Peste, variole, choléra… : Plongée dans l’histoire des épidémies meurtrières au Sénégal

Le Sénégal renoue depuis quelques jours avec les épidémies, avec ses 27 cas confirmés de coronavirus. Des épisodes épidémiques meurtriers de peste, variole, fièvre jaune, choléra et grippe espagnole, ont rythmé l’histoire du pays, le siècle dernier. Retour sur ces douloureuses séquences du passé.
La psychose est générale ! Après 4 cas importés, un foyer interne de transmission de Covid-19 s’est installé dans la ville de Touba qui compte à elle seule 17 cas confirmés et plus de 71 cas potentiels. La pandémie du coronavirus prend de l’ampleur au Sénégal, même si pour l’instant, aucun mort n’est signalé. Contraint de réagir, le président de la République a ainsi pris des mesures sévères de confinement pour stopper la propagation de la maladie et éviter les épisodes malheureux du passé.
En effet, dans l’histoire du Sénégal, on dénombre plusieurs épidémies, avec leurs lots de morts. Durant tout le siècle dernier, Dakar était quasiment transformé en une nécropole par une série intermittente d’épidémies, les unes plus dévastatrices que les autres. Ce phénomène n’est donc pas nouveau, même si de nos jours, la médiatisation est plus accrue. L’espace sénégambiens était touché par de grandes épidémies : la peste, la variole, la fièvre jaune et le choléra.
La fièvre jaune, le premier résistant à la pénétration française
Ces épisodes anciens ont débuté dès 1816, quand la France a repris le Sénégal des mains des Anglais. La tradition orale et les écrits anciens ont relaté ces séquences très douloureuses de l’histoire du Sénégal. Il y avait 4 maladies épidémiques qui constituaient la préoccupation des autorités coloniales, c’est ce qu’on appelle les maladies quarantenaires : la fièvre jaune, le choléra, la peste et la variole.
« La fièvre jaune fait partie de ce qu’on appelle « pathologie exotique » (maladie tropicale). Mais les autres sont des maladies infectieuses universelles qu’on retrouve partout dans le monde. En 1816, la fièvre jaune était la maladie qui préoccupait le plus les Européens », renseigne Mor Ndao, historien, chef du département d’Histoire à l’Ucad et auteur de plusieurs ouvrages consacrés au Sénégal colonial. A l’époque, la fièvre jaune, encore appelée pathologie sentinelle des côtes africaines, était considérée comme le premier résistant à la pénétration coloniale.
« Elle empêchait l’implantation des Européens sur la côte. A l’époque, les rapports des autorités sanitaires et les écrits estiment que durant tout le siècle, de 1816 jusqu’en 1934, pratiquement la fièvre jaune a touché sans discontinuité les populations de la Sénégambie », rapporte-t-il.
L’administration coloniale elle-même a payé un lourd tribut. En effet, l’épidémie de fièvre jaune de 1839 qui se prolonge jusqu’en 1883 avait décimé 21 des 25 médecins et pharmaciens français qui officiaient au Sénégal.
Dans son article intitulé « épidémie et société », l’historien Adama Aly Pam, relate les circonstances de cette épidémie et en tire une conclusion qui en dit long sur la gravité de la situation : « si Lat-Dior le savait, il pouvait prendre Saint-Louis ». Une thèse confirmée par Mor Ndao. « Il n’y avait aucun soldat français pour défendre Saint-Louis. Toute la troupe était décimée et ceux qui restaient, étaient retranchés à l’infirmerie de Gandiole (Saint-Louis), une structure sanitaire de premier niveau, une sorte de dispensaire ».
1868, le choléra décime la vallée du fleuve Sénégal
En 1868, le choléra sévissait dans l’espace sénégambien avec une forte violence. Les populations autochtones (les Sénégalais) étaient touchées de plein fouet par la maladie, ravageant toute la vallée du fleuve Sénégal. « Cela a d’ailleurs facilité le mouvement Madiyanké de Ahmadou Cheikhou. Il y avait à l’époque une épidémie violente de choléra dans tout le nord du Sénégal », précise Ndao.
Il était très difficile à l’époque d’estimer le nombre de morts mais les rapports et témoignages de l’abbé David Boilat indiquent qu’il y avait « des cadavres partout et les villages qu’on appelait à l’époque « Guente » étaient désertés ».
Il faut signaler qu’à l’époque, le niveau technique et technologique de la médecine n’était pas aussi efficace, notamment dans les colonies africaines. C’était l’ère des ventouses et des potions à l’ail ou au vinaigre de cidre.
La peste et la création de Ponty village, actuel Médina
L’autre épidémie qui a déstructuré les villes coloniales de l’Afrique de l’ouest notamment Dakar, c’est surtout la peste.  Elle apparaît en 1912 et se poursuit jusqu’en 1918. Comme le coronavirus aujourd’hui, la peste était importée. Si l’aéroport Blaise Diagne est aujourd’hui la porte d’entrée du Coronavirus, en 1912 c’était le port de Dakar qui était le point d’accès principal de la peste. Une zoonose transmise par les rats et les puces, tout comme le coronavirus.
L’administration coloniale avait pris des mesures de confinement radicales allant jusqu’à raser tous les villages traditionnels (les pencc Lébous) qui se trouvaient autour de l’actuel palais de la République et la cathédrale de Dakar, jusqu’à Niaye Thioker en 1914, en raison de l’ampleur de l’épidémie et son cortège de morts.
Toutes ces populations noires de Dakar ont été relogées à Ponty village- qui deviendra la Médina-, un bas-fond créé en août 1914 quand l’épidémie a atteint son pic, pour confiner les populations noires de Dakar.
« Entre Ponty village et le plateau, on a édifié un espace « non ædificandi » (zone non constructible), un cordon sanitaire de 200 mètres de largeur qui sépare la ville africaine de la ville européenne. Beaucoup de Sénégalais n’avaient pas accès à la ville européenne. Les rares qui en avaient accès étaient contrôlés. Les colons cherchaient à confiner la peste dans la ville africaine. Si vous voyez le Plateau, il est construit en hauteur. L’architecture est bien imaginée pour lutter contre les épidémies en contraignant les Africains à rester dans les bas-fonds, à l’intermédiaire (de la rue fleurus jusque vers Sandaga) c’était la zone occupée par les Levantins (les libano-syriens). Ce qu’on appelle le crédit foncier jusqu’à Petersen (avec les frères Petersen qui ont mis en place l’une des premières huileries) », raconte l’historien. L’épidémie avait donc fini par restructurer l’espace.
Sévère mesure de confinement à Yoff
La situation était nettement plus grave à Yoff. Elikia Mbokolo dans son ouvrage « Peste et société urbaine à Dakar : l’épidémie de 1914 », rapporte que la peste avait été « apportée très tôt soit par des gens fuyant les mesures sanitaires imposées dans la ville de Dakar, soit par des pêcheurs qui n’avaient cessé d’y venir, en pirogue, pour vendre du poisson. La maladie prit, presque aussitôt, la forme bubonique ».
« La contagion s’exerçait d’autant plus activement que le village était composé de baraques, mais surtout de paillotes, serrées, entassées les unes sur les autres, avec, au centre de chaque groupement de 5 ou 6 cases, une étroite courette clôturée, commune à plusieurs familles et où grouillaient, pêle-mêle, dans une saleté repoussante, des femmes, des enfants rongés par la vermine, parmi des déjections des malades et des agonisants », narre-t-il.
La mesure de confinement avait donc aggravé la situation. Et l’administration coloniale avait pris la décision de faire encercler le village par un cordon de 150 tirailleurs afin de mettre les habitants hors d’état de pourvoir à leur subsistance. « L’administration crut bien faire en distribuant quotidiennement à chaque homme une ration comprenant 500 grammes de riz, 50 grammes d’huile, 40 grammes de sel et 250 grammes de poisson ou de viande », raconte Mbokolo.
Malheureusement, « cette alimentation déficiente affaiblit gravement la population » car elle provoqua de multiples cas de béribéri, « créant ainsi un terrain favorable à la diffusion de la peste ».
Le rôle d’El Hadji Malick Sy pour la vaccination des populations
Sur le terrain, la gestion des contaminés et des cadavres était très difficile à l’époque. On procédait, difficilement, à l’inhumation des morts sans la présence de leur famille pour éviter d’éventuelles contaminations. La situation était hors de contrôle pour le gouverneur William Ponty qui a eu toutes les peines du monde pour gérer cette épidémie.
« Il y a eu des émeutes à cette époque à Ponty village, parce que les populations refusaient de se faire vacciner car elles disaient que la vaccination c’était une vengeance contre l’élection de Blaise Diagne en 1914 au parlement Français », relate Mor Ndao.
Une répression sévère s’en est suivie. « C’est le guide religieux El Hadji Malick Sy qui est venu négocier avec William Ponty et a convaincu les populations en prêchant par l’exemple. Il s’est lui-même vacciné. C’est après ces évènements qu’il (El Hadji Malick Sy) a rebaptisé Ponty village pour le dénommer Médina. C’est à l’époque, en 1918, qu’on a créé la polyclinique pour procéder à la médicalisation des sociétés africaines », renseigne l’historien.
Deux autres séquences épidémies de peste vont secouer plus tard le Sénégal : 1927-1930 et 1944.
La variole, à l’origine de la création du laboratoire microbiologique
Tout comme la peste, l’épidémie de variole a été très violente. De 1818 jusqu’en 1859, le Sénégal a connu une série d’épidémies de variole sans répit. A en croire Mor Ndao, c’est ce qui a motivé la création du premier laboratoire microbiologique de Saint-Louis en 1896 (situé à Sor vers le château d’eau). Le laboratoire microbiologique de Saint-Louis est l’ancêtre de l’actuel institut Pasteur de Dakar.
« En 1913, le laboratoire de Saint-Louis est déplacé à Dakar et c’est en 1921 qu’une convention est signée avec l’institut Pasteur et le laboratoire biologique de l’Afrique occidentale française est transformé en Institut Pasteur à Dakar, rattaché à la filiale de Paris », rappelle-t-il.
2 millions de morts de grippe espagnole en Afrique
Apparue en 1919, la grippe Espagnole a fait plus de morts que la conquête coloniale et la traite négrière. Elle occasionne plus de 2 millions de morts en Afrique. « Les rapports des autorités coloniales ont dit que ce sont les gens qui venaient de la Mecque qui l’ont ramené », confie Mor Ndao. C’était une véritable épidémie de grippe très violente qui sévit à partir du port de Dakar et qui se diffuse à travers toute l’Afrique occidentale française.
Ces épisodes épidémiques très meurtriers ont rythmé tout le siècle dernier. A titre illustratif, l’épidémie de choléra de 2004 à 2006 a enregistré 29 556 cas avec une létalité de 1,38%. Bien avant, le Sénégal avait enregistré deux épisodes de la même maladie entre 1971 et 1973, puis entre 1995 et 1996.
Depuis, l’eau a coulé sous les ponts et le Sénégal semble, tant bien que mal, faire face aux assauts répétés de ces « armées invisibles ».

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