Madiambal Diagne : «tire une balle dans le pied du gouvernement »

Les pluies tombées ces derniers jours sont fortes et ont provoqué des inondations dans de nombreuses localités. La météo annonce des précipitations continues, durant plusieurs jours encore. Ce qui voudrait dire que les populations vont continuer de vivre les pieds trempés, avec tous les désagréments. Une telle situation peut excéder de nombreux citoyens, notamment des jeunes qui ont eu à faire éclater leur colère en s’en prenant à quelques symboles du pouvoir politique. La situation de cette pluviométrie exceptionnelle ne saurait être une surprise. Depuis plusieurs mois, les services compétents de l’Etat, et particulièrement les structures internationales qui ont pour mission de s’intéresser aux questions climatiques, avaient annoncé des bouleversements qui devraient fatalement provoquer de fortes pluies dans la région d’Afrique de l’Ouest.

L’Agence nationale pour l’aviation civile et la météorologie (Anacim) et le Comité inter-Etats de lutte contre la sécheresse au Sahel (Cilss), le centre Agrhymet, sont unanimes avec le Groupe international pour l’environnement et le climat (Giec) qui indiquait, dès février 2020, qu’il ne fait «aucun doute qu’en Afrique de l’Ouest, particulièrement dans six pays (Sénégal, Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso et Côte d’Ivoire), on risque de relever de fortes pluies et des inondations sans précédent». Mieux, on avait déjà, depuis quelques semaines, observé des précipitations exceptionnelles dans des pays comme le Niger, avec un bilan humain lourd de 45 personnes décédées et plus de 200 mille déplacées. Les inondations de la semaine dernière au Mali ont provoqué 15 morts à Bamako.

Au Bénin, les villes de Cotonou et Abomey-Calavi sont sous les eaux. La Côte d’Ivoire a connu des pluies hors-saison avec de dégâts matériels et humains importants. Le Sénégal ne saurait donc être en reste. Malheureusement, le gouvernement a manqué d’anticipation et de réactivité pour se préparer à une meilleure prise en charge de cette pluviométrie exceptionnelle. Les sinistres auraient été plus ou moins bien compris, pour ne pas dire acceptés, si l’Etat avait communiqué en direction des populations, avertissant sur les risques de précipitations exceptionnelles et surtout si un dispositif opérationnel avait été mis en place en amont.

Le gouvernement a crié victoire un peu trop tôt

Il nous revient que le problème de la pluviométrie exceptionnelle cette année avait été évoquée en Conseil des ministres mercredi dernier, 2 septembre 2020. Le ministre de l’Agriculture et de l’équipement rural, Moussa Baldé, avait fait une communication en relevant le fort excédent de pluviométrie enregistré à cette période de l’année et qui augurait de bonnes récoltes agricoles. Le chef de l’Etat s’en était réjoui et avait tenu à souligner, à l’endroit du ministre de l’Eau et de l’assainissement, Serigne Mbaye Thiam, la nécessité de préparer une communication gouvernementale, afin de mettre en exergue les réalisations du Plan décennal de lutte contre les inondations (2012-2022). Ce programme initié par Macky Sall a permis de sauver les populations des cruelles inondations connues dans le passé. M. Sall pouvait se dire satisfait des réalisations de son gouvernement et tenait à le faire savoir. Il est incontestable qu’un répit salutaire avait été observé sur la question des inondations. D’ailleurs, cette prouesse avait positivement participé à la campagne de Macky Sall pour sa réélection en 2019.
Cette ambiance jure donc d’avec les révélations faites dans la presse, qui voudraient faire croire que le chef de l’Etat aurait piqué une colère noire en Conseil des ministres du fait des inondations. La réalité était tout autre mercredi dernier.

En effet, les situations de grosses inondations ont été enregistrées postérieurement. Des personnes qui ne veulent pas que du bien au ministre Serigne Mbaye Thiam ont certainement cherché à manipuler les médias et à faire de la désinformation. Au demeurant, il faudrait faire justice à Serigne Mbaye Thiam qui n’aurait véritablement pas été le principal comptable d’éventuels ratés sur le Programme décennal de lutte contre les inondations. Il n’a hérité de ce portefeuille qu’après la Présidentielle de 2019. Il reste qu’on pourrait reprocher au gouvernement d’avoir crié victoire un peu trop tôt. Les sols qui ont reçu de fortes précipitations, en de courtes périodes, ont pu être engorgés d’eau et la nappe phréatique a pu remonter dans certaines zones, favorisant une recrudescence des inondations. Il n’en demeure pas moins que si le gouvernement, encore une fois, avait anticipé dans une communication proactive, pour alerter sur le caractère exceptionnel des pluies de cette année et surtout indiquer se préparer à faire face à d’éventuels dégâts en déroulant par exemple des mesures préparatoires, les populations auraient sans doute été plus indulgentes ou, à tout le moins, compréhensives.

La tendance de gouverner par Twitter
On va relever également que le gouvernement a manqué de réactivité devant ce spectacle, affiché sur tous les écrans de télévision, avec des images désolantes des habitations gagnées par la furie des eaux de pluie dans des quartiers de Dakar, de sa banlieue et dans certaines autres localités comme Thiès, Mbour, Saint-Louis, entre autres. Malgré la détresse des populations qui laissent éclater leur colère aux micros des journalistes ou dans la rue, aucune autorité de l’Etat, d’un rang gouvernemental ou même un directeur d’une structure publique ayant pour mission de lutter contre les inondations ou pour protéger ou améliorer le cadre de vie des populations, n’a estimé devoir mettre des bottes pour se déplacer, aller se montrer aux côtés des sinistrés. Une présence physique aurait certainement rassuré, calmé des populations éplorées. Il a fallu un «tweet» du Président Macky Sall – en partance pour Niamey pour prendre part au Sommet des chefs d’Etat de la Cedeao – qui disait sa compassion à l’endroit des populations sinistrées, pour que des responsables de l’Etat rivalisent d’ardeur en réagissant dans la foulée, partageant ce tweet présidentiel. On peut deviner qu’ils étaient bien calfeutrés dans leur canapé douillet. On a observé que personne n’a estimé devoir monter au créneau pour prendre la parole sur les émissions talk-shows ou sur les plateaux télés, dans le sens de chercher à expliquer les efforts et les réalisations du gouvernement pour juguler les inondations avec les nombreux ouvrages de drainage des eaux pluviales réalisés depuis 2012. Tout le grand monde du régime de Macky Sall se cacherait des médias. Il faut le dire, l’impression générale laissée alors est que le gouvernement aurait fait preuve de gabegie dans la gestion des crédits alloués au Programme décennal de lutte contre les inondations. C’est comme si rien n’aurait été fait et que toute la bagatelle de 750 milliards de francs Cfa, qu’on déclare avoir été investie dans l’assainissement ces huit dernières années, aurait été détournée sans vergogne. En outre, il aurait été opportun pour le gouvernement de voir des responsables politiques et gouvernementaux prendre la parole, participer à témoigner de la solidarité à l’endroit des populations en détresse. Tout le monde semble s’être mis à l’abri des gouttes de pluie et autres éclaboussures. Cette ambiance au sein du gouvernement semble même se refléter dans la sémantique du dernier tweet présidentiel. Le Président Macky Sall y annonce avoir donné des instructions au ministre de l’Intérieur et de la sécurité publique pour déclencher le Plan «Orsec». Aly Ngouille Ndiaye aurait-il besoin d’attendre des instructions présidentielles pour déclencher le Plan Orsec, un acte de gouvernement assez normal et naturel, relevant de ses prérogatives en cas de sinistre ? Est-ce la frilosité qui inhibe toute initiative de la part des membres du gouvernement ou un souci d’éviter de porter une communication désavantageuse ? Quelle honte ou supplice y aurait-il à dire aux populations que le gouvernement a eu à consentir de gros efforts pour lutter contre les inondations et continuera inlassablement de le faire, mais que les bouleversements climatiques, avec leur corollaire de phénomènes naturels imprévisibles, ont pu prendre à défaut de nombreux pays, y compris le nôtre

Le devoir d’une vigilance accrue
La recrudescence des inondations révèle les limites des actions dans le secteur de l’assainissement. Les acteurs sont nombreux, allant de l’Office national de l’assainissement du Sénégal (Onas) à l’Agence de développement municipal (Adm), ou au Programme de gestion des eaux pluviales (Progep) financé par la Banque mondiale, ou à l’Agetip ou l’Apix ou encore le ministère de l’Eau et de l’assainissement. Peut-être qu’on en oublie ! Des sommes importantes y sont englouties, il s’avère nécessaire de procéder à l’évaluation des actions pour non seulement optimiser les interventions, mais aussi assurer une certaine transparence. Le Sénégal doit s’épargner de retomber dans les travers de la mauvaise gestion du Plan Jaxaay qui était destiné à régler définitivement le fléau des inondations dans Dakar et sa banlieue et qui se révéla en fin de compte comme un modèle de la mal-gouvernance du régime de Abdoulaye Wade. Il conviendrait également d’évaluer l’impact de certains ouvrages d’infrastructures routières ou ferroviaires dans la survenue d’inondations dans des zones traversées. Quelle est la part des actes d’incivisme des populations dans le bouchage de certains conduites et collecteurs ? Les travaux de curage des canaux sont-ils réalisés dans les normes par les services publics préposés à cette tâche ? De même qu’il faudrait se faire violence pour engager des actions fortes afin de déguerpir ou déplacer des populations installées sur des lits inondables. C’est aussi un courage politique pour un homme d’Etat de prendre des mesures du genre. Il y a quelques jours de cela, je me plaisais à inviter des autorités gouvernementales à suivre un documentaire sur une chaîne de télévision étrangère qui présentait comment le Baron Haussmann et l’Empereur Napoléon III avaient osé casser les taudis de Paris pour faire de cette ville ce qu’elle est devenue aujourd’hui.

Par ailleurs, les quelques situations de début d’émeutes notées dans certains quartiers doivent également interpeller la politique sécuritaire de l’Etat. La furie des jeunes de Cambérène, qui ont saccagé le siège du parti du Président Macky Sall au quartier des Parcelles Assainies, conforte une observation. En effet, on a pu constater que toutes les velléités d’émeutes populaires déclenchées ces derniers mois pour protester contre les mesures d’application de l’Etat d’urgence sanitaire, suite à la pandémie du Covid-19 (couvre-feu et/ou interdiction de rassemblements dans les lieux de culte), ont pris naissance à partir de foyers religieux comme à Cambérène, Médina Gounass, Touba ou Léona Niassène. Cela traduirait-il une défiance de foyers religieux qui chercheraient à en découdre avec le pouvoir politique ou illustrerait-il un malaise social ou des querelles ou problèmes internes à ces foyers religieux ? Dans tous les cas, il appartient à l’Etat du Sénégal de prendre la mesure de la situation et de veiller au grain afin d’éviter des situations fâcheuses préjudiciables à la paix civile.

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