Les partisans du burkini défendent-ils, au nom de la tolérance qu’ils invoquent, le port du string sur les plages saoudiennes?

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Cher Matthieu,

A voir le mal que tu te donnes pour démontrer que ma petite question ne tient pas, je commence à penser qu’elle n’est pas si mauvaise.

La “triche”, à mes yeux, n’est pas de fuir l’exemple du string ou de l’Arabie Saoudite, mais au contraire de s’en tenir à eux. Et c’est quand on me reprend sur les termes même de cette question qu’à mon sens on “répond à coté”.

J’ai cité l’Arabie Saoudite – que je ne connais pas et où, pour des raisons évidentes, je ne me suis jamais rendu – mais j’aurais pu tout aussi bien citer l’Iran chiite, le Yémen, le quartier orthodoxe de Jérusalem, les zones tribales du Pakistan ou, plus modestement, le Maroc (dont l’article 489 du code pénal criminalise “les actes licencieux ou contre nature avec un individu du même sexe”)… Autrement dit, toute bande de terre où la tolérance est sacrifiée sur l’autel d’une religion d’Etat.

J’ai parlé du string, Dieu me pardonne. J’aurais pu citer le cas des femmes mariées de force, des chrétiens d’Orient qu’on assassine ou qu’on censure, ou même, tout simplement, du cas de cette institutrice Suisse dont les élèves musulmans de sa classe ont reçu l’autorisation de ne pas lui serrer la main.

Bref, mon propos n’est évidemment pas de comparer la France et l’Arabie Saoudite (je te remercie de m’en faire le crédit), ni le string et le burkini (j’avoue préférer le spectacle du premier, mais je n’ignore pas que l’un et l’autre peuvent, selon les lieux et les conditions de vie, signifier la réduction de la femme comme son émancipation).

Mon propos est, tout bêtement, de mettre les partisans du burkini (comme ceux qui, sans le promouvoir, s’indignent – peut-être à juste titre – de son interdiction) face aux contradictions d’une tolérance unilatérale (et typiquement occidentale) qui trouve essentiel de lutter pour le burkini sur les plages françaises, mais qui trouve secondaire, inutile, voire insupportable, de dénoncer la privation des droits des femmes sous d’autres latitudes.

Que n’ai-je fait ?

Pardonne-moi, je t’en supplie, de revenir un instant sur les réactions suscitées par ce tweet. Il ne s’agit pas de parler de moi ; seulement, les réactions me semblent beaucoup plus intéressantes que la pauvre question qui les a suscitées.

Parmi les nombreux qui ont tenu à me répondre tout en essayant de ne pas le faire, il y a ceux qui, comme Xavier Ternisien, déclarent sans vergogne que “j’invite la France à s’aligner sur les normes saoudiennes”. J’avoue que je n’avais pas vu venir cet argument, tant il m’est étranger. D’ailleurs, c’est la première fois, en 15 ans de parole publique, qu’on me fait un tel procès d’intention.

Il y a ceux, plus attendus, qui m’accusent d’islamophobie, et qui voient dans ma question une façon sournoise de défendre un arrêté scélérat (dont les attendus heurtent le libéral que je suis)…

Fait étonnant : ce sont souvent les mêmes. Le même Ternisien, par exemple (que je cite à titre de symptôme mais dont la mention a autant de valeur à mes yeux que celle du string) a cru bon, après avoir pointé mon tropisme saoudien, et sans crainte de se contredire, d’exhumer un article de 2008 dans lequel il prétendait démontrer combien je détestais l’Islam et le monde arabe. Ce qui témoigne du fait que nous ne sommes pas ici en présence d’un débat d’idées, mais d’un discours qui ne se soucie guère d’additionner les antagonismes tant qu’ils vont dans le même sens (toutes proportions gardées, Nicolas Sarkozy avait lui-même en son temps fait l’objet d’un discours à la fois systématique et contradictoire qui le présentait simultanément comme un flic et un voyou, voire un nationaliste et un métèque… On appelait ça la sarkophobie, et son inconvénient majeur était qu’elle empêchait de critiquer NS, justement, mais j’étais bien mal placé pour dire tout ça).

Il y a ceux, aussi, Fabrice Arfi en tête, qui m’ont reproché de ranger dans le même panier les “partisans” du burkini et les gens (dont je suis) qui, sans adorer ce vêtement, refusent qu’on l’interdise. Mea culpa. La taille d’un tweet ne me permettait pas d’entrer dans ces nuances. Mais ça ne changeait rien à la question que je posais, dans la mesure où (des associations pro-burkinis aux simples citoyens attachés au respect des libertés individuelles) tout le monde brandissait la même valeur de “tolérance”.

Il y a l’extrême-droite, qui me reprochait de m’intéresser aux Saoudiens, alors que seuls comptent les Français…

Il y a ceux qui ont répondu “oui, évidemment, la tolérance doit s’appliquer partout, burkini ici, string là-bas”, mais ils sont très minoritaires. Et le fait qu’ils soient tellement minoritaires m’inquiète beaucoup plus que la foule (pour le coup, très nombreuse sur Twitter) des tenants du “sale juif” ou du “ex d’une pute” sur lesquels je ne m’attarde pas…

Tes arguments, bien sûr, sont d’une autre qualité.

Tu as raison de pointer un parallèle hâtif entre un exemple empirique et un contre-exemple imaginaire. De montrer l’abstraction de mon propos et la double symétrie dont cette abstraction s’autorise. Et de voir une stratégie dans la juxtaposition hugolienne du sublime string et du grotesque burkini…

Mais, pardonne-moi, l’esquive est la même !

Pourquoi t’en tenir aux exemples que je donne au lieu de répondre à la question que je pose ? N’entends-tu pas cette question, sous le folklore de ses exemples ? N’as-tu jamais eu, dans ta carrière, à lutter contre la mauvaise foi des interlocuteurs (ou des élèves) qui, pour éviter une question, choisissent d’en questionner les termes (alors que tu aurais pu en choisir d’autres) ? Ne sais-tu pas, mieux que personne, qu’il y a une différence fondamentale entre interroger les termes d’une question et questionner la question elle-même ?

Tu me renvoies à l’isosthénie pascalienne, à l’ethnocentrisme et à une “stratégie de retour à l’envoyeur”, mais, encore une fois, je ne parle ni de l’Arabie Saoudite, ni de l’Egypte, ni même, en un sens, de la France !

Partant du principe qu’il vaut mieux vivre là où le débat sur le burkini est (encore) possible, que là où le port du string est (à jamais) interdit, je soupçonne simplement une tolérance à géométrie variable (qui se moque de la condition des femmes en Arabie Saoudite mais défend mordicus le droit de se baigner en burkini) d’être l’alibi de l’entrisme. D’ailleurs, tu le dis toi-même : “Je n’ignore certainement pas, ni ne prescris d’ignorer, la manière dont la revendication de venir couverte à la plage peut se trouver enrôlée dans un agenda politique précis, de la part de groupes de pression et d’influence.” C’est le fond du problème !

Tu dis redouter ce qui se tricote dans ton pays. Et toutes ces “petites dérogations complémentaires, qui sont autant de marges ouvertes pour la surveillance tatillonne, pour l’humiliation sûre de son bon droit, etc.” Je suis absolument d’accord avec toi. Et avant de parler du string, mon dernier fait d’armes (si j’ose dire) était d’en être venu aux mains (sur le même réseau social) avec ce démagogue de Laurent Wauquiez qui réclamait des “mesures préventives” et l’internement des fichés S… Je redoute comme la peste le retour aux affaires d’une droite qui veut s’en prendre au droit, sans voir qu’elle tient exactement le discours que les fondamentalistes veulent entendre. Le but des associations pro-burkini n’était-il pas d’obtenir, plus qu’un droit, l’interdiction légale qui leur permît de se présenter comme les victimes d’une législation islamophobe ? L’arrêté cannois est une prise de guerre pour elles. C’est en cela que j’y suis hostile.

Seulement, la pelote, pour moi, qu’il convient de détricoter, c’est celle qui attache un fascisme croissant aux bons sentiments qui le soutiennent. C’est la sainte alliance du fondamentalisme qui pousse ses pions et du relativisme qui lui ouvre les portes. C’est l’étrange mansuétude dont la gauche de mon pays fait preuve à l’endroit des comportements qu’elle a toujours combattus (le premier exemple qui me vient à l’esprit est l’éloge foucaldien de “la spiritualité politique” à l’oeuvre dans la révolution iranienne, mais tu connais ça mieux que moi). C’est la façon dont (sans voir qu’en cela nous restons des colonialistes) nous préférons couvrir les femmes ici, que les déshabiller là-bas. C’est l’Islam radical qui se sert du fait que la France est une démocratie non pour en accroître les libertés mais pour gagner du terrain.

Il aurait suffi, pour me donner tort, que les partisans (les vrais) du burkini répondent comme un seul homme qu’évidemment, en vertu de la même “tolérance”, cette tolérance à laquelle ils sont tellement attachés, il leur est insupportable que les femmes n’aient pas le droit de se promener cul nu dans les rues de Ryad. J’attends toujours… et je crains d’attendre longtemps ce qui, pourtant, relève d’une évidence, non ? En un mot, ce qui me fait peur, ce ne sont ni les cons ni leurs jumeaux, mais le coup de main que “les groupes de pression et d’influence” (sic) reçoivent d’intelligences exceptionnelles, dont la vigilance se trompe d’ennemi et dont la puissance conforte la duplicité.

Certains m’ont dit aussi que je voyais le mal partout, et qu’il n’y avait, au fond, que des partisans de la liberté. Je les supplie d’avoir raison, mais je n’y crois pas (plus que toi). Et sans dire que l’histoire bégaie (quoique), j’ai le sentiment, à constater ce genre d’alliances (et leur apparition, dans l’histoire, à des moments critiques), que comme dit Bergson, “la poussière varie mais le tourbillon est le même”.

Dans l’intervalle, je reste et je demeure objectivement réservé sur l’usage du string pour les hommes. A moins de l’appeler “strong”, ce qui (malgré que j’en aie) en dit long sur la persistance, en moi-même, de clichés aberrants.

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