«Ndèye», tu t’es enfin posée ? (Par Cheikh Mbacké Guissé)

taxawalu

«Ce vase plein de lait / Ce panier plein de fleur / Afin que vif et mort / Ton corps ne soit que rose» Ronsard
«Ndèye», j’ai appris que, depuis hier, tu étais devenue fleur éternelle plantée, sous une pluie de larmes, dans les cimetières de Thiès. Fleur qui, de par ses racines voisines
des ombres, sent et ressent le calme qui kidnappe ce lieu où le sable couvre à jamais tes yeux pour que tu ne puisses plus voir les trahisons et ingratitudes de la vie. Ressens-tu ce calme giflé parfois, à coups de «hi-han», par le braiment des ânes, seules créatures à voir, dit-on, les âmes qui montent ?

En paix tu t’es posée donc, toi dont tous les amours étaient partis. Toi qui a fait de ta solitaire solitude une mer inspirée qui coulait chaque week-end à la page 2 du journal «L’Observateur» où tu avais ton coin à toi. A toi toute seule, comme ce linceul… Tu ne le savais sans doute pas mais j’étais très proche de toi.

J’étais ton ami des mots qui, chaque samedi, se promenaient entre les lignes caustiques des versets que tu versais. Et voilà que j’apprends que je ne me promènerai plus sur les sentiers écrits par tes cris décrits. «Jamais plus», comme disait le corbeau à Edgar Allan Poe qui fut, néanmoins, «émerveillé par ce disgracieux volatile».

Tu t’es donc tirée vers les hauteurs, là où l’esprit s’évade de la matière pour être une entité visible, libérée de cette enveloppe qui la portait durant tout son séjour terrestre. Après t’avoir croisé à travers tes mots et tes maux, j’espérais un jour changer et échanger avec toi avant que tu ne nous tournes le dos. Je t’aurai expliqué alors pourquoi ton inspiration et ton vécu étaient liés telles les perles d’un collier. Je t’aurai raconté, par exemple, l’histoire de ce peintre crée par un esprit imaginatif.

Personne ne comprenait les tableaux tragiques qu’il accouchait à travers les couleurs couchées. Car personne, en fait, n’avait remarqué l’alliance tachée de sang qu’il portait depuis que son épouse est décédée dans un accident alors qu’il conduisait. Je t’aurai aussi conté, par exemple, la légende du «Prince de Mina». Un poète que beaucoup croient fou car il commençait tous ses textes par cette offrande : «à Mina, ma princesse-cadavre».

Ses «lecteurs» s’offusquaient de cette dédicace macabre en ignorant qu’il n’écrivait pas pour eux mais pour une seule personne : sa fille, qui s’est confondue aux vagues et qui est, depuis le naufrage du «Joola», sirène au royaume des algues. Ces ignorants, comme tu le vois, ne savaient pas qu’«il faut deviner le peintre pour comprendre l’image», selon le décret nietzschéen. Et, parce que je ne t’ai jamais rencontré, que par les mots, j’avais déjà deviné «Ndèye Takhawalou» pour comprendre ce qui se cachait derrière le bruit de ton âme quand tu écrivais : tu pensais les mots pour panser tes maux.

Tu as sans doute croisé, sur ta route, le Passeur, celui-là qui, avec sa pirogue, fait traverser les âmes qui migrent vers cet endroit magnifique où elles reposent en paix, près du troupeau céleste. Je suis sûr que tu as souri au Passeur, car heureuse de rejoindre, à jamais, ceux que tu aimais et qui avaient effectué la traversée plus tôt. «Ndèye», là où tu es, il n’y a pas de «takhawalou». C’est pourquoi, je me réjouis d’oser supposer que tu t’es désormais posée, là où le Passeur t’a dé- posé pour enfin te reposer et ne plus causer malgré la douleur dosée que ton départ a causé…

Cheikh Mbacké Guissé

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