs courriers à son homologue en charge des Finances pour solliciter son «Avis conforme», ainsi que le prévoit la loi. Dans une correspondance datant du 3 mai de la même année, le ministre Samuel Sarr rappelait à son collègue Abdoulaye Diop que, conformément aux dispositions du décret 98-810, faute de réponse de sa part, il devait considérer l’«Avis sollicité» comme conforme. L’Ige se demande pourquoi le ministre Karim Wade, qui a pris le relais de Samuel Sarr à l’Energie, n’a pas voulu tenir compte de cette procédure. Mais au moment de l’enquête de l’Ige, Karim Wade était en dehors du pays et n’a pu être interrogé.

Tullow oil avait néanmoins dû régler une indemnité de pénalités de 3 millions de dollars américains pour inexécution d’engagements contractuels pris sur le bloc Saint-Louis offshore peu profond, que la compagnie avait repris de Africa energy qu’elle avait rachetée. Cette indemnité lui était réclamée par lettre du ministre Karim Wade, datant du 10 février 2012. Tullow affirme s’être acquittée de cette demande et avoir versé l’argent dans un compte bancaire de Petrosen. Les Ige estiment que ce montant aurait dû être versé au Trésor public et non laissé à la disposition de Petrosen. Ils ont alors demandé son remboursement sous peine de poursuites pour recel de deniers publics.

Autre manquement, s’agissant de Ibrahima Mbodj, il lui a été reproché par Tullow oil d’avoir demandé le paiement d’un bonus de signature de 1,5 million de dollars américains pour chacun des blocs que sollicitait la compagnie. M. Mbodj aurait exprimé cette demande par un e-mail envoyé le 19 janvier 2012 au Dg de Tullow oil Sénégal. Cette demande était faite alors que le représentant de Petrosen savait, selon Tullow, que les blocs avaient été attribués à Petro Tim ; ce qui est interprété comme une tentative d’escroquerie.

Interrogé, Mbodj a affirmé avoir voulu «rendre attractive l’offre de Tullow, qui n’était pas seule à solliciter les blocs concernés». Il aurait ajouté que ladite demande de bonus qui, selon lui, n’était pas interdite par la loi aurait été formulée avant la conclusion du contrat signé avec Petro Tim.
L’Ige a démontré que la demande de bonus de signature était contraire à la loi, et il était illégal de le faire. De ce fait, Ibrahima Mbodj devait être poursuivi pour tentative de concussion, aux termes de l’article 157 du Code pénal.

M. Mbodj a déclaré avoir soumis au ministre de tutelle la convention avec Petro Tim en mars 2012. Selon lui, ladite convention lui serait revenue du ministère en comportant une date antérieure à sa conclusion et à sa transmission pour contreseing.

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