LES ÉTUDIANTS SÉNÉGALAIS DEVENUS DJIHADISTES – SADIO GASSAMA, ASSANE KAMARA ET AZIZ DIA : DE L’UNIVERSITÉ AU…JIHAD

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Les mouvements djihadistes recrutent jusque dans les universités. Au Sénégal, ils ont réussi à enrôler au moins quatre étudiants qui entrevoyaient un avenir radieux. Focus sur ces « têtes bien faites » qui ont abandonné leurs études universitaires au profit de la « cause d’Allah » et des causes susceptibles d’expliquer leur embrigadement.

Le djihadisme, une affaire d’analphabètes et d’incultes ? Il serait hasardeux de nier que nombre de jeunes qui ont embrassé l’idéologie djihadiste ont été perdus par leur faible niveau d’études, voire une absence d’instruction entre autres causes. Mais à coté, il y a bien de la matière grise, des têtes bien faites qui n’ont pas jugé nécessaire de poursuivre leurs études universitaires. C’est le cas des étudiants sénégalais Sadio Gassama, Assane Kamara et Aziz Dia, des étudiants.

Le « Nigérien » Aziz Dia

Dernier de cette liste d’apprenants ayant rompu les amarres avec le temple du savoir, Abou Zoubaïb de son nom guerre a été arrêté samedi 12 novembre 2016 à Rufisque (sortie de Dakar) au quartier Gouye mouride Alwar. Agé de 28 ans, il a fréquenté l’Université Cheikh Anta Diop après l’obtention de son Bac L2. Un de ses anciens camarades a confié à senego.com qu’Aziz Dia était inscrit au département de Géographie. C’est alors qu’il devait passer sa licence que celui se fait appeler Abou Zoubaib dans les prairies djihadistes a tourné casaque. Ses nouveaux objectifs : assimiler les sciences islamiques. Ce qui vraisemblablement, a conduit l’ « ibadou rahmane* » tout droit dans le djihadisme. Pour l’heure, il est difficile d’affirmer qu’Aziz Dia a combattu pour un groupe ou pour un autre. En revanche, une vidéo de lui dans un camp d’entrainement djihadiste, arme en main, a été visualisée par les limiers. Il est aussi détenteur d’une carte nationale d’identité nigérienne. En outre, trois puces téléphoniques libyenne, nigérienne et burkinabè ont été découvertes dans une maison en construction où il passait le plus clair de son temps après son retour du Niger, il y a juste un mois. Ce qui porte à croire qu’il a séjourné dans ces trois pays, tous touchés par le terrorisme.

Grâce à sa filiale libyenne, l’Etat islamique est présent dans cette partie d’Afrique du nord et tient des lopins au Niger avec le concours de Boko Haram qui a officiellement fait allégeance à l’Ei depuis mars 2015. Quant au Burkina Faso, il a été attaqué par l’alliance Aqmi-Al Mourabitoune le 15 janvier dernier et continue d’être la cible, dans sa partie nord-ouest, d’assauts répétés revendiqués ou prêtés à l’Etat islamique dans le grand Sahara sous l’impulsion d’Adnan Abuwalid al-Sahraoui, un ancien cacique du Mujao. Reste maintenant à savoir dans lequel de ces groupes l’ancien amoureux du rap américain, particulièrement de Tupac inculpé et placé sous mandat de dépôt pour activités terroristes présumées,  avait déposé ses baluchons.

Les médecins sénégalais de l’Etat islamique

Pour son compatriote Sadio Gassama, le choix s’est vite porté sur l’Etat islamique. Lui aussi étudiant à l’Université Cheikh Anta Diop, de 2010 à 2014, le Ziguinchorois a été convaincu par le projet d’al-Baghdadi de ressusciter le « Califat islamique ». Dans le dernier trimestre de l’année 2015, il brave les rigueurs du désert nigérien pour rallier Syrte, déjà sous le contrôle de combattants de « Daesh » et où sont établis d’autres Sénégalais. C’est d’ailleurs depuis ce bastion de l’Ei que l’étudiant en médecine envoie un message glaçant à ses amis sur Facebook. «Salamou aleykoum pour ceux qui veulent une nouvelle de moi qu’ils sachent que je suis en vie Alhamdulillah. Maintenant je suis médecin djihadiste dans l’Etat islamique en Libye. Walilahil hamd», lâchait-il non sans déchaîner une série de réactions aussi désapprobatrices les unes que les autres. Mais la messe était déjà dite. La décision du jeune djihadiste était irrévocable surtout qu’elle semblait avoir été étudiée minutieusement. Il confiait à l’auteur qu’il a mûrie son idée de rejoindre l’Ei pendant des mois. Une période durant laquelle il affirme à une journaliste de Reuters avoir voulu « frapper le Sénégal ». Le pays qui l’a vu naître mais qu’il qualifie aujourd’hui de « terre de mécréance ». Qu’est ce qui a pu décider ce jeune dont les lendemains n’étaient pas si moroses que ça, pour qui sait le bon traitement réservé aux médecins au Sénégal, à tout remettre en question ? Cette interrogation, ses proches se le posent encore. Tout comme ceux de son camarade de route demeurent sous le choc après qu’Abu Bakri Ibn Musa a mis les voiles aux fins de gonfler les rangs de « Daesh ».

Parti en Libye en même temps que Sadio Gassama, selon des sources proches du djihadiste sénégalais, cet ancien étudiant en médecine a connu un parcours scolaire brillant. Il est venu à bout du Baccalauréat S1 avec la mention Bien, renseigne-t-on et a ainsi décroché son ticket d’entrée à la Faculté de Médecine, de Pharmacie et d’Odontologie où, si on en croie nos sources, il a rencontré son futur « frère » djihadiste. Les posts qu’il fait sur le réseau social Facebook démontrent à suffisance son QI élevé. S’exprimant dans un français académique, l’autre « médecin » sénégalais de la « wilayat tarabulus (province de tripolitaine) » de l’Etat islamique en Libye n’hésite pas à défendre sa cause extrémiste. Dans un texte kilométrique datant du 29 novembre, il a tenté de justifier les attentats commis par Abdelhamid Abaaoud et sa bande à Paris le 13 novembre 2015. L’homme s’est même permis revoir à la hausse le nombre de victimes qui selon lui auraient dépassé 200 en lieu et place des 130 retenus par les autorités françaises. En réalité, il reprenait les médias officiels de l’Etat islamique à propos du bilan de ces attentats terroristes. A l’occasion d’autres publications, l’ « ami » de Gassama se glisse dans la peau du porte-parole de Boko Haram qui, pour lui, est tout sauf un groupe sanguinaire comme le dépeignent les médias. Rien de surprenant pour quelqu’un qui a ajouté à son nom de combattant (Shekau as Senegaali) en référence au chef de Boko Haram Abubakar Shekau. Mais, aussi incroyable que cela puisse paraître, son idole a été défenestrée début août 2016 par l’Ei à cause de l’excès dont il fait montre dans le « takfirisme » (excommunication). Il a été remplacé par Habib Yusuf, fils du fondateur de Boko Haram, Mouhamed Yusuf.

A Sherbrooke…

Rejeton d’un ancien diplomate sénégalais, Assane Kamara était à deux doigts de faire le grand saut. Il aurait projeté de se rendre en Syrie. Etudiant en Economie à l’Université de Sherbrooke (Canada), il est tombé sous le charme de l’islam radical après un séjour en Tunisie. Le bon vivant qu’il était comme l’illustrent quelques photos de lui obtenues par le média canadien Toronto Star, s’est métamorphosé au point de quitter Sherbrooke en 2014 pour élire domicile à Edmonton. Lorsque sa mère débarque dans cette ville de l’ouest du Canada, ce qu’elle découvre ne la rassure pas. Déboussolée, A. Lô confie le sort de son enfant à la police judiciaire sénégalaise. Cueilli dès son retour au Sénégal, Assane Kamara est poursuivi pour association de malfaiteurs en liaison avec une entreprise terroriste, apologie du terrorisme et complicité de financement du terrorisme au même titre que son supposé acolyte, Atoumane Sow. Les premiers éléments de l’enquête accablent l’ancien membre de l’association des étudiants musulmans de Sherbrooke. Assane Kamara aurait reçu de l’argent de la part d’un certain Samir Halilovic, un sherbrookois d’origine afghane avec qui, il était constamment en contact. C’est ce dernier et deux autres canadiens d’origine étrangère, en l’occurrence Zakria Habib alias Abu Yahya al-afgani et Youssef Sakhir que le jeune sénégalais aurait voulu rejoindre en Syrie. Son avocat n’est pas d’accord avec ces prétentions prêtées à son client. Selon Me Ousmane Sèye, Assane Kamara n’est pas un terroriste. Quoi qu’il en soit, il intéresse au plus au point et la police sénégalaise et son homologue canadien. Selon des sources proches de ce dossier, un autre étudiant sénégalais passé par cette université aurait fricoté avec les milieux islamistes au Canada.

« Daesh » veut la crème de la crème

Armé d’une capacité de discernement, comment ces intellectuels ont pu se faire « avoir » par une idéologie aussi radicale que celle de l’Etat islamique ? En formation au Centre d’études des sciences et des techniques de l’Information (Cesti), Pape Atou Diaw donne un début d’explication : « Je pense qu’ils sont séduits par le discours un peu révolutionnaire de ces idéologies et pensent pouvoir mettre leur compétence, leur savoir au service du califat ».

Mais il faut d’abord savoir qu’un étudiant ne décide pas du jour au lendemain de tout abandonner et d’aller se battre pour un groupe radical. Pour le cas du Sénégal, le discours subversif développé au sein du Campus universitaire par des associations à connotation salafiste est-il pour quelque chose dans la radicalisation de certains étudiants ? L’Aemud (association des étudiants musulmans de l’université de Dakar) s’en lave les mains.

Un étudiant en médecine, par ailleurs haut responsable au sein de cette association aux commandes de la mosquée de l’Université Cheikh Anta Diop qualifie Sadio Gassama et ses semblables de « brebis galeuses ».

De son coté, l’Imam Oumar Sall (à ne pas confondre avec l’auteur de la vidéo polémique sur les guides religieux soufis) précise que la violence ne fait pas partie de leur vocabulaire. Rencontré début avril 2016 par l’auteur, il prêchait une « réislamisation du Sénégal » par la prédication et non par les armes. Et pour ce faire, toutes les franges de la société, y compris les « intellos » doivent être mises à contribution.  Mais problème, l’influence djihadiste est toujours à l’affût.  En dehors des combattants en mesure d’occuper la ligne de front, les organisations extrémistes cherchent la crème de la crème pour administrer les territoires conquis.

La Banque mondiale révélait dans son rapport de suivi de la situation économique au Moyen-Orient et en Afrique du nord rendu le 05 octobre dernier que « Daesh » ne recrute pas ses effectifs parmi les pauvres et les ignorants. Selon l’institution internationale qui a pu accéder aux fiches de 3803 recrues de l’Ei, 69% de celles-ci ont un niveau d’éducation secondaire au moins, tandis que 15% ont interrompu leurs études avant le lycée. Pendant ce temps, seulement moins de 2% sont analphabètes. La même étude a constaté que « les recrues de l’Afrique du nord, du Moyen orient et de l’Asie du Sud et de l’Est ont un niveau d’instruction sensiblement supérieur à celui généralement observé dans leur région d’origine ». La BM fait retenir que la plupart des recrues venant d’Afrique, du Moyen orient et de l’Asie du Sud et de l’Est « sont sensiblement plus éduqués que le reste de leur génération dans leur région d’origine ».

*nom donné aux salafistes sénégalais bien qu’il y ait des différences entres organisations  se réclamant de cette branche de l’islam sunnite. La Jamahatou Ibadou Rahmane et Al Falah (proche du wahhabisme) sont les principaux mouvements salafistes du Sénégal.

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