“Les chiens de guerre”, Par Babacar Touré

jammeh4Pour mentir à son peuple et l’amener à accepter les bombardements massifs de l’Irak de Saddam Hussein, l’Amérique de Georges W. Bush a eu besoin des services rémunérés de Paul Wolfovich, Donald Rumsfeld, Dick Cheney, Condoleeza Rice et du général Collin Powell. Pour éliminer un témoin et soutien encombrant de sa fulgurante montée en politique, le président français eu son philosophe, de service, Bernard-Henri Lévy.

Les uns comme l’autre ont permis l’acceptation de cette tragique décision par leur peuple. L’Amérique a bombardé l’Irak et Sadam Hussein, la France a détruit l’Etat libyen et tué Mouammar Kadhafi. Mais, jamais ils n’ont pu contrôler ces pays et l’instabilité et le chaos se sont installés dans ces régions menaçants tous les Etats aux alentours. La paix mondiale qu’ils y étaient allés y chercher n’a jamais autant manqué à l’humanité.

A tous points de vue, les écrits sataniques de Madiambal Diagne appelant à une troisième opération Fodé Kaba, comme l’appel de Babacar Justin Ndiaye à trouver d’autres moyens plus radicaux pour parvenir à plier Yaya Jammeh, me rappelle cette campagne médiatique que ces éminences grises occidentales en service commandé ont réalisé pour parvenir à leurs fins. S’il est vrai qu’il faut trouver une solution à la crise gambienne, le bon sens voudrait que des journalistes se réservent le droit d’appeler à l’enveniment d’une situation sociopolitique déjà très compliquée. Qui sommes nous, Sénégalais, pour appeler au changement de régime dans un pays souverain?

Appeler à une intervention militaire du Sénégal en territoire gambien, c’est appeler les Sénégalais à faire la guerre à leurs frères gambiens. C’est demander à un même peuple -de deux Etats souverains- à s’entretuer. C’est appeler à une guerre civile. Et vu sous ce rapport, si l’appel à la guerre, venant de Madiambal Diagne ne me surprend pas trop, celui émanant du doyen Babacar Justin Ndiaye me déçoit énormément. Autant l’ancien greffier -Madiambal- ne connait de la guerre que ce qu’il voit dans les films d’Hollywood, autant le vieux journaliste lui, au moins, même s’il n’a jamais été sur un théâtre d’opération militaire, doit avoir des notions de ce qu’est la guerre.

La guerre, chers “plumes éclairées”, ce sont des assassinats planifiés, ordonnés et bénis. Des meurtres légalisés. C’est l’échec de l’humanité. C’est sale. C’est la désolation. C’est la tristesse à tous les coins de rue, ce sont des corps déchiquetés qui sont projetés partout, abandonnés dans des mares de sang. Ce sont des tirs assourdissants que l’on entend partout si l’on ne voit pas des hommes en armes s’entretuer. C’est la nuit en pleine journée et des colonnes de fumées noires s’élavant dans un ciel assombri dans lequel tournent des charognards qui se préparent à un festin.

Ce sont des chiens errant qui, pour se nourrir, finissent par dévorer le cadavre de leurs anciens maitres. Il n’y a plus de domiciles privés, plus de droits constitutionnels à respecter. Les femmes sont violées à tous les coins de rue, les enfants, leurs jouets à la main, sont abandonnés à eux mêmes. Les familles sont disloquées, dispersées chacun cherchant, par tous les moyens, à sauver sa peau. Voilà, chers confrères, ce qu’est la guerre !

Si l’objectif du Sénégal, en faisant la commande de la plume de Madiambal Diagne -puisqu’il n’écrit que sur commande- est de prendre le pouls de l’opinion avant d’envahir la Gambie, le résultat du sondage est faussé d’avance. Pour avoir un bon résultat, il faut d’abord donner à l’opinion le «pour» et le «contre» du projet. Si le «pour» est motivé par tous les crimes imputés à Yahya Jammeh, le «contre» serait la conséquence qu’une intervention militaire, même brève, pourrait causer.

La Gambie de 2016 est très loin de celle de 1980 et les enfants traumatisés par les bruits des fusils, il y a 30 ans, sont en âge d’en porter aujourd’hui et la plupart d’entre eux savent s’en servir. Malgré tout cela, force est de constater que les théoriciens d’un Sénégal civilisateur, gardien des valeurs morales et gendarme de l’ordre -même si nous ne parvenons pas à mettre l’ordre chez nous-, depuis Valdiodio Ndiaye n’ont pas changé de paradigmes des relations avec les peuples du sud.

Des limites du Saloum à la frontière de la Guinée Conakry, ce sont les enfants du Gabou qui y sont établis. C’est le royaume des Niancho, le pays des femmes et des hommes du refus. Et ce qui les différencie est minime par rapport à ce qui les lie. Et lorsque leur existence est en jeu, leur identité menacée, leur histoire jetée aux oubliettes et leur particularité niée, leur instinct de survit pourrait les amener à s’unir, comme on l’a vu en Irak et en Syrie face à la domination chiite.

Attaquer la Gambie aujourd’hui, ce serait poursuivre le conflit casamançais à moins de 300 kilomètres de Dakar, c’est permettre le facile accès aux dépôts d’armes de Yahya Jammeh. S’attaquer à la Gambie, pour le débarrasser de Yahya Jammeh, c’est obliger tous les enfants, nostalgiques de l’unité du Gabou, à venir se battre contre le Sénégal. Ressusciter Fodé Kaba Doumbia, c’est faire le remake de l’opération Gabou 2 en Guinée Bissau où on a vu toutes les factions rebelles venir prêter main forte à leur frère Ansoumana Mané, qui, faut-il le rappeler, est Gambien. Même devenus de paisibles et oisifs civils et dispersés sur des Etats souverains, les enfants du Gabou ont tous en mémoire les frontières de Kansala et rêvent de le reconstruire.

Si l’opération Fodé Kaba 1 de 1980 s’est déroulée comme une simple opération de police face à des soudars mal entrainés des Fields Forces, Fodé Kaba 2 de 1981 n’a jamais été un long fleuve tranquille pour les militaires sénégalais envoyés sur Banjul. Des dizaines d’entre eux ne sont jamais revenus du bourbier gambien, de nombreuses épouses sont devenues veuves et le nombre d’orphelins a augmenté. Et le héros de cette bataille épique, le colonel Badara Konté, n’a jamais eu le temps de vivre assez longtemps pour venir nous raconter combien ses nuits ont été hantées par la mort de ses nombreux camarades tombés sur le champ de…l’horreur comme de celle de ses ennemis.

Dire à ces familles-là qu’on doive, encore, envoyer d’autres militaires sauter sur Banjul pour «chasser son dictateur», c’est leur dire que la mort des leurs que Abdou Diouf avait dit qu’il permettrait «l’instauration de la démocratie en Gambie et la sécurisation de la Casamance» n’aura servi à rien.

C’est d’autant plus vrai que, à peine était terminée l’opération Kaba 2 et la déroute des hommes de Kukoï Samba Sagna, naissait, le 26 décembre 1982, la guerre en Casamance. Et depuis lors, combien de soldats sont tombés sur l’herbe sans que le Sénégal ne parvienne à exercer l’entièreté de son autorité sur l’ensemble du territoire national?

Contrairement à ce qu’a écrit mon frère Yoro Dia (les derniers jours du Néron de Banjul), la paix n’a jamais été au bout du fusil. Cela ne l’a jamais été ni au Libéria, ni en Gambie ni en Guinée Bissau encore moins en Casamance! J’ai vécu la guerre en Casamance pendant toute mon enfance, je l’ai vécu en Côte d’Ivoire. Crois-moi Yoro, le fusil n’a jamais rien réglé. L’existence de Salif Sadio et sa force de nuisance en sont les preuves les plus concrètes. C’est sous l’arbre à palabre qu’on aplanit les divergences les plus âpres.

Le fusil en Casamance, pour ce que j’ai vécu, a été destructeur. Il m’a traumatisé toute mon enfance et j’en ai gardé des séquelles. Et cette attitude –sauvage- d’être toujours sur la défensive, de peur d’être attaqué. Le fusil, Yoro, contrairement aux jeunes de mon âge qui dans le reste du Sénégal rêvaient à ce moment d’aventure, de rap, a fait naitre des vocations de métiers d’arme chez certains de mes nombreux camarades avec lesquels je jouais au foot ce fameux jour de décembre 1982 à Lyndiane. Ils sont, presque, tous devenus des militaires ou des combattants du MFDC; certains sont aujourd’hui dans la Légion Etrangère française.

Nous n’avions pas encore 10 ans et avions assistés, en direct, au retour des rescapés des tueries de la gouvernance de Ziguinchor. Pour la première fois de nos vies, nous avions vu un homme courant les boyaux dehors. Le fusil Yoro, il nous a volé notre enfance, pourri notre jeunesse détruit notre vie. Nous n’accepterons plus qu’il nous terrorise!

Babacar Touré
Journaliste écrivain
[email protected]

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