Panne de l’appareil de radiothérapie : Là où l’Etat a failli !

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Panne de l’appareil de radiothérapie : Là où l’Etat a failli !

Depuis l’annonce de la panne de l’unique machine de radiothérapie de l’hôpital Aristide Le Dantec de Dakar, le Sénégal évacue ses malades du cancer au Maroc. Pourtant, les autorités de l’Etat, le gouvernement en particulier, étaient au courant, depuis juillet 2016, que la seule et unique machine de radiothérapie que compte le pays, vivait ses derniers jours. Mais rien n’a été fait jusqu’à ce que l’information sur l’arrêt de la machine, due à des pannes répétitives, soit rendue publique dès janvier 2017. Retour sur une polémique dont le gouvernement aurait pu faire l’économie.

«Pas de quoi ameuter l’opinion»

L’affaire aussi grave parait-elle, n’en est pas moins une panne, à en juger par la réaction du chef de l’Etat. Sauf qu’ici, ce sont des vies humaines qui sont en jeu.  «Il n’y avait pas lieu de polémiquer sur cette question. Il y avait à l’Hôpital Le Dantec une vieille radio cobalt et elle était défectueuse. Le gouvernement va acheter une nouvelle machine. L’argent est disponible. La machine sera là». Ainsi s’exprimait le président Macky Sall depuis Dubaï, en février dernier, pour fustiger les sorties intempestives contre son gouvernement, indexé dans l’affaire de la panne de l’unique machine de radiothérapie du pays. Une panne qui aurait pu être anticipée, si les autorités, alertées le 12 juillet 2016 par un député de l’Assemblée nationale, s’était intéressées de plus près à la question.

«J’ai adressé une question écrite au gouvernement qui est restée sans suite»

Au cœur de cette affaire, une parlementaire qui se dit très mal à l’aise à cause de ce qu’elle voyait venir et qui à son avis, n’a pas été géré à temps par le gouvernement. «A plusieurs reprises, j’ai eu à interpeller nos ministres lors de leurs passages à l’Assemblée nationale, sur l’urgence à trouver une solution durable au problème de la prise en charge des cancéreux au Sénégal, notamment par la radiothérapie», soutenait Mme Mame Mbayame Guèye Dione Ba, députée du Mrds à l’Assemblée nationale.

Seneweb s’est procuré le document dans lequel la dame attirait l’attention du gouvernement sur la question. «En juillet 2016, après m’être entretenue avec Dr Abdoul Aziz Kassé et avoir visité le service de radiothérapie de l’institut du cancer Juliot-Curie, sis à l’hôpital Aristide Le Dantec, j’ai adressé une question écrite au gouvernement qui est restée sans suite!», déplore la parlementaire, dans un courriel dont Seneweb détient copie. Et dans lequel elle déclarait avoir l’impression, «en écoutant et lisant les médias, que le peuple croit que les députés n’ont rien fait pour que les problèmes de santé de nos populations soient abordés», ce qui justifie, selon elle, sa sortie, par devoir.

En décidant de partager ce courriel, l’objectif, dit-elle, n’est pas «pour m’en glorifier car mes attentes n’ont pas été satisfaites, ni pour montrer qui que ce soit du doigt, mais plutôt pour laver cette accusation trop facilement faite aux députés qui se sont battus durant toute cette douzième législature pour défendre les droits des populations!».

Annulation de la ligne budgétaire pour la création du deuxième Institut de cancérologie du Sénégal

Dans sa question écrite au gouvernement, Mame Mbayame Guèye a voulu interpeller les autorités sur la prise en charge des cancéreux au Sénégal, en ces termes. «Nous avions pu constater lors de l’adoption de la première loi de finances rectificative de juin 2016, l’annulation de la ligne budgétaire de plus d’un milliard huit cents millions, prévue pour la création du deuxième Institut de cancérologie du Sénégal. Ces fonds auraient pu être réalloués à la réfection et à la mise aux normes du seul Institut du cancer du Sénégal, l’Institut Juliot Curie, sis à l’Hôpital Aristide Le Dantec, pour une meilleure prise en charge des cancéreux. Le personnel de ladite structure fait de son mieux pour assurer aux malades des soins de qualité, mais le manque de ressources (humaines, financières et matérielles) rend l’exercice difficile voire risqué pour les malades», écrit la députée.

Elle liste les difficultés rencontrées par la structure que sont: le déficit en ressources humaines qualifiées lié à la formation coûteuse des spécialistes en cancérologie et au traitement salarial non incitatif vu les risques de radiation auxquels s’exposent les manipulateurs des appareils de radiothérapie (personnel essentiellement féminin), l’absence de renouvellement de l’unique appareil de radiothérapie du service et les problèmes de maintenance des appareils ; l’insuffisance du budget nécessaire à l’entretien adéquat des équipements et au bon fonctionnement du service.

Il faut rappeler que l’équipement du service de radiothérapie de l’Institut Juliot-Curie de l’Hôpital Aristide Le Dantec remonte à près de quarante ans. En effet, c’est en 1978 qu’un premier appareil de cobalt offert au Sénégal, en souffrance au port de Dakar (faute de dédouanement), a été redirigé vers le Gabon qui non seulement a payé les frais de transport mais également de douanes pour l’acquérir. Un deuxième appareil datant de 1984 a été à nouveau offert au pays et installé en 1986 au service de radiothérapie.

Absence d’un plan de renouvellement et de maintenance adéquate

Outre les parlementaires, l’absence d’anticipation des autorités a été reconnue également par les spécialistes du cancer. Dans un entretien au quotidien «Le Soleil», le professeur Mamadou Diop, directeur de l’Institut du cancer Juliot-Curie de l’hôpital Aristide Le Dantec, faisait état des pannes répétitives connues par la machine : «Cet appareil a connu plusieurs changements de sources parce qu’il s’agit de sources radioactives. Une source a une durée de vie. Il faut renouveler les sources radioactives, car il y a des mesures draconiennes de radioprotection à respecter. C’est en 2009 qu’il y a eu réhabilitation, un changement de tous les accessoires, à savoir la table et le statif. Par la suite, l’unité de la radiothérapie a été réhabilitée. Mais, l’appareil est resté le même. Son état motive notre décision de cesser nos activités», justifiait ce dernier.

Dans les normes, un appareil est destiné à 100 000 patients et la durée de la source radioactive alimentant ce genre d’appareil n’est que de 5 ans. Il a fallu l’intervention dans les années 1990, d’un riche industriel pour acheter une nouvelle source radioactive et prendre en charge deux radiothérapeutes étrangers qui, pendant plusieurs années, ont effectué des missions d’appui au Sénégal, faute de radiothérapeutes attitrés, souligne Mame Mbayame Guèye.

Manifestement, renseigne le document, il a manqué à cette structure un plan de renouvellement et de maintenance adéquate des équipements acquis. Ce gap semble avoir été comblé en théorie à travers le plan stratégique national de lutte contre le cancer réclamé par la tutelle et produit depuis plus d’un an, mais le programme n’a pas été doté adéquatement pour le mettre en œuvre. Il faut deux milliards pour disposer d’un appareil accélérateur linéaire avec équipement complet et le rendre fonctionnel. Ce défaut de renouvellement en temps opportun explique les problèmes de prise en charge des malades cancéreux nécessitant des cures de radiothérapie uniquement fournis sur toute l’étendue du territoire national par cette structure. En effet, des doses insuffisantes de rayons administrées à certaines malades ont occasionné des récidives de leur cancer ! Les malades qui n’ont pas les moyens d’aller à l’étranger pour les cures de radiothérapie, n’ont qu’une option : mourir plus au moins précocement, faute de traitement adéquat, ce qui constitue en soi une injustice à leur endroit !

Les propositions de la parlementaire

Dans son argumentaire, Mame Mbayame Guèye Dione de préconiser, en attendant la construction du second institut de cancérologie, que ce service soit doté d’un équipement adéquat, couplé à une maintenance de qualité du matériel et d’un business plan pour assurer le réapprovisionnement de l’équipement à partir des ressources financières octroyées par l’Etat, les partenaires et celles générées par les soins fournis aux malades.

Il faut également que les médecins sénégalais voulant se spécialiser dans le domaine de la cancérologie puissent bénéficier de bourses d’études de troisième cycle en radiothérapie à l’étranger et pour le CES de carcinologie au niveau pays de 5 ans, moyennant des engagements quinquennaux à servir leur pays.

Enfin, que les travailleurs de la santé en général et les médecins en particulier soient bien traités du point de vue salarial au même titre que leurs promotionnaires ayant choisi les secteurs de la Justice, de l’Education Supérieure et des Finances, suggère Mame Mbayame.

A l’en croire toujours, l’Assemblée nationale avait également été saisie par rapport aux mesures à court et moyen terme que le gouvernement entend prendre pour résoudre définitivement les problèmes auxquels l’Institut Juliot Curie est confronté et garantir aux malades atteints de cancer des soins de qualité, en attendant la construction du deuxième institut du cancer.

Plus de 3 milliards mobilisés pour le remplacement de l’appareil

Malgré ces mises en garde et proposition, il a fallait que l’appareil s’arrête définitivement en janvier 2017 pour que Mme le ministre de la Santé et de l’Action sociale, Awa Marie Coll Seck, sorte un communiqué pour annoncer des mesures prises par son département. «Plusieurs actions sont déjà initiées par le ministère de la Santé et de l’Action sociale (Msas) pour faire face à cette situation. L’Etat du Sénégal a mobilisé, dans son budget, les ressources nécessaires (3.600.000.000 F CFA) pour le remplacement de cet appareil en procédure d’urgence. Par ailleurs, l’acquisition, au courant de l’année 2017, de deux autres appareils de radiothérapie pour l’Hôpital Dalal Diam, est en cours. A cela s’ajoute la réalisation d’un Centre national d’oncologie, financé par la République de Corée, qui aura entre autres deux accélérateurs linéaires pour la radiothérapie».

Depuis, les Sénégalais attendent toujours. Les cancéreux vivent le martyr, même si certains sont pris en charge par l’Etat et évacués au Maroc et en Mauritanie.

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