Papa Bouba Diop est un homme discret. Toujours considéré comme un héros au Sénégal après son but contre la France en 2002, il a préféré retourner vivre à Lens après sa retraite. Aujourd’hui, il refuse de parler de ce qui occupe ses journées, car ce n’est « pas important » , mais est bien plus prolixe lorsqu’il s’agit d’évoquer les Lions, Sadio Mané et la Coupe du monde.
Cette année, le Sénégal fait son retour en Coupe du monde, pour la première fois depuis 2002. Ça doit faire remonter des souvenirs, notamment ton but contre la France face à Barthez…
Oui bien sûr. C’est quelque chose qui marquera ma vie pour toujours. Quatre ans avant, en 1998, on était devant la télé. Au Sénégal, on était pour la France. Quand ils ont gagné, on était dans la rue, on jubilait. Alors quatre ans après, tu marques contre cette équipe… C’est un truc qui a marqué toute ma vie, mes enfants, ma famille. C’est quelque chose que personne n’oubliera jamais au Sénégal. J’y repense parfois, et je me rends compte que le monde du foot, c’est fou.
Tu le regardes parfois sur Internet, ce but ?
Oui, mon fils me le montre souvent. Il est fier de son père, donc il en parle. Quand il discute avec ses copains, il montre la vidéo en disant que son papa a marqué contre la France, contre Zidane, Henry tout ça. C’est quelque chose quand même. On a fait l’exploit.
Grâce à ce but, tu es nommé pour le Ballon d’or ! C’est ça ton meilleur souvenir ?
Mais oui, je me rappelle ! Je l’ai raconté à mon fils cette année. J’ai fini 21e quand même (avec deux votes, ndlr). Mais le but contre l’équipe de France reste mon meilleur souvenir. La France nous avait colonisés, on parle français, on rêvait tous d’y aller un jour. Et puis on joue dans le championnat de France, donc il y a plein de choses qui font que c’est spécial. C’est dans l’histoire.
Vous aviez fait l’exploit de vous qualifier en quarts de finale. Est-ce que les joueurs de l’équipe ont gardé contact ?
Avec la génération 2002, on a joué l’année dernière contre les amis d’Anelka. Un dîner de gala avait été organisé ensuite pour Afrivac (une fondation qui sensibilise la population aux vaccins, ndlr). On a fait ce match, il y avait tout le monde, Lamine Diatta, El Hadji Diouf, Pape Sarr, Habib Bèye… C’était génial. Bien sûr, on garde le contact. On se téléphone, on s’envoie des messages. Et puis quand je suis au Sénégal, je les vois au restaurant par exemple.
Tu es encore considéré comme un héros au Sénégal grâce à ça, tu t’en rends compte ?
Peut-être. Je ne pense pas que je suis un héros, j’étais dans l’équipe et j’ai eu la chance de marquer. Mais c’est vrai que je retourne souvent au Sénégal, à chaque vacance, tout le monde m’en parle. Dans la rue, les restaurants, les magasins.
Le Sénégal fait son retour en Coupe du monde cet été. Comment est-ce que tu vis ça ?
C’est une grande fierté, bien sûr. Mais ce n’est pas normal que le Sénégal ait loupé toutes ces compétitions internationales. Ça n’est vraiment pas normal parce qu’on a les joueurs. Moi, je suis en contact avec la Fédération, ceux qui dirigent l’équipe, on en discute et on est tous d’accord là-dessus.
Qu’est-ce que tu penses de ce tirage ? La Colombie, la Pologne et le Japon, ce n’est pas évident…
C’est un très bon tirage, on ne peut pas avoir mieux. Avec ça, ils peuvent faire mieux que nous en 2002. Et je leur souhaite. Nous, on était en quarts de finale, j’espère qu’ils pourront le faire. Après, on est qualifiés et c’est déjà bien. Mais c’est faisable. De toute manière, quand tu es qualifié pour la Coupe du monde, il n’y a pas le choix. Tu n’es pas là pour éviter la France ou quoi. Si tu veux être grand, il faut rencontrer les grands, c’est comme ça.
Mané, Koulibaly, Baldé, Matip, il y a des sacrés joueurs sur le papier. C’est plus fort que vous à l’époque ?
Derrière, au milieu, devant, on a tout ce qu’il faut. Mais il faut que les joueurs pensent autrement. Ils regardent trop petit. Il faut voir plus grand. Il y a des individualités qui sont bonnes, mais l’équipe c’est autre chose. Nous quand on voulait quelque chose, on était tous ensemble, on jouait ensemble. Il faut qu’ils prennent conscience de cela, qu’ils prennent exemple sur nous, en complétant avec leur talent.
Un mot justement sur Sadio Mané, c’est la star de cette équipe ?
Sadio Mané, ça va être quelque chose. Je pense qu’il sera Ballon d’or d’ici quelques années. Ce qu’il fait… C’est un bonheur de le voir jouer. Mais il faut qu’il continue de travailler comme ça. Messi et Ronaldo ne vont pas tarder à prendre leur retraite. Il va y avoir de la concurrence avec les joueurs qui arrivent derrière. Pour Sadio, il faut garder le tempo quoi. C’est la star aujourd’hui, mais il faut que toute l’équipe soit derrière lui. Il faut que les joueurs acceptent qu’il y ait une star dans l’effectif. En France c’était Zidane, aujourd’hui c’est Griezmann. L’Argentine c’est Messi. C’est comme ça. Pour chaque pays, il y a quelqu’un dont on parle plus que les autres, mais le plus important reste l’équipe.
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Un dernier mot sur le RC Lens. Tu as laissé un très bon souvenir là-bas, tu y habites toujours. Comment vis-tu la situation actuelle du club ?
Ça fait mal de les voir avec des résultats comme ça. L’année dernière, on a loupé quelques matchs et on n’est pas montés en Ligue 1. La ville a un peu changé aussi. À mon époque, ou les années avant moi, quand Lens jouait à la maison, ça vivait, ça bougeait, les gens sortaient les drapeaux, il y avait les maillots, les gens étaient dans les bars. Aujourd’hui, il n’y a plus ça. Parfois, tu vois les gens aller au stade, mais tu ne sens pas le truc d’avant. Les gens étaient contents, c’était une fête. Mais c’est vrai que quand j’ai quitté la Suisse pour venir ici, c’était autre chose. Ce n’était pas le Lens d’aujourd’hui. On jouait les grands rôles, les cinq premières places. C’était mon rêve.