Le journaliste, analyste politique, Momar Seyni Ndiaye décortique les résultats des Législatives
du 30 juillet. Selon lui, la victoire de Benno Bokk Yaakaar est à la massive (42 sur 45 départements) mais aussi troublante (énormément de moyens déployés). Même si s’est-il empressé d’ajouter, elle peut aussi s’expliquer par le morcellement de l’opposition. Quid des défaites de tête de gondoles ? M. Ndiaye l’explique par des «problèmes d’ancrage et de fidélisation».
«La large victoire de Benno Bokk Yaakaar est à la fois massive et troublante. C’est mon sentiment. Elle est massive parce qu’elle concerne 42 départements sur 45 et cela recoupe exactement la même configuration que le referendum où le OUI porté par BBY l’avait emporté à cette hauteur. On a l’impression que l’histoire s’est répétée une seconde fois. Est-ce que c’est la même mobilisation qui s’est amplifiée ou est-ce que comme le soupçonne l’opposition, il y a d’autres stratagèmes qui ont été utilisés pour confirmer cette victoire ? Pour l’instant, on ne peut pas avoir une position tranchée et j’insiste là-dessus. Toutefois, la victoire reste massive. Et cette massivité peut s’analyser de deux manières. BBY s’est-il mobilisé en y mettant suffisamment de moyens. Des moyens énormes. Elle peut aussi s’analyser comme une sorte d’effritement de l’opposition. J’ai comme l’impression que l’opposition est victime de son morcellement. Si elle avait pu comme elle l’avait souhaité, réaliser son unité, elle aurait pu limiter les dégâts, parce que quand on analyse bien les résultats, parfois si on associe les résultats de l’opposition, ils peuvent égaler ou même parfois dépasser largement les résultats de la coalition BBY.
Donc, du point de vue de l’analyse, on est vraiment troublé parce qu’on ne sait pas exactement si cette victoire est le résultat d’une mobilisation massive avec des moyens démesurés ou est ce qu’elle est du fait que l’opposition est morcelée et n’ayant pas pu réaliser son unité».
Défaite de l’opposition
«Quant à la défaite des ténors de l’opposition, elle peut être le fruit de la même analyse. En réalité, il y a des problèmes d’ancrage et de fidélisation. A Thiès par exemple, Idrissa Seck n’a pas réussi à fidéliser son électorat par ses absences répétées, son effacement à la limite de la scène politique. Idrissa Seck est un évènementiel. On ne le voit que quand il y a des évènements, après il disparait. Or, en politique il faut être présent avant, pendant et après l’élection. On a l’impression qu’il s’est coupé de ses militants. Le lynchage de Talla Sylla aussi lui a également porté préjudice. Comment voulez-vous que quelqu’un que vous avez aidé à accéder à cette posture-là (maire de Thiès, Ndlr) vous vous levez un bon jour pour le combattre et travailler contre lui. Ça a également affaibli Idrissa Seck. Mais, on peut également penser que les voix de Thierno Alassane Sall pourraient lui bénéficier.
C’est un peu troublant pour l’électeur parce qu’on a dû mal à avoir des repères pour analyser cette large victoire de BBY qui se défilait déjà comme un lors du referendum et un peu la défaite de l’opposition. A la différence que, le referendum n’est pas une élection, c’est une consultation populaire. Or, l’élection législative est une élection, c’est une compétition en tant que telle, je pensais que la large victoire du Oui au referendum serait un tout petit peu modéré par le fait que c’est une consultation mais c’est au moment où on met en piste des adversaires politiques qu’on aura la vérité des urnes.
Je dois reconnaitre aujourd’hui que cette victoire massive me parait assez troublante par d’abord les moyens qui pont été mis en avant mais aussi la faiblesse structurelle de l’opposition. Aujourd’hui on n’a pas cette opposition qui a cet ancrage démographique nécessaire pour battre Macky Sall».
Quid de la défaite d’Abdoulaye Baldé ?
«Abdoulaye Baldé n’a jamais gagné de département de Ziguinchor. Il a gagné pour l’essentiel la commune de Ziguinchor et je ne suis pas étonné que BBY puisse mobiliser plus que Baldé dans le departement parce que les gens oublient souvent que BBY a un ancrage rural très fort. Et que l’essentiel des réalisations du président Macky Sall profitent davantage au monde rural qu’au monde urbain. Meme, les infrastructures routiéres permettent de desenclaver non pas les villes mais le monde roural. La CMU profite davantage au monde rural qu’urbain. Les bourses de securité sociale profitent davantage aux cibles les moins nantis que les cibles urbains. Et en vérité, je ne serais pas surpris que l’orientarion sociale de la politique du president Macky Sall ait profité au monde rural et ait favorisé son ancrage dans le monde rural alors que dans les villes, la contestation continue parce que les syndicats y sont puissants parce que les besoins n’y sont pas satisfaits à la hauteur des attentes et que le president ait davantage investi dans le monde rural que dans le monde urbain.
C’est ce qui fait qu’il a gagné dans les départements voire dans la commune et cette victoire est une large présence dans le monde rural pour gagner les élections».
Comment analysez-vous cette percée de PUR ?
«Pour PUR, il faut analyser son ancrage sémantique. Est-ce que c’est un maillage national ou est-ce que c’est un maillage local ? Je crois que pour PUR, son maillage est purement et essentiellement local. C’est-à-dire dans la zone de Thiès et Tivaouane. PUR est une organisation plus structurée que les partis politiques. Le PUR a des cellules, des canons et des moyens de communication. Mais aussi et surtout un guide moral dont la parole n’est pas contestée. Quand vous êtes leader d’un parti politique, vous pouvez être contesté par un militant mais quand vous êtes talibé Mouchtarchidine vous ne pouvez pas contester les paroles de Serigne Moustapha Sy. Le Pur s’est modernisé dans sa structuration. Il a acquis des moyens de communication modernes qu’aucun parti politique n’a, sauf effectivement BBY qui a les moyens de l’Etat. Aucun parti politique ne peut ni avoir sa radio, ni sa télé, ni ses canons de communication, ni une capacité de mobilisation que les autres partis n’ont pas. Il s’y ajoute que PUR est en mobilisation constante. Il a des organisations, des cellules qui analysent et qui se regroupent régulièrement la situation politique et qui surveillent et prennent des décisions.
Ce qui aspire à une triple éducation : une éducation religieuse, une éducation sociale et une éducation politique. Et cerise sur le gâteau, leur guide moral est un excellent communicateur. J’ai eu l’occasion de l’écouter. Franchement, il a une force de persuasion, un leadership que je n’ai vu chez aucun un leader de parti politique. Je n’ai pas vu un leader de parti politique qui a le leadership de Serigne Moustapha Sy, en termes de communication. Et je ne serai pas étonné que ce parti aille de l’avant. Il ne faut pas non plus oublier que derrière la plume, il y a de grands intellectuels. Je pense à Abdoulaye Diop (ancien ministre des finances) à Me Massokhna Kane, sans compter les ingénieurs, les journalistes, les intellectuels qui sont dans les cellules dormantes qui interferent dans la pensée politique. Derrière les plumes, il y a des gens qui sont capables de prendre des positions cohérentes. Mais, pour le moment, il faut être prudent, l’ancrage de PUR est limité dans la région de Tivaouane et de Thiès ; et, un tout petit peu à Dakar. Ça ne suffit pas encore pour avoir un grand parti qui peut jouer un rôle important mais je pense que dans l’avenir, c’est un parti qu’il faut surveiller».
(avec sudonline.sn)