Moussa Diaw, politologue : « Les Sénégalais sont déçus par Macky Sall »

L’enseignant-chercheur en sciences politiques à l’Ufr des sciences juridiques et politiques de l’Université Gaston Berger (Ugb) de Saint-Louis, Moussa Diaw, tire pour Seneweb le bilan des 5 ans de Macky Sall au pouvoir. De l’économie à l’enseignement supérieur en passant par les réformes institutionnelles, le politologue Moussa Diaw revient sur les acquis et les ratés d’une gouvernance promise vertueuse et dans laquelle la séparation des pouvoirs n’est pas nette.

«Les Grands travaux du Pse profitent aux multinationales»

«Le bilan de ces cinq ans, est mi fugue mi-raisin. Le résultat n’est pas à la hauteur de ce qu’on attendait. De façon globale les résultats ne sont pas probants. Il y a des réalisations, des travaux, mais pour l’instant, on aurait souhaité une meilleure amélioration. Certes il y a des efforts pour assainir l’économie, la croissance qui a atteint 6,7%. Mais le problème qui se pose, c’est que cette croissance-là n’a pas de retombées sur le plan de la création d’emploi. Encore moins pour améliorer le pouvoir d’achat des Sénégalais. Quand on regarde de près surtout avec le Plan Sénégal émergent (Pse), les grands travaux profitent à des entreprises internationales, à des multinationales. Même s’il y a temporairement création d’emploi, les entreprises sénégalaises n’en profitent pas de façon générale. L’Etat devrait agir au niveau des Pmi et Pme qui sont nombreuses pour améliorer l’environnement de ces petites et moyennes entreprises et créer des emplois qui pourraient contribuer au développement économique. Avec des retombées sur le plan économique et sur le plan social, mais ce n’est pas le cas. A ce niveau-là il y a des insuffisances. C’est un secteur important si on veut s’inscrire dans une logique d’émergence économique.

500 mille emplois, autosuffisance en riz : «Il n’en est rien»

«Sur l’agriculture, le Président avait annoncé lui-même qu’il y aurait une autosuffisance en matière de riz en 2017. Il n’en est rien du tout. Il y a un déficit et on est très loin d’une autosuffisance en riz. Ça montre bien quelques problèmes au niveau de l’économie, il reste encore un effort considérable pour faire en sorte que l’environnement économique soit amélioré pour un meilleur développement économique.

Sur le plan infrastructurel, il y a l’autoroute Ila Touba et d’autres travaux à Diamniadio… Cela veut dire qu’il va y avoir des améliorations, mais sur le plan social, sur le plan de la création d’emploi, il y a des faiblesses puisque le Président avait promis de créer en 2012, 500 mille emplois. On est très loin de ces chiffres-là en dépit de quelques postes d’agents de sécurité de proximité et quelques postes au niveau de l’administration. De façon globale, ça reste encore des efforts à fournir pour faire en sorte que le rayonnement économique puisse profiter à l’ensemble des citoyens.

«Des institutions sur mesure»

«Il y a des avancées avec les réformes institutionnelles et politiques mais à ce niveau il y a problème. S’il y a des institutions nouvelles dans l’espace politique sénégalais, on se rend compte qu’il y a des institutions qui ont été créées et qui ne semblent pas correspondre à une nécessité, elles ne s’imposent pas. Notamment la création du Haut conseil des collectivités territoriales. C’est une institution de plus. On a créé d’autres institutions, des commissions, le Conseil pour le dialogue social, le Conseil chargé du dialogue des territoires… On a créé des institutions budgétivores avec peut-être la possibilité de disposer de fonds politiques.

Cela ne traduit pas l’esprit du discours qui a été avancé par le Président Macky Sall quand il dit qu’il veut une gouvernance sobre et vertueuse. Si on veut une gouvernance sobre et vertueuse, il ne faut pas multiplier ces institutions qui n’ont pas leur réelle utilité pour le développement économique et social. Il y a d’autres secteurs qui sont prioritaires. Tel que c’est créé, c’est pour entretenir une clientèle politique. On a vu les personnalités qui ont été choisies à la tête de ces institutions, donc ça montre bien qu’il y a une proximité avec le pouvoir. Et qu’il y a nécessité de renvoi d’ascenseur avec des institutions taillées sur mesure pour satisfaire une certaine clientèle et des personnalités politiques qui soutiennent la politique gouvernementale. C’est un point qui pose problème.

Quand on veut faire la rupture, il faut plutôt rationaliser ces institutions, faire en sorte qu’elles puissent bien fonctionner, qu’elles contribuent au renforcement de la démocratie surtout locale. Il y avait possibilité de penser l’Acte 3 de la décentralisation, pour mieux améliorer la gestion des collectivités territoriales, mais on ne l’a pas fait. On est très loin de la rupture et de la gestion vertueuse.

 

«Les institutions sont stables»

«Il y a une stabilité par rapport à Wade. Les institutions sont stables au Sénégal. Seulement, ce qu’on attendait de la réforme institutionnelle et politique, c’est la séparation des pouvoirs : le pouvoir judiciaire, le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif ; il fallait les séparer. Cela pose des problèmes dans la gouvernance, pour la démocratie.

L’autre aspect, c’est la réforme concernant le statut de l’opposition. Si l’on veut faire une démocratie majeure, il faut faire en sorte que l’opposition puisse jouer son rôle, puisse exister et être structurée. Et financer surtout les partis politiques. Cela permet d’éviter tous ces problèmes… et de distribuer des fonds politiques dans des institutions qu’on ne contrôle pas du tout.

Il faut naturellement qu’il y ait un financement public comme l’avait fait la France à un moment donné, quand il y a eu des connivences entre certains partis politiques et des grandes entreprises. Il faut rationaliser et assainir l’espace politique par un financement public contrôlé et définir les critères pour éviter des règlements de comptes politiques.

Une opposition divisée, un Pds fragmenté

«Compte de tenu du climat actuel qui règne, je suis très sceptique de la capacité de l’opposition à s’unir, à faire bloc et dresser des listes qui vont faire l’objet de consensus pour pouvoir affronter la majorité. L’opposition est divisée notamment des partis de l’opposition comme le Pds est fragmenté, actuellement on est en train de recoller les morceaux. Est-ce qu’on va y arriver ?

Cela fait beaucoup de problèmes qu’il faudra résoudre et le temps politique est très court. Ça m’étonnerait que l’opposition puisse s’organiser, proposer un projet commun et aller ensemble aux élections ensemble et remporter ces législatives. Ce serait un parcours de combattant. Ça m’étonnerait que l’opposition puisse, compte tenu du temps qui reste, compte tenu d’énormes problèmes auxquels elle est confrontée, aller surmonter dans ce laps de ce temps, et pouvoir s’unir et imposer la cohabitation, cela m’étonnerait. Mais tout est possible en politique.

«Il y a un vide en matière de communication»

«Il y a un minimum d’organisation. Pour gagner chacun chez soi, il faut qu’on se mette d’accord sur la composition des listes, le choix des personnes. Il y a des thèmes qui sont porteurs. Quand on jauge l’opinion publique, les citoyens sont déçus de la gouvernance du Président Macky Sall. Parce qu’on a promis beaucoup de choses et on en a réalisé très peu, les résultats tardent à venir. Ils sont déçus…

On est déçu d’un manque de communication politique. Quand il y a des problèmes, il faut absolument communiquer. Se terrer dans le silence, c’est dangereux. L’opinion publique a besoin d’être édifiée sur un certain nombre de questions. Le gouvernement doit prendre cette initiative-là, de communiquer avec les citoyens pour que ce dernier ait une idée de la situation politique et sociale. Mais si on ne communique pas, il peut y avoir une relativité des voix et cela posera problème pour gagner des élections.

Aujourd’hui il y a un vide en matière de communication et il y a beaucoup de problèmes, de tensions qu’on laisse comme ça, et il faut naturellement qu’on entende la voix du président de la République venir apaiser le climat social et politique, venir orienter les axes politiques et donner la voix à l’ensemble des acteurs qui seront en compétition pour les prochaines échéances électorales.

Les limites du système Lmd

«Le système Lmd a été créé par les Européens pour faciliter la mobilité des enseignants et surtout des étudiants. On était obligé de suivre cette démarche compte tenu des relations que nous avons avec nos partenaires des différentes universités. Le système s’est instauré alors qu’on ne s’est pas préparés. Cela demande énormément de moyens. Nous avons beaucoup de difficultés à nous adapter à cette nouvelle réalité.

Il faut des ressources humaines et financières pour cette réforme. Et il faut aussi des moyens, des infrastructures adéquates et suffisamment d’enseignants pour pouvoir faire les cours parce qu’il y a beaucoup de cours dans les semestres. Il y a des difficultés. On n’a pas suffisamment de ressources humaines et on n’a pas de moyens matériels pour réaliser les semestres et un agenda académique.

En Europe l’agenda est respecté, il n’est pas perturbé, alors que nous, on ne maîtrise jamais notre agenda. Il y a souvent des perturbations dues à des grèves des enseignants, grèves des étudiants, qui sont peut-être légitimes, mais ça perturbe le système de telle sorte qu’il y a un chevauchement des années. C’est une question qui se pose actuellement au niveau des universités sénégalaises ; on ne respecte pas le calendrier académique pour ces raisons-là. Cela pose des problèmes au niveau de la fonctionnalité et du respect du calendrier universitaire.

Il y a des retombées, parce qu’il y a des partenaires, des échanges interuniversitaires. Certaines universités reçoivent des étudiants qui viennent d’ailleurs. Nous, nous en recevons alors que notre calendrier est perturbé, ces étudiants-là risquent de perdre leur année parce qu’ailleurs en France, l’année académique, les semestres, sont respectés, alors que nous on n’avance pas, il y a une vraie paralysie du système et il y a énormément de difficultés pour appliquer le système Lmd pour ces différentes raisons.

«Faire en sorte que le Président ait moins de pouvoir»

«Quand quelqu’un est élu, c’est l’occasion de caser toute une clientèle, la famille, le clan l’ethnie et cela ça pose problème en termes de transparence, de rationalisation, de choix des personnes. Le problème qui se pose au niveau du Sénégal et de manière générale en Afrique, c’est la sécularité des élites. Il y a un vieillissement du personnel politique, particulièrement au Sénégal. Vous avez des personnes qui ont travaillé avec Senghor, avec Abdou Diouf et qui sont encore en fonction. Ousmane  Tanor Dieng, Moustapha Niasse… et d’autres qui sont conseillers à la Présidence. On ne peut pas avancer. Il va y avoir forcément des difficultés… Il n’y a pas un changement d’élite, ni dans les pratiques politiques.

Le présidentialisme bloque le fonctionnement des institutions. Le Président a main sur tout. Il faut qu’on change de système, répartir les pouvoirs entre le président de la République, l’Assemblée et les autres institutions. Faire en sorte que le Président ait moins de pouvoir. Cela permettra de mieux huiler le système et permettre que des jeunes puissent arriver en politique à travers des réformes. Il faut une autre représentation des politiques et une autre façon de faire la politique avec des engagements précis. Parce que la politique, ce n’est pas fait pour s’enrichir, c’est plutôt un engagement pour des idéaux, pour des principes, pour la citoyenneté, pour contribuer au développement de son pays.

La réflexion mérite d’être faite à ce niveau-là pour une meilleure amélioration du système politique sénégalais et le rajeunissement de son élite politique.»

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