Les Lundis de Madiambal : Macky gagne une guerre de 40 ans

Madiambal
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L’Armée sénégalaise a fait le job. Toutes les bases ou places fortes que le Mouvement des Forces démocratiques de Casamance (Mfdc) pouvait considérer comme des sanctuaires imprenables ont fini par être démantelées. Des opérations militaires baptisées «Bravo» (B) et «Charlie» (C) – est-ce à dire que l’objectif était de pacifier de Banjul à Cacheu ? – ont été conduites à partir du 26 janvier 2021 et, en un temps éclair, ont permis d’arriver à bout de la rébellion qui sévissait dans la partie sud du Sénégal depuis 1982. C’est un «ouf» de soulagement que les populations ont exprimé, quand les médias ont été transportés sur le théâtre des opérations pour constater la débâcle des combattants séparatistes. Des familles chassées de leurs terres et de leurs habitations ont pu ainsi être réinstallées.
Depuis l’éclatement de la rébellion en décembre 1982, les autorités sénégalaises avaient adopté la stratégie du bâton et de la carotte. L’Armée disait sa certitude de pouvoir venir à bout des combattants du Mfdc, mais le commandement militaire se trouvait bridé par des contre-ordres des autorités politiques qui souhaitaient, à chaque fois, donner la chance à des négociations, des rounds de sempiternels pourparlers. Et le Mfdc exprimait un souhait de retourner à la table des négociations, toutes les fois que sa branche armée «Atika» essuyait de lourdes pertes. Les accalmies ainsi obtenues servaient au mouvement irrédentiste pour se faire une santé et de se rééquiper. Dans le même temps, dans le cadre d’une politique de main tendue et de programme de réinsertion, d’importants transferts de fonds et autres ressources matérielles étaient régulièrement effectués au profit de ses combattants essoufflés. Les Présidents Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et Macky Sall s’y sont essayés et le scénario n’a jamais varié. En effet, les attaques du Mfdc reprenaient systématiquement, comme si de rien n’était, avec leurs lots de morts, de désolation, d’insécurité pour les populations de la région naturelle de Casamance.
Macky Sall, chef de guerre à son corps défendant
Dès son arrivée au pouvoir en 2012, le Président Macky Sall s’était fait un double point d’honneur d’arrêter la politique des valises au profit du maquis, et de considérer la région de la Casamance comme l’une des zones prioritaires pour les investissements publics. Il est loisible à tout un chacun de mesurer les efforts consentis par l’Etat du Sénégal pour doter la région d’infrastructures, d’équipements et autres investissements productifs. Il faut dire que de nombreux «indépendantistes» casamançais justifiaient leur revendication en considérant que leur région était laissée pour compte. Les statistiques disaient bien le contraire, mais le Président Sall poursuivait inlassablement sa politique de réalisation. Le flux des investissements, notamment dans le domaine des transports, de l’agriculture, de l’hydraulique et de l’électrification a permis d’en arriver à une situation où on pouvait dire légitimement que «la Casamance ‘’retrouve’’ le Sénégal» (notre chronique du 21 janvier 2019).
Mieux, le Président Sall se montrait on ne peut plus ouvert au dialogue et à la réconciliation nationale. De nombreux appels à la paix ont été lancés en direction des dirigeants du Mfdc et des missions de bons offices dépêchées pour leur parler. Il avait préconisé la «paix des braves, sans vainqueurs ni vaincus», qu’il a appelée de ses vœux le 17 mars 2014. Toutes les couches sociales, économiques et politiques du pays ont été mises à contribution. Le Sénégal a même accepté des pourparlers sous l’égide de médiateurs internationaux et à l’étranger. Des titres de voyage spéciaux avaient été donnés à des dirigeants du Mfdc. Mais le Mfdc s’avéra incapable de nouer une paix définitive avec le gouvernement du Sénégal. Chaque accord de paix était violé par une nouvelle faction de la rébellion. La guerre des chefs du Mfdc n’était pas pour arranger les choses. Les sordides trafics d’armes et de drogues dans lesquels ils étaient mêlés les obligeaient à s’éloigner du chemin de la paix. Tout cela, au grand dam des paisibles populations.
Dans son message à la Nation du 31 décembre 2017, le Président Macky Sall consacra une nouvelle ode à la paix en Casamance. Il avait tendu une «main fraternelle» aux rebelles armés et leur proposa, une fois de plus, un pacte de «paix définitive» qui ne ferait ni de vainqueurs ni de vaincus. La réponse de factions armées ne s’était pas fait attendre. Moins d’une semaine après ce vibrant appel du chef de l’Etat, une escouade armée avait canardé des jeunes gens, rencontrés dans la forêt de Bourofaye, dans la périphérie de Ziguinchor. Le bilan du carnage était terrible et révoltant. Ce triste 6 janvier 2018, treize jeunes gens avaient perdu la vie et six autres atteints grièvement par balles. La Nation sénégalaise était en deuil et en colère ; une colère légitime. Il apparaissait alors que la seule solution pour vaincre le Mfdc restait la solution militaire.
C’est en définitive cette option qui a été privilégiée pour vaincre le Mfdc. Dans une chronique intitulée «Il est temps d’en finir définitivement avec le Mfdc», il nous semblait absurde que l’Etat du Sénégal puisse continuer à souffrir éternellement la situation de voir la moindre partie de son territoire échapper à sa souveraineté ou son autorité, ou que des populations innocentes vivent sous la terreur et ne se sentent pas protégées par leur pays, alors que le Sénégal avait bien les moyens de restaurer son pouvoir régalien bafoué. Nous disions : «Cette dernière attaque (Ndlr : Boffa Bayotte) nous ramène à nouveau à la réalité de la situation du conflit armé. Combien de fils et filles du Sénégal y ont déjà perdu la vie ? Combien de missions de bons offices, de missions de paix ont été conduites ? Combien de cessez-le-feu ont été signés ? Combien de mesures de grâce ont été accordées à des combattants et autres leaders indépendantistes arrêtés ? Combien de fois des prisonniers ont été libérés dans l’espoir de les voir revenir dans la ‘’famille’’ de la Nation sénégalaise ? Combien de valises d’argent ont été convoyées dans le maquis dans l’esprit qu’elles calmeraient la furie des chefs de guerre ? Toutes ces mesures et les sommes dépensées pour des projets de réinsertion sociale de combattants rebelles n’ont abouti qu’à la tuerie de Boffa Bayotte.» L’Etat du Sénégal a fait toutes les concessions imaginables dans ce conflit. L’Armée nationale et les autres forces de sécurité ont essayé de jouer leur partition de sauvegarder l’intégrité du territoire national. La coupe était pleine. Personne ne se trouvait en sécurité en Casamance. Des coupeurs de route pouvaient surgir de n’importe quel buisson pour attaquer. Des voyageurs ou des paisibles agriculteurs ou éleveurs étaient attaqués et dépossédés de leurs biens et même tués.
Nous insistions donc en assumant l’option militaire, car «il urgeait de prendre toutes les mesures nécessaires pour traquer ces bandits qui, il faut le dire, ne sont point mus par un élan de combat patriotique, mais plutôt sont des brigands qui cherchent à exercer une terreur pour continuer à rançonner l’Etat du Sénégal. L’Armée sénégalaise qui a été dotée, ces dernières années, d’une puissance de feu qui devrait l’autoriser à expurger les rebelles de leurs dernières caches doit être lancée, sans répit, aux trousses des agresseurs. Il ne doit plus rester un centimètre carré du territoire national qui servirait de sanctuaire à des groupes rebelles armés. Les cantonnements rebelles doivent tous être éradiqués et leurs occupants rudement pourchassés. Le choix doit être clair pour tout le monde : C’est celui de quitter le maquis ou d’être traité comme un vulgaire terroriste et tueur. Le Sénégal est dans une situation de légitime défense face à des hordes qui assassinent et massacrent d’innocents citoyens. (…) Il n’est pas besoin d’être un stratège militaire pour bien s’imaginer que si des contingents militaires se mettaient de part et d’autre des zones infestées de rebelles et qu’ils se donnaient pour mot d’ordre de réaliser la jonction après que chaque buisson soit ratissé, fouillé et sécurisé, l’opération sonnerait le glas du Mfdc. Un rapport de forces doit être imposé aux groupes rebelles, jusqu’à ce qu’ils acceptent un désarmement sans condition. (…) Si d’aventure le Sénégal n’aurait pas encore les moyens de gagner la guerre, il ne saurait se trouver aucune autre urgence ou priorité que de donner à l’Armée les moyens pour garantir notre sécurité et l’intégrité de notre territoire national. (…) En effet, chaque pays doit se donner les moyens d’assurer sa sécurité intérieure».
Aujourd’hui, la donne a changé, le Mfdc est vaincu. Le Président Macky Sall a rempli son devoir régalien, mais s’interdit de parader. Il considère sans doute qu’il a gagné une guerre contre certains de ses compatriotes égarés. C’est sans doute cette pudeur et ce scrupule qui font qu’aucun bilan des opérations n’a été fourni. Macky Sall aura désormais à faire la paix avec et pour les populations.
Empêcher le Mfdc de renaître de ses cendres
L’Etat du Sénégal a pu de façon efficiente mener des opérations régulées dans le Sud du pays, avec comme objectif de réduire la rébellion armée du Mfdc à sa plus simple expression. L’Armée sénégalaise, depuis quelques années, s’était donné pour but de sécuriser toute la zone sud du pays en repoussant les derniers bastions de la rébellion, en démantelant toutes les bases clandestines, en coupant toute connexion ou relais des forces rebelles avec des alliés ou sympathisants du côté de la Guinée Bissau.
La situation acquise pour l’heure est un affaiblissement total des adversaires de l’Armée nationale, en attendant prochainement les maquis du front nord, avec une désertion des rangs, un contrôle de toutes les zones longtemps sous le joug des forces du Mfdc et une réinstallation progressive de populations sous l’impulsion des forces armées sénégalaises. La plupart de ces populations ont été chassées de leur terroir pendant plusieurs décennies par la furie des combats. Face à cela, on peut dire tout haut que l’Etat du Sénégal a gagné sa guerre et de façon constante l’Armée sénégalaise a pu affirmer la pleine expression de la souveraineté sur l’ensemble du territoire et taire toute velléité de sécession d’un ennemi domestique.
L’option de l’affrontement militaire a été la principale recommandation des forces de défense et de sécurité du Sénégal qui considéraient que le conflit n’a que trop duré et que l’Etat, avec les renseignements détenus, avait les moyens de cerner toutes les factions rebelles. C’est ainsi que des opérations ciblées, faites de frappes aériennes et d’interventions sur le terrain, ont été menées avec comme instruction de ne laisser aucun répit aux forces ennemies. Au vu du résultat obtenu, le feu du canon, option retenue à tous les niveaux de commandement, a permis à l’Armée sénégalaise de remplir sa mission. Toutefois, il ne faudra pas oublier qu’à une paix obtenue par l’effort de guerre, une construction politique, sociale et économique doit suivre. Le chroniqueur Yoro Dia comparait à juste titre dans ces colonnes la logique de l’Armée sénégalaise dans le conflit en Casamance à un scénario sri-lankais, avec des forces armées obtenant la paix totale et rétablissant l’autorité de l’Etat. Les armes ont parlé et apporté une réponse, l’autre pan de la réponse reste du fait politique et revient au chef de l’Etat qui, après avoir minutieusement piloté les opérations militaires, devra troquer la casquette du chef de guerre à celui du faiseur de paix.
Cette paix est à faire avec les populations de toute la région sud du pays à travers des actions politiques et économiques, elle se doit d’être davantage impulsée à travers les programmes publics de désenclavement et de développement économique.
On devrait ainsi changer de paradigme. L’argent qui aurait pu aller aux Mfdc devra être consacré à construire des maisons, des centres de santé, des écoles, distribuer des aides sociales et appuyer les initiatives économiques des populations. L’Armée devra rester sur place pendant 40 autres années au besoin, le temps de pacifier définitivement la zone. N’est-elle pas en opération en Casamance depuis 40 ans ? Il ne devra plus être question de permettre un quelconque retour de combattants armés dans la zone.
Prendre garde aux faiseurs de paix autoproclamés
Le Président Sall ne devrait plus tomber dans les travers du passé. Les mêmes voix s’élèvent encore, après la victoire sans bavure de l’Armée contre le Mfdc, pour tenir le même discours qui peut sembler de l’hypocrisie. En effet, une structure, comme la Coordination des cadres de la Casamance, sous la signature de son président Pierre Goudiaby Atepa, a vite fait de sortir une déclaration en date du 18 février 2021, pour faire la leçon, indiquant notamment «qu’un tel regain de confrontations violentes aurait pu être évité et qu’à l’heure actuelle, le retour d’une paix définitive en Casamance devrait être la priorité et la préoccupation». Pierre Goudiaby Atepa et ses amis offrent à nouveau leurs services de médiateurs et osent «des propositions pour un retour définitif de la paix». Une rhétorique déjà entendue combien de fois ? D’un autre côté, dans une déclaration en date du 20 février 2021, Jean-Marie François Biagui, ancien Secrétaire général du Mfdc, qui avait rendu les armes, invite les responsables de «Atika» à faire de même. Il ne préconise pas moins que le fédéralisme, donc un Etat casamançais ou, à défaut, que le Sénégal taille un «statut spécial» pour cette région. Une rengaine elle aussi déjà connue.

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