Loyer à Dakar: Cette nouvelle exigence des bailleurs qui rend plus salée la facture des locataires

Il faut maintenant verser une caution de 4 mois pour avoir un logement à Dakar. Cette nouvelle exigence des bailleurs rend plus salée la facture des locataires.  

Alors que les locataires n’ont pas fini de décrier la hausse vertigineuse du prix du loyer à Dakar, les propriétaires des bâtiments corsent la facture. Le montant de la caution passe du double au quadruple. C’est du moins la tendance dans certains quartiers de Dakar prisés par les locataires.

Courtier résidant à Mermoz, Fassely Camara, la trentaine, confirme cette hausse de la caution et rejette la responsabilité sur les bailleurs. Ce sont ces derniers, accuse-t-il, qui exigent les quatre mois. « Les bailleurs demandent maintenant quatre mois sans aucune explication. Ils demandent deux mois de loyer, un mois de caution et un mois pour la commission du courtier », a expliqué M. Camara, trouvant cette requête exagérée. Étayant ses propos, il donne un exemple en expliquant le cas d’un locataire qu’il a accompagné auprès d’une agence immobilière. « J’avais une cliente qui voulait prendre en location un appartement d’une chambre plus salon à Dieuppeul à 115.000 FCfa. Une fois à l’agence qui gère ledit appartement, la dame lui a réclamée quatre mois. Elle devait alors donner 460.000 FCfa comme caution pour avoir le logement. Somme qu’elle n’avait pas », a raconté M. Fassely Camara, courtier depuis 10 ans. Son camarade Youssou Coly embouche la même trompette pour dénoncer les quatre mois de caution. Il le trouve anormal même si, souvent, ce montant est remis au courtier pour sa commission.

Exigée lors d’un contrat de location meublée, dans le cadre d’un bail non meublé, la caution permet au propriétaire de financer la réparation d’éventuels dégâts causés sur la résidence par le locataire après le départ de celui-ci. Le bailleur peut donc se servir de cette somme pour refaire la peinture de l’appartement loué, réparer une fenêtre cassée ou pour couvrir toute autre réparation locative. Mais, selon El Hadji Mbaye, gérant d’un immeuble en location à Liberté 6, les quatre mois se justifient. « Il y a des locataires qui, quand ils partent, laissent la maison dans un état de vétusté avec des factures et des arriérés souvent qui dépassent largement la mensualité », explique-t-il. Il est conforté dans sa thèse par M. Doucouré, vigile reconverti courtier. Ce dernier juge adéquat les quatre mois. « C’est une sorte de garantie. En réclamant ce nombre de mois, les bailleurs anticipent sur les éventuels contentieux. Il arrive qu’un locataire cumule des arriérés et quand le bailleur saisit la justice, il peut rester quatre à six mois avant d’avoir gain de cause. C’est pourquoi certains bailleurs réclament parfois six mois », justifie-t-il. « Injuste », fulmine Dieynaba Sall, ingénieure en génie civil. Elle s’était confrontée à cette situation quand elle cherchait un logement. Dieynaba avait dit niet. « J’ai filtré sur les trois mois que je considérais le minimum », indique la jeune dame, fraîchement mariée, considérant la location comme un vrai problème à Dakar. « Si l’on vous réclame quatre mois, il faut débourser entre 600.000 à 800.000 FCfa. Ce n’est pas raisonnable de demander un tel montant si l’on sait que le mois qui suit, on doit encore payer, sans compter les autres dépenses à faire », a-t-elle dénoncé. Elle interpelle les autorités en charge de la question et leur demande de réagir en réglementant le secteur immobilier de manière à soulager un peu les locataires.

4 mois, un abus

Résidante à Ouakam, Arame Ndoye, responsable commerciale dans le secteur informatique, n’a pas vécu cette situation mais elle trouve exagérés les quatre mois de caution que les bailleurs veulent ériger en règle. « Quand j’ai emménagé dans mon appartement, la caution représentait deux mois de loyer. Quand on sait combien les loyers sont chers, même ces deux mois ne sont pas donnés, mais passer la caution à 4 mois me semble exagéré. C’est à se demander si les bailleurs veulent louer leurs chambres ou leurs appartements », déclare-t-elle. La jeune dame comprend que les bailleurs ont investi dans leurs bâtiments et qu’ils cherchent aussi à se protéger mais, rappelle-t-elle, « nous vivons tous au Sénégal et connaissons tous la réalité économique du pays. Peu de gens sont ceux qui peuvent se permettre de sortir autant d’argent d’un coup. Il faut que les bailleurs se mettent à la place des locataires ». Trouvant que les locataires sont trop livrés à eux-mêmes, elle plaide pour la réglementation du secteur avançant que l’accès au logement est un droit pour tous. « Les prix ne cessent d’augmenter et les conditions d’accès aux logements de plus en plus difficiles, au grand dam des honnêtes citoyens qui ne cherchent qu’à vivre décemment. Nous locataires aussi devons-nous organiser et dire non à certains abus des bailleurs », préconise-t-elle. L’enseignant à la retraite Abdoulaye Diène, rencontré à Liberté 6, demande l’intervention de l’État pour mettre fin à ce qu’il considère comme « un diktat » des bailleurs. Le Secrétaire général exécutif de la Ligue des consommateurs du Sénégal, Assane Boye, interrogé sur la question, dénonce un laisser-aller total sur beaucoup de choses au Sénégal. Il juge illégaux les quatre mois de caution et demande aux locataires de refuser de verser ce montant.

Pourtant, le problème de la caution ne devrait pas se poser si les articles 572 et 573 du Code des obligations civiles et commerciales (Cocc) étaient respectés par les bailleurs. C’est du moins l’avis de Me El Hadji Amath Thiam, juriste consultant, spécialiste en fiscalité des entreprises. Se référant à ces deux articles, il explique que le montant du dépôt de garantie doit être limité à deux mois de loyer sans les charges et est restituable en fin de bail. « Seuls les frais éventuels de remise en état des lieux susceptibles de vous incomber peuvent être déduits de cette garantie », explique-t-il. « Vous pouvez inciter le propriétaire au respect de cette exigence en stipulant dans votre contrat des pénalités par jour de retard, mais dans ce cas vous devrez admettre qu’une pénalité, du même ordre, vous soit appliquée au cas où vous accuserez, vous aussi, du retard dans le paiement de vos loyers », ajoute-t-il.

ÉLIMANE SALL, PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION DES LOCATAIRES DU SÉNÉGAL
« Nous sommes en train de recenser les agences qui s’adonnent à cette pratique »
Le Président de l’Association des locataires du Sénégal (Als), Élimane Sall, fustige le fait que la caution soit portée à quatre mois. À l’en croire, depuis lors, ils sont en train de faire des mains et des pieds pour que l’État intervienne. « Nous avons écrit au ministère de la Justice et à la Présidence de la République parce que nous n’avons pas de pouvoir dissuasif. Nous ne pouvons que dénoncer quand il y a des manquements. Ce que nous avons fait. Nous sommes en train de recenser les agences qui s’adonnent à cette pratique pour pouvoir donner leur nom », prévient-il. « La loi dit deux mois, c’est-à-dire un mois de caution et un mois d’avance, mais on était d’accord sur un troisième mois de commission qui ne figurait nulle part sur les contrats de loyer », poursuit-il. M. Sall raconte que quelqu’un l’a appelé pour une réclamation parce qu’on aurait demandé à son frère 7 mois de caution avant d’accéder au logement. Cependant, il pense que si la situation a atteint ce niveau, c’est parce qu’il n’y a pas de contrôle. « Tant qu’on laisse le locataire et le bailleur contracter librement, il y aura toujours ces abus. L’État qui doit agir. Depuis quand les gens ont-ils le droit de fixer leur propre loi et de l’appliquer au vu et au su des autorités qui laissent faire », regrette-t-il. À son avis, cette hausse de la caution est à l’origine des contentieux constatés entre les bailleurs et les locataires avançant que le montant de la caution est tellement colossal que certains locataires n’arrivent pas à payer le mois qui suit. Ce qui ouvre la porte aux contentieux.

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