Quel est ce réflexe de rejeter toujours le tort sur les autres sans regarder la réalité pour trouver une solution aux problèmes ? Comment peut-on se cacher derrière son petit doigt pour nier la réalité des abus sexuels dans nos écoles ?
L’organisation internationale non gouvernementale Human rights watch (HRW) a effarouché les milieux scolaires du Sénégal pour avoir publié une étude qui met le doigt sur de nombreux cas d’abus sexuels dont sont victimes les jeunes filles dans les écoles. Chacun a voulu y aller de son indignation. Le ministère de l’Education nationale, bille en tête, a fustigé le travail de l’ONG qui ne «serait pas scientifique». Pour les services de Serigne Mbaye Thiam, quelque 165 cas recensés ou répertoriés dans l’étude ne suffiraient pas pour asseoir une «accusation» contre le système scolaire sénégalais. Le ministère de l’Education a publié même un communiqué de presse pour crier au complot international, orchestré par des groupes ou autres lobbies étrangers qui chercheraient à imposer des «curricula», notamment l’introduction de l’éducation sexuelle dans les programmes scolaires sénégalais. L’Union nationale des parents d’élèves du Sénégal a voulu servir de caisse de résonance à cette «alerte-défense» du ministère de l’Education nationale pour s’ériger en boucliers de toute tentative d’imposer un modèle éducatif venu de l’étranger. On ne peut pas manquer de sourire en entendant Serigne Mbaye Thiam clamer l’indépendance des autorités sénégalaises à choisir le modèle d’éducation et les programmes scolaires à enseigner aux enfants sénégalais. Qui ne se rappelle pas que, pas plus tard que l’année dernière, le même ministre Serigne Mbaye Thiam a pris des décisions pour fermer les écoles Yavuz Selim, des écoles qui constituaient le fleuron de l’enseignement d’excellence au Sénégal et ceci, suite à une injonction d’un pays étranger, la Turquie ? A qui Serigne Mbaye Thiam parlerait alors d’indépendance dans la politique éducationnelle du Sénégal ? Quant à l’Unapes, on ne peut pas ne pas s’étonner de leur attitude qui, normalement, devrait être du côté de Human rights watch et des filles abusées dans les écoles. Le cas d’une seule fille abusée sexuellement dans nos écoles est intolérable et devrait provoquer l’ire des associations de parents d’élèves. Mais le ministère de l’Education nationale stigmatise un échantillon peu représentatif de 165 cas sur plus de 500 mille filles scolarisées dans les lycées et collèges. Peut-être qu’il faudrait révéler des dizaines de milliers de cas pour émouvoir ? Pardi ! Par leur attitude, le ministère de l’Education et l’Unapes sont en train d’absoudre tous les prédateurs sexuels qui abusent des filles dans nos écoles et surtout, c’est la plus grosse injure faite aux victimes qui sont en droit d’attendre soutien et assistance de la part de leurs parents et des autorités étatiques. Les syndicats d’enseignants sont, eux aussi, montés au créneau pour rivaliser de déclarations indignées et insulter les auteurs du rapport. Pour chercher à noyer le poisson, on verse dans l’amalgame pour chercher à mettre dans l’esprit des gens que Human rights watch mettrait tous les enseignants sénégalais dans le même sac des prédateurs sexuels. Ils constituent assurément la grande majorité des corps d’enseignants, ces enseignants valeureux, pétris de qualité et qui préparent les enfants à un avenir prometteur, mais il faut aussi bien reconnaître qu’elles sont trop nombreuses, les brebis galeuses qui détournent les enfants mineurs et abusent d’eux dans nos écoles. Puisque le ridicule ne tue pas, les syndicats enseignants exigent de Human rights watch de présenter des excuses au peuple sénégalais. En fait d’excuses, ce sont ces syndicats d’enseignants qui devraient en présenter aux élèves victimes, à leurs parents et à toute la société sénégalaise pour les abus commis par leurs adhérents qui avaient autorité sur des enfants mineurs. C’est quoi ce réflexe de rejeter toujours le tort sur les autres et de ne pas chercher à regarder la réalité en face et de trouver une solution aux problèmes qui se posent ? Comment peut-on se cacher derrière son petit doigt pour nier la réalité des abus sexuels dans nos écoles ? Qui ne connaît pas dans son quartier, son voisinage immédiat ou sa famille des cas de jeunes filles abusées sexuellement par leurs éducateurs à l’école ? Le ministre de l’Education nationale ou les responsables de l’Unapes ou les syndicats enseignants lisent-ils les journaux ou écoutent-ils les radios et télévisions qui rendent compte, de manière quotidienne, de cas recensés çà et là ? Sans doute qu’ils peuvent s’imaginer que les journalistes qui relatent ces graves faits divers seraient aussi complices d’’une croisade mondiale contre le système éducatif sénégalais. Qu’il est ridicule de chercher à s’en prendre à HRW qui n’est coupable que d’avoir publié un rapport qui met le doigt sur un phénomène observé par toute personne vivant au Sénégal. Combien d’études ou de déclarations ont été publiées bien avant ce dernier rapport de Hrw pour alerter et surtout décrier cette situation d’abus sexuels contre des mineurs dans les écoles sénégalaises ? Le rapport de HRW, intitulé «Ce n’est pas normal. Exploitation sexuelle, harcèlement et abus dans les écoles secondaires au Sénégal», ne dit rien qui soit inconnu du grand public. On se demande véritablement si certains ont pris la peine de le lire avant de se fendre en déclarations ? Une attitude responsable aurait été de s’imprégner des constatations irréfutables et surtout de voir comment mettre en œuvre les pertinentes recommandations contenues dans le document, plutôt que d’adopter une attitude de déni systématique. Le 3 mars 2018, les médias sénégalais ont révélé qu’une étude de la direction de l’Enseignement moyen-secondaire général, une structure interne au ministère de l’Education nationale, qui indique que «20% des viols enregistrés en milieu scolaire sont l’œuvre d’enseignants». L’étude soulignant que «96% des victimes de ces agressions sexuelles vivent en banlieue. Conséquence : les victimes, qui souvent dans la foulée du supplice subi attrapent des maladies sexuellement transmissibles et des grossesses non voulues, ne bénéficiant pas de suivi psychologique, désertent l’école». En réaction à cette étude du ministère de l’Education nationale du Sénégal, Mme Mame Bousso Samb Diack, directrice du Forum des éducatrices africaines (Fawe), avait indiqué que «la famille et l’école ont un grand rôle à jouer pour prendre à bras-le-corps le phénomène des agressions sexuelles sur les filles». Avant Human rights watch, tout le monde avait tiré la sonnette d’alarme Le 11 juin 2011, lors de l’atelier de restitution d’une étude sur les enfants au Centre national de ressources éducationnelles (Cnre), le président du Comité national d’organisation de la campagne «Appendre sans peur», Cheikh Diakhaté, déplorait encore les abus sexuels dans nos écoles. Cette étude a été réalisée dans cinq écoles élémentaires et trois collèges d’enseignement moyen (Cem). Elle concerne des élèves âgés de 10 à 16 ans et vivant dans les régions de Dakar, Kaolack, Louga, Saint-Louis et Thiès. Au total, 250 élèves dont 131 garçons et 119 filles. En outre, le 10 octobre 2014, l’Association des femmes juristes du Sénégal, par la voix de sa présidente, Me Aïssatou Dramé, mettait en garde contre la recrudescence des cas de filles victimes d’abus sexuels par des enseignants dans les collèges. Le 22 janvier 2014, l’Association des journalistes contre les viols et les abus sexuels tirait la sonnette d’alarme en lançant une campagne nationale de sensibilisation. Les journalistes comptaient ainsi aller à la rencontre des acteurs scolaires pour les sensibiliser contre les abus sexuels faits aux filles. Selon Moustapha Fall, président de cette organisation, 3 600 cas de viol ont été enregistrés entre janvier 2013 et le début de l’année 2014. Il indiquait rechercher «une synergie de tous pour faire face à l’ampleur qu’a pris ce phénomène incompatible avec les valeurs religieuses du pays». L’Ong ActionAid a recensé les articles de presse consacrés à des abus sexuels commis en milieu scolaire contre des filles et a révélé que sur 10 pays africains étudiés, le Sénégal était en tête avec 41 cas pour la seule période de juillet 2009 à juin 2010. Quand on sait que de nombreux cas échappent à la vigilance des journalistes, on peut mesurer l’ampleur des dégâts !
La question est donc devenue un véritable phénomène de notre société comme le montre une autre étude réalisée et publiée le 8 juin 2013, par Mamadou Lamine Coulibaly, enseignant-chercheur à l’Ufr des Sciences de l’éducation, de la formation et du sport à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal. Les données recueillies au Sénégal par l’équipe du Pr Diallo étaient destinées à dresser un état des lieux des «victimations» scolaires sur la base d’un questionnaire administré à 2 707 collégiens et lycéens répartis sur douze établissements du moyen (collège) et du secondaire (lycées). Il en ressort que 9,6% des élèves des lycées et collèges sénégalais déclarent avoir été «embêtés pour des histoires sexuelles». Ils sont garçons comme filles et c’est le fait souvent du fait de professeurs et surveillants. Le phénomène des grossesses précoces en milieu scolaire a été une grande préoccupation pour le gouvernement du Sénégal. Ainsi, une étude conjointe du ministère de l’Education, de celui de la Santé ainsi que des Ong et de nombreux organismes étatiques en charge des questions d’éducation et de santé de la reproduction avait été commanditée. Le rapport publié en juin 2015 stigmatise également les prédations sexuelles dont sont victimes les filles en milieu scolaire. Justement, c’est cette même étude qui, dans ses conclusions, préconisait «l’intégration de l’éducation sexuelle complète dans les programmes scolaires. L’éducation complète en matière de santé sexuelle est un outil essentiel qui peut produire des effets positifs sur le comportement des jeunes. Ces derniers doivent recevoir des informations justes et de qualité leur permettant d’adopter des comportements responsables». On voit bien alors que la ligne de défense du ministère de l’Education nationale contre une main invisible étrangère qui voudrait, par le biais du rapport de Hrw, imposer d’introduire l’éducation sexuelle dans les programmes scolaires sénégalais est bien absurde. Une rapide revue de presse nous renseigne par le truchement d’une dépêche de l’Agence de presse sénégalaise (Aps) que le ministre Serigne Mbaye Thiam avait présidé, le 18 janvier 2013, un atelier pour l’intégration de l’éducation sexuelle complète dans les curricula des enseignements au Sénégal. C’était sous l’égide de l’Unesco. Et alors ? Il est aussi étonnant que le ministère de l’Education nationale n’avait pas pris la mouche quand, en janvier 2018, HRW, sous la plume de Mme Zama Neff, responsable de la Division droits des enfants, écrivait au président Macky Sall, avec ampliations aux ministres Serigne Mbaye Thiam et Ndèye Saly Diop Dieng, pour appeler à la gratuité de l’éducation secondaire au Sénégal. Dans cette missive, Hrw mettait déjà en garde contre les situations et pratiques dont des abus sexuels qui constituent des entraves à l’éducation des filles.