Le « soukarou koor » : acte de bienfaisance ou  » bagne sa goro mérre », une casse tête des femmes mariées durant le mois de ramadan

Le mois de Ramadan est un mois de multiplication des gestes de bienfaisance, par excellence, pour les musulmans, et ce mois rime souvent avec la multiplication de gestes de solidarité et de partage.
C’est dans cette logique que s’inscrit le fait de donner le «soukeurou koor» au Sénégal.
A l’origine, un simple acte de bienfaisance et de solidarité, cette pratique est devenue aujourd’hui un lourd fardeau pour nombre de Sénégalais et, surtout, de Sénégalaises, allant même jusqu’à entamer la stabilité de certains couples.
Peu importe les sacrifices et les moyens, c’est presque une obligation, dans certaines contrées et familles, pour les mariées d’offrir des mets, tissus et paniers biens garnis, le tout accompagné d’une importante somme d’argent à leurs belles-mères et belles-sœurs durant le mois béni. Gare à celle qui ne remplira pas ce «contrat» car la stabilité du couple en dépend, …par endroits.
Donc, le « Soukëru koor » est une réalité bien ancrée dans nos us et coutumes. Malgré la difficulté de la vie, les femmes mariées ne peuvent s’empêcher de s’offrir le luxe de donner une très bonne ‘Téranga’ à leurs belles-familles. Elle varie entre repas copieux, tissus de valeur, fortes sommes d’argent, bijoux, entre autres.
Des Sénégalais et Sénégalaises témoignent à propos de ce phénomène :
A l’origine, selon R. T, une septuagénaire, le « soukarou koor » était tout juste un acte de bienfaisance, de solidarité qu’on faisait à l’endroit des plus démunis, à l’occasion du mois de Ramadan, pour leur permettre de passer un bon Ramadan.
Le sucre étant l’élément le plus utilisé durant cette période de privation, les gens préféraient le donner comme cadeau. En effet, à l’époque, dit cette dame, les bouillis de mil constituaient les principaux aliments de base durant la période du mois de Ramadan.
À la longue, ce qui n’était qu’un acte de solidarité est devenu tout simplement une obligation morale à l’endroit des parents mais surtout à l‘endroit de la belle-famille. Un acte qui, s’il n’est pas accompli, peut avoir des conséquences fâcheuses. Ainsi, pour la plupart des adeptes du « soukarou koor », c’est une façon de raffermir les liens familiaux plus qu’autre chose.
« C’est la coutume et je pense qu’il n’y a rien de mal à cela affirme F. D. J’ai 42 ans et depuis que je me suis mariée, je le fais avec mes belles-sœurs et mes beaux-parents. J’offre à mes beaux-parents, à la première semaine du mois béni de ramadan, un panier bien garni de denrées alimentaires. Et, je ne me limite pas à ça. Je livre ce panier toujours avec une enveloppe contenant une somme d’argent. Pour mes belles sœurs, je leur donne chacune un tissu et de l’argent.
Je ne l’ai jamais regretté, parce que c’est grâce aux efforts que je fais que je reste la favorisée des belles filles qui sont au nombre de cinq. Quand il y a une cérémonie, c’est toujours mes louanges qui sont chantées par les griots et c’est une grande fierté pour moi», confie Mme Ndoye.
A côté d’elle, une vieille dame voilée, de teint clair, avec sa taille de nymphe, s’approche pour prendre part au débat. «Une belle-fille doit toujours donner des cadeaux à sa belle-mère, surtout le «soukeurou koor», ajoute cette dame. Et de renchérir : «la femme qui a mis au monde ton mari doit être une reine à tes yeux si tu tiens à être heureuse dans ton ménage. Nous sommes les noyaux des couples. Alors, si la belle-fille nous fait plaisir, nous nous ferons le tout pour que notre fils la rende heureuse ; nous avons nos astuces pour cela (elle éclate de rire)», déclare-t-elle.
ENTRE COEPOUSES C’EST ENCORE PLUS DIFFICILE
S. W, une jeune femme de 30 ans soutient l’importance du « soukeurou koor » en émettant des réserves. Posant son enfant sur ses genoux, S.W s’affaire autour de son table rempli de poissons tous frais. Elle est vendeuse de poisson au marché. Interrogée sur ce sujet , elle révèle que c’est un phénomène très difficile à gérer car il est devenu un vrai casse-tête de nos jours. D’ailleurs, elle dit ne pas avoir le choix et gare à celle qui ne s’en acquitte pas dans la famille. «Tu risques d’endurer beaucoup d’épreuves. Et, la plupart du temps, l’époux n’est même pas au courent car les coups bas c’est entre femmes. Ou, même s’il est informé aussi, il minimise les problèmes. Seule la femme peut être en mesure de comprendre la complexité de ce fameux «soukeurou koor». Je le donne depuis que je suis mariée, en 2010». Pour S.W., les choses deviennent plus complexes quand on a une coépouse qui s’en est déjà acquitté et plusieurs belles-sœurs à satisfaire. C’est une rivalité qui s’installe. «Je dois donner des coupons de tissus à mes belles-sœurs qui sont au nombre de six, sans compter le panier et la somme d’argent que je dois aussi donner à mes beaux-parents. Au moment où je vous parle, je ne l’ai pas encore livré et j’effectue des calculs à n’en plus finir. Ça me prend vraiment la tête, vu que j’ai une coépouse et c’est une concurrence totale entre nous deux. Mais, comme je vous l’ai dit, on n’a pas le choix, ainsi va la société sénégalaise malheureusement», déplore-t-elle avec un air triste et désespéré.
Par contre, d’autres femmes interrogées sur ce phénomène, à l’image de M.D., ne sont pas dans cette mouvance et soutiennent que le « soukeurou koor » est juste un business qui est entretenu par des belles-mères et des belles sœurs.
M. D. soutient qu’elle n’offre le «soukeurou koor» qu’à sa mère, au début du mois béni de Ramadan. «Je lui envoie un ravitaillement complet, avec tous les produits alimentaires pour l’assister durant le mois. Surtout que je me dois de prendre en charge ses dépenses. Concernant ma famille conjugale, j’ai des belles sœurs mais je ne leur ai jamais donné le «soukeurou koor». C’est de peur que ça deviennent une obligation, une fois que je l’aurais fait, raison pour laquelle je ne me suis jamais aventurer à respecter cette coutume».
L. N., la cinquantaine passée, partage aussi la même position. Mieux, cette vendeuse de légume déplore le phénomène. «Ce n’est pas normale que les épouses remuent ciel et terre rien que pour plaire à leurs belles-familles. Je pense que ce sont les belles-mamans qui doivent essayer de changer le système mais elles ne le font pas parce que ça les arrange. Ainsi, elles accablent leurs belles-filles, pour rien. Moi, personnellement, j’ai des belles-filles qui sont au nombre de quatre, mais je ne leurs exige rien. Par contre, c’est moi-même qui leur offre des cadeaux de temps en temps et une fois certaines d’entre elles avaient essayé de me donner du « soukeurou koor » et je leur ai carrément dit que ce n’est pas la peine et de l’offrir à des nécessiteux», soutient la dame.
S. FALL, femme mariée et mère de deux enfants, fait une analyse pointilleuse de la question. Elle affirme que le « soukarou koor » est une forme de « téranga » envers sa belle-famille. En tant que telle, cela se donne seulement quand on en a les moyens et pas forcément durant le Ramadan ou la Tabaski. Elle confie que quand elle s’est mariée, elle a tenu à marquer son territoire très tôt : « dès le début de mon mariage, je me suis refusée de l’ériger en règle, car il ne faut pas se compliquer la vie avec toutes ces pratiques sociales. Si la belle-famille ne comprend pas cela, dites-vous bien que ce sont des matérialistes tout court ». Et cette dame de donner cette leçon de vie : « celui qui te tient par l’argent aujourd’hui te lâchera demain si tu n’as plus les moyens ».

Cependant, on voit aussi que les coutumes ne sont pas les mêmes. Les idéologies et les pratiques diffèrent aussi selon les personnes et les terroirs. C’est ce qu’explique N. D, un grand père de famille âgé de 65 ans, le chapelet à la main. Habillé d’un Djellaba «Je ne vois ça qu’à Dakar et je ne sais pas vraiment à quoi ça sert. Nous, dans notre village nous ne connaissons pas çà. Nous au contraire, au mois de Ramadan, nous avons l’habitude d’offrir plutôt des denrées ou de l’argent à des démunies, et tout cela dans une parfaite discrétion».
Cependant, ce que l’on remarque aujourd’hui est que, si auparavant, la pratique du « soukarou koor » était surtout le fait des femmes qui faisaient ainsi des présents à leur belle-famille, dans le but surtout de consolider leur mariage, aujourd’hui force est de constater que les hommes ne sont pas en reste.
Ce que I. D, un vendeur dans une boutique de la place trouve bizarre c’est que : « quand on le fait une première fois, on est obligé de le répéter pour toujours. Cela devient un vrai fardeau. Je l’ai appris à mes dépens », se lamente ce boutiquier qui dit avoir déjà prévu de défalquer sur ses marchandises de quoi offrir, en guise de sukarou koor, à sa belle-famille vivant à Saint-Louis.
A. S. N, professeur, se creuse déjà la tête pour trouver les 60 mille francs qu’il compte donner chaque année à sa belle-famille, depuis qu’il s’ est marié.
De « sukarou Kor », cette pratique n’en a gardé que le nom puisque de nos jours, les gens offre à la place des tissus, de l’argent, des repas copieux, etc. « Je n’ai jamais donné de sucre. Je prépare un copieux repas que j’offre à ma belle-sœur », assure Mme Sow, secrétaire.
A. Bâ est de la vieille tradition ; à ce titre, elle ne veut pas déroger à cette « règle » non écrite : « donner le « soukarou koor » est une tradition belle et sympathique à la fois qu’il ne faut pas se priver de faire», estime-t-elle.
Cette pratique de « soukarou koor » peut-elle être considérée comme une pratique aux antipodes de la religion ?

L’oustaz A.D, intérrogé sur ce sujet nous donne son avis :
Sur le plan religieux, il n’est pas interdit de faire des cadeaux
Cependant, ce qu’on déplore, c’est le gaspillage érigé en règle au Sénégal, lorsqu’on fait des cadeaux à quelqu’un. « On fait tout au Sénégal sauf ce que l’Islam nous exige de faire en général. Nous prenons nos folies pour des préceptes de l’Islam et nos désirs pour des obligations religieuses ».

L’oustaz A.D fustige ainsi le « soukarou koor » tel que le pratique aujourd’hui la plupart des Sénégalais : « loin d’être une œuvre de charité ou de bienfaisance comme dans le temps, le « soukarou koor » est devenu un moyen surtout pour les femmes de s’attirer les faveurs de la belle-famille. La meilleure des façons de garder son couple solide, ce n’est pas de donner des cadeaux à tout-va, mais c’est d’avoir un bon comportement, être exemplaire dans son ménage».

Tradition ou condition à remplir pour consolider le ménage, le phénomène de « Soukarou koor » a tendance à prendre donc d’autres tournures parfois difficile à gérer, surtout pour les jeunes mariées. Qui, au début, ne prennent pas le temps de poser et d’évaluer les conséquences à long terme. Or, à l’origine, il s’agissait d’un simple acte de bienfaisance et de solidarité à l’endroit des plus démunis à l’occasion du mois de béni pour leur permettre de passer un bon Ramadan. Et, le sucre étant la denrée la plus utilisé durant cette période d’abstinence, les Sénégalais préféraient le donner comme cadeau, d’où la dénomination «soukeurou koor». Aussi, en son temps, les bouillis à base de mil surtout , de maïs, sorgho et riz constituaient les principaux aliments de base durant la période du mois de Ramadan, notamment les repas de début et de rupture du jeûne.
Il n’y a aucun mal à faire plaisir à sa belle-famille, diront certains. Certes, mais ce qui est choquant dans cette histoire vient du fait que bon nombre de ces dames qui la pratiquent en oublient la philosophie. Le soukarou koor n’est plus question de solidarité, générosité, il est devenu une obligation envers sa belle-famille. Et, les belles filles à leur tour ne lésinent pas sur les moyens pour répondre aux attentes du camp adverse. Ainsi, le Ramadan vient avec son lot de stress qui n’a rien à voir avec les privations qu’il nous impose ; pour certaines femmes, comment faire pour ne pas se voir attribuer le palme de la “mauvaise belle fille” est le vrai problème. Celles qui dérogent à la règle du soukarou koor sont souvent mal à l’aise car se sachant pas à l’abri des piques de leurs belles-mères ou belles soeurs. Alors quand elles n’en ont pas les moyens, elles sont prêtes à s’endetter pour s’assurer la sympathie de ces dernières.
Hélas, cette pratique est tellement ancrée dans notre société qu’il sera très difficile d’y mettre fin.
Pendant que le mois du Ramadan est idéal pour se remettre en question, notamment sur certaines pratiques de notre société, nous en profitons pour nager dans l’excès, le déraisonnable.
Pourquoi offrir un repas, des présents qui se facturent à des centaines de milliers de francs pour recevoir les éloges de la belle famille pendant que des personnes de notre entourage, ou pire, de notre propre famille, peinent à trouver de quoi couper le jeûne? Se demandent certains.
Et, quand les hommes s’y mettent à leur tour, nos chances de voir disparaître cette pratique s’anéantissent. Souvent, il arrive que le mari, soucieux de l’image de sa femme, finance l’achat des cadeaux destinés à sa propre famille, se joignant ainsi à la mascarade. Oui, une vraie mascarade, jugent certains, car nous faisons semblant de sortir le « sukarou koor » de gaieté de cœur, par générosité ou altruisme alors que le seul but est de ne pas être pointés du doigt. Ce qui est malheureux, dans la plupart des cas, la personne qui fait l’objet de ces efforts n’est pas celle qui en a le plus besoin malheureusement.

Par sokhna Rama Guissé Diagne

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