Madiambal Diagne : La presse, le pouvoir et le pognon

Journaliste et patron de presse remarquée dans la sphère médiatique sénégalaise, Madiambal Diagne est une personnalité controversée. Parti pour être un modèle de réussite, il a fini par faire sa mue et devenir un homme insaisissable.

Dans la sphère médiatique sénégalaise, il s’est taillé une place incontestable : patron de presse, chroniqueur et même analyste par moment, notamment lors de certains discours du chef de l’Etat. Tout au long d’une carrière de plus de vingt ans, Madiambal Diagne a fait le meilleur et le pire avec la presse. Il informe, vilipende, dénonce certaines pratiques contraires à la morale. Mais il se livre aussi à des attaques personnelles, en atteste le cas Abdoul Mbaye, ancien Premier ministre.
En fait, nul n’échappe à sa plume parfois venimeuse. Personnalités politiques (opposition comme majorité présidentielle); religieux, hauts fonctionnaires de l’Etat et même ses confrères. Tout le monde est servi à travers sa chronique hebdomadaire dénommée ‘’Les lundis de Madiambal’’,  diffusée dans son journal, Le Quotidien.
‘’Les Lundis de Madiambal’’
C’est d’ailleurs cette chronique qui a fait parler de lui, le 6 juin dernier. Cette fois-ci, il est question des litiges fonciers sur le littoral de Dakar qui secouent actuellement le pays. Dans son texte intitulé : ‘’Finalement, ils ont fait pire que les Wade avec nos terres’’, Madiambal s’attaque durement au Président Macky Sall et à son gouvernement.
‘’Force est de constater que le cauchemar continue, que le gouvernement, après moins d’une année de gestion des affaires publiques, s’illustre négativement par des pratiques peu orthodoxes’’, écrivait-il.
Pourtant, depuis l’arrivée au pouvoir du patron de l’Alliance pour la République (Apr), Madiambal Diagne a opéra une mutation patente pour devenir journaliste-partisan du régime de Benno. A l’image de beaucoup d’opposants et de membres de la société civile des années 2010, il s’est allié avec le pouvoir actuel, son chef en particulier.
Madiambal Diagne s’était érigé en bouclier du président de la République. Toutes les personnalités  qui ont osé remettre en cause la gestion ‘’sobre et vertueuse’’ de Macky, ont essuyé les répliques incendiaires de sa part. Ce n’est certainement pas anecdotique si le ‘’journaliste’’ a servi de modérateur lors de la présentation du livre de Macky Sall ‘’Le Sénégal au cœur’’, publié à quelques mois de la présidentielle de 2019. C’est plutôt une parfaite illustration de leur proximité.
Engagement au prix de la Liberté
Mais subitement et de manière surprenante, Madiambal enfile sa tunique de combattant pour rejoindre le ‘’maquis’’. Il découvre ainsi la face ‘’sombre et vicieuse’’ de la gouvernance du successeur de Wade. Cette volte-face intrigue plus d’un. Le concerné se justifie : ‘’Je suis lancé dans cette aventure avec un seul défi, faire tout savoir aux lecteurs pour une marche apaisée et viable de notre République. Cette exigence de transparence, de fidélité à la réalité et de souci de l’intérêt public, a toujours été la marque de fabrique de ce titre.’’
Des arguments qui ne convainquent. Certains qui l’ont côtoyé, rapprochent son attitude à son caractère impulsif. ‘’Il a des réactions très impulsives, parfois  des deux cotés, aussi bien pour les réactions négatives que positives dictées seulement par l’émotion. C’est après coup qu’il analyse. C’est quelqu’un qui peut être piqué sur le vif’’, témoigne une de ses connaissances
Pour Yakham Mbaye, fidèle de Macky Sall,  ‘’il est plus indiqué de questionner la moralité de ce donneur de leçon, qui lundi, il diffame sur la place publique celui qu’il dit être son ami. Mardi, il se précipite à son bureau. En sort pour aller à la télé tenir un discours aux antipodes de celui de la veille. Dire que cette personne est une girouette, c’est faire preuve d’une grande gentillesse.’’
En fait, l’homme aime être sous les projecteurs. Révélé au grand public au lendemain de la première alternance de 2000, Madiambal Diagne était perçu alors comme une sentinelle de la bonne gouvernance sous l’impulsion de son journal Le Quotidien. Ses révélations sur la gestion ‘’gabégique’’ du régime libéral lui ont valu l’antipathie du gouvernement de Wade. Il paiera son engagement journalistique par un séjour de 18 jours en prison en 2004 pour « diffusion de correspondances et rapports secrets ».
Moussa Sarr
Il sortira de taule en héros. Son passage à la prison augmente sa notoriété et renforce son journal jusqu’à la chute de Wade. Mais depuis 2012, ses prises de position ne cessent de vaciller. L’homme devient versatile. Tantôt il marche pour l’Etat, tantôt il fait des sorties surprenantes au nez et à la barde de ses ‘’amis’’.
En fait, depuis longtemps, Madiambal Diagne cache son jeu et toujours beaucoup de chose sur sa vie. Il n’aime pas parler de sa personne. Contacté par Seneweb pour cet article, l’homme a décliné. ‘’En réalité, son vrai nom est Madiambala Bâ Diagne’’, souffle une de ses vieilles connaissances. Agé d’une soixantaine d’années, il est originaire de Pékesse, une communauté rurale située dans le département de Tivaouane dans la région de Thiès.
Diplômé du prestigieux Centre de formation judiciaire (Cfj), l’ancien greffier ne fera pas une longue carrière dans cette corporation de la justice sénégalaise. Il sera radié vers le début des années 90.  D’ailleurs, son exclusion fait toujours jaser. D’aucuns soutiennent qu’il était mêlé à des pratiques douteuses. Cette sanction sera sans doute à l’origine d’une ‘’haine viscérale’’ de Madiambal nourrit à l’encontre des représentants de l’Etat.
C’est ainsi que l’ancien greffier s’est reconverti en journaliste. Il fait ses premiers pas dans le métier à Wal Fadjri L’Aurore, devenu Walf Quotidien. Sa liberté de ton, son style d’écriture ne passent pas inaperçus. Celui qui se cache sous le pseudo de Moussa Sarr attire l’attention des autorités.
Ascension et décadence du Groupe avenir communication
Cet amoureux de l’écriture va se forger une réputation dans la presse jusqu’à la création de son propre groupe de presse. En effet, après sa radiation, l’ancien greffier qui faisait des piges à Walf avait parallèlement un emploi dans une Ong qui avait un financement américain. Mais un contentieux avec l’Ong le pousse à ester en justice. Un règlement à l’amiable est trouvé et l’Ong décide de l’indemniser.
C’est avec cet argent qu’il a acheté un terrain à la cité Djily Mbaye. Une partie a servi à construire sa maison, l’autre sous forme d’appartements en location. Quand il a eu une stabilité  financière, il a  fondé le projet Avenir communication. Un projet murement réfléchi. Un de ses anciens collaborateurs  souligne qu’un expert lui avait dit qu’il n’avait «jamais vu un projet aussi bien pensé».
En fait, le démarrage du journal Le Quotidien a eu lieu le 24 février 2003. Pour éviter à ses employés les fins de mois difficiles, Madiambal a bloqué les  salaires jusqu’en septembre. Il débute l’aventure avec un groupe des jeunes journalistes talentueux comme Pape Samba Diarra actuellement directeur de publication de l’Observateur, Babacar Diop, Mamadou Biaye, Soro Diop, Aminatou Mouhamed Diop, pour ne citer que ceux là. Le journal connaitra un succès dès ses premiers numéros.
Quelques années plus tard, Madiambal Diagne postule pour un financement auprès d’une fondation. Selon certains de ses proches, il avait expliqué que c’était une fondation dont les financements, ouverts à tous, ne bénéficiaient qu’à des médias anglophones. Il décide alors de tenter sa chance. C’est ainsi qu’il a mis en place Week-end Magazine, le 15 mars 2007, et la radio Première Fm ainsi que le journal Kokoriko.
Mais son projet de création d’une station radio fut bloqué par le régime libéral qui lui avait refusé une fréquence. Malgré tout, il réussit à contourner l’obstacle en s’associant avec quelqu’un qui disposait déjà d’une fréquence. Mais le jour du lancement en février 2007, la gendarmerie débarque et saisit le matériel. C’est seulement en septembre de la même année qu’il va démarrer ses programmes.
La radio fera long feu. Et les relations entre Diagne et l’Ong qui l’avait financé déboucheront sur un procès à cause des nombreux retards de paiement.
Manager machiavélique 
A ses débuts dans la presse, Madiambal dégageait probité et rigueur. Il n’hésite pas à se séparer de certains de ses employés sur des questions liées à l’éthique et à la déontologie. Il lui arrivait de servir des mises à pied pour une histoire d’argent.
Petit à petit, l’homme fait sa mue. Pour des raisons incompréhensibles et de manière inélégante, Madiambal a licencié beaucoup de ses collaborateurs qui étaient les têtes pensantes de son groupe. C’est le cas de l’ancien Directeur de publication du quotidien, Mamadou Biaye, la Rédactrice en chef, Aminatou Mouhamed  Diop et le chef du desk politique, Soro Samba Diop. Il s’est aussi séparé, de manière similaire, à certains de ses employés de Wenk-end Magazine.
En fait, pour se rapprocher du régime de Macky Sall, Madiambal était prêt à liquider tout ce qui se dressait sur son chemin. Et les trois anciens piliers du journal Le Quotidien étaient considérés comme un obstacle à l’aboutissement de cet objectif. Ce rapprochement va d’ailleurs impacter négativement l’image de son journal, considéré, à tort ou à raison, comme un canard à la solde du pouvoir.
Teint noir, taille et gabarit d’un pivot de la Nba, l’homme à la grosse tête au crâne toujours à boule zéro était  bien parti pour être un bon chef d’entreprise. Mais Madiambal finit par confondre entreprise et famille. Il gère le groupe de presse comme sa maison. En témoigne la gestion du matériel. ‘’Parfois, sa famille devient prioritaire sur les reportages. Le chauffeur amène ses fils à l’école avec le véhicule de la rédaction pendant que les reporters attendent’’, témoigne un ancien du Quotidien.
Quant aux questions financières, personne n’avait la moindre idée, y compris ceux qui sont à la tête du journal ou du Magazine.  Les fins du mois deviennent de plus en plus difficiles. ‘’Il y avait parfois d’énormes retards de salaires. Et quand on lui demande de payer avec ses propres moyens, il disait : On ne mélange pas les gestions, alors qu’il lui arrive de passer chez les vendeurs de journaux pour récupérer de l’argent ».
Une parenthèse très difficile, surtout à la fin du régime libéral et au début du pouvoir de Macky Sall (2011-2013). « Quand ma mère me demandait si j’avais reçu mon salaire, je lui disais que je suis payé le 52 du mois », se souvient avec beaucoup d’humour un ancien reporter.
Un homme d’affaires ‘’cupide’’
Outre son statut de patron de média, le président de l’Union de la presse francophone (depuis 2014) détient aujourd’hui une petite fortune. En témoigne la réplique de Yaxam Mbaye suite à la sortie de Diagne sur le foncier. ‘’Entre Niaga peulh, Bambilor, Toubab Dialaw, Ouakam, Ngor, Almadie et Grand-Dakar, il est assis sur 59 000 mètres carrés ou, si vous préférez 5,9 hectares. A Ouakam, il dispose de 1546 mètres carrés répartis en quatre terrains qui font 164, 180, 204 et 998 mètres carrés. C’est l’équivalent de la superficie de dix maisons’’, informe Yakham Mbaye Directeur général du ‘’Soleil’’.
Ouakam, justement ! Aujourd’hui, les anciens collaborateurs de Madiambal Diagne se demandent si l’homme ne les a pas roulés dans la farine. En effet, selon des responsables, Madiambal Diagne les avait réunis un jour pour leur dire que le groupe devait avoir un siège. Une demande a été écrite pour un site à Ouakam. Des sources avaient affirmé à l’époque à ses anciens collaborateurs qu’un terrain leur avait été attribué dans cette zone, mais Madiambal leur avait fait croire que la demande n’avait pas aboutie. C’est seulement avec les révélations de Yakham Mbaye, que beaucoup d’entre eux se demandent si leur ex-patron n’a pas détourné le terrain à des fins personnelles.
En fait, ces dernières années, Madiambal ressemble plus à un véritable homme d’affaires qu’un patron de presse. D’aucuns le décrient comme un businessman cupide qui ignore certaines règles éthiques au profit ses intérêts personnels. On se souvient de l’affaire des 200 millions qui l’a opposé à Thierno Lô, ancien ministre sous Wade.
‘’Margouillat’’
Aujourd’hui l’homme que Baba Tandian, un adversaire éternel, qualifie de ‘’Margouillat’’ pense beaucoup plus à d’autres activités plus lucratives que son organe de presse. D’ailleurs, il fut Pca de l’école Yavuz Sélim dont la fermeture exigée à Macky par Erdogan a fait beaucoup de bruit. Visage triangulaire, sourire assez rare qui trahit une dentition blanche parfaite, l’ancien greffier, désormais ex-membre du Club des investisseurs sénégalais, s’active aussi dans le secteur du transport et dans l’immobilier.
Malgré tout, ce monsieur à l’allure d’un homme de base aux pas cadencés, est décrit comme quelqu’un de très sensible. ‘’Il a une réactivité émotionnelle qui désarçonne, il est très émotif, il a versé les larmes plusieurs fois devant les responsables de son groupe. Il peut être abattu par une mauvaise nouvelle. Mais aussi très impulsif’’, témoigne une de ses connaissances.
Mais le signataire des ‘’Lundi de Madiambal’’ n’a pas encore rangé sa plume. Après son crachat envoyé à la gueule des ses ‘’amis’’ de la mouvance présidentielle, il publie une autre chronique intitulée ‘’Pacte de confiance avec Macky Sall et le Peuple’’. Une preuve par quatre que l’homme reste insaisissable. Bref, un bon joueur d’échec

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