Le point de bascule (Par Aziz Fall)

Aziz Fall
Aziz Fall

Mon cher pays semble s’approcher inexorablement du point de bascule susceptible de bouleverser de manière encore indéterminée son tissu social. Je ne reviendrai pas sur les nombreuses alertes et signaux alarmants qui s’agrègent pêlemêle depuis un certain temps.
Pour la première fois, on voit émerger des pôles de dissension dans tous les domaines sociaux et son corollaire est une fragmentation de plus en plus accentuée entre franges et nul ne semble épargné par les clairons de la division.

Le doute, ce mal pernicieux se substitue à un espoir certes diffus, parfois surprenant mais tout le temps prévalant dans l’habitus sénégalais
A présent, il devient rare de rencontrer un compatriote spontanément optimiste quant à un futur immédiat dans ce pays encore connu comme la terre de la Téranga.
Ce n’est pas seulement le fait incriminant de la politique qui, souvent, fait office de caisse de résonance désespérée d’un malaise grandissant. Toutefois, ces joutes politiques qui semblent se dérouler en feu continu participent à cristalliser les extrêmes et les outrances. Sur la durée, c’est le seuil de tolérance collectif qui risque d’en pâtir car la tolérance n’a jamais été une proposition statique
Elle vit de la sève nourricière des individus qui la verbalisent. Nous sommes collectivement tenus, avec l’individu comme point de départ de la consolider et de la raffermir au risque de glisser sur des sentiers qui mènent à la dérive. La nature humaine qui nous gouverne fait qu’on n’accepte l’actualité d’une dérive que lorsque le dérapage est perçu comme occurrence normale et acceptable.

Au regard de ce qui se passe dans notre société ces derniers temps, le constat est clair : les nuages s’amoncellent et ce n’est pas leur taille qui suscite la crainte, mais leur fréquence et leur constance. Car, en dernière analyse, il n’y a pas de petite violence ; il n’y a pas de petite crise.
Je rappelle le nombre inacceptable de compatriotes morts lors des évènements de mars 2021 ; et cela n’a pas arrêté depuis.  sans oublier les innombrables journées d’incertitude, de soubresauts et de haltes socioéconomiques qui frappent Dakar de plus en plus.
Simultanément à ces malheureux développements, nous sommes témoins d’une inflation de la violence verbale qui s’impose et se met à dominer l’espace public.

Ce sont des phénomènes qui se nourrissent de leur réalité et se caractérisent par leur évolution parasitaire donc exponentielle et risquent de mener toute la nation vers le chaos.

Ce dernier ne survient pas nécessairement sous la forme d’une déflagration soudaine et brutale, il peut aussi s’installer en pas feutrés et remettre en cause, pour longtemps et profondément, les certitudes acquises à travers un héritage bien ancré. Je veux nommer ces vertus de solidarité, de la sacralisation de la dignité humaine, entre autres.

Quelle est la cause de ce glissement redoutable, se demande-t-on ? Le premier constat nous oriente évidemment vers certains politiques. Le peuple du Sénégal semble pour la première fois plier sous les assauts d’une catégorie d’acteurs politiques aveuglés par des enjeux circonscrits. Leur force de pression sur le liant invisible mais solide et résilient qui unissait ce peuple a gagné du momentum ces derniers temps.
Surtout que ce monde nouveau et ses caractéristiques disruptives les rendent particulièrement nuisibles et compromettants pour la consolidation et même la sauvegarde des acquis collectifs.

Gardons-nous de sombrer dans un tsunami de regrets pour avoir blessé et meurtri ce que nous avons de plus précieux, ce qu’il y’a de plus précieux pour toute communauté. Ce trésor qu’on nous envie, pour lequel on nous désigne comme une exception ; ce bouclier incompressible et formidable, cette planche salutaire et réconfortante : notre cohésion nationale et notre fierté commune d’appartenir à cette terre d’entrée du continent.

Je ne peux pas deviner les secrets intimes de mes compatriotes quand ils pensent au Sénégal.
Prennent-ils le temps de penser le Sénégal, de le regarder dans leur cœur, de le voir sourire dans leur âme, de le projeter en entité vibrante et dynamique dans leur esprit ?
Peut-être suis-je encore victime de mes temps de nostalgie du pays quand j’étais, loin, si loin de lui et pendant longtemps. C’était une expérience proche de l’épiphanie que d’apercevoir mon pays de loin, dans toute sa splendeur et sa plénitude.

Il m’apparut littéralement comme un don de Dieu, car il l’est. Je ne passerai jamais sous silence les innombrables cas poignants de détresse, les manquements divers et variés dans plusieurs domaines, le désespoir de beaucoup de jeunes à la recherche d’une voie de salut, les parents inquiets pour le bien-être de leur progéniture et oui notre sous-développement. D’autant plus que c’est une époque où je vivais dans l’une des sociétés les plus développées au monde avec un standard de vie presque à nul autre pareil. C’est en ces moments précis que le Sénégal s’est révélé à moi comme la terre des grands hommes qui n’avaient pas besoin de lustres pour rendre visibles la grandeur et la beauté humaines.

Il faut faire l’effort de mesurer le degré de sophistication sociale et communautaire humectée d’humanité qui colore ce peuple. Protégeons cette décence qui le charrie mieux que n’importe quelle autoroute et plus loin que n’importe quel véhicule, quelle que soit, par ailleurs, sa modernité. Ce pays vaut tous les sacrifices, même celui des ambitions les plus légitimes lorsque son âme est sur la sellette.

Il est vrai qu’on ne peut être sur un balcon et se voir passer dans la rue. Ceci nous rappelle la finitude consubstantielle à notre être et notre incapacité de pouvoir apprécier les offrandes de la vie et la réalité alentour dans toute sa complexité. C’est aussi pourquoi il semble nous être difficile de saisir la grandeur de notre pays. Elle ne se mesure pas au PNB, elle est en fait inquantifiable parce qu’immatérielle. La Téranga n’est pas un vain mot, et à travers le monde nous sommes le seul pays connu et reconnu comme tel. Ce concept encapsule un patrimoine distinct et distinctif qui ruisselle dans nos tréfonds à force d’être collé à nos peaux depuis nos ancêtres. Que nous vaudrait le risque de la compromettre alors que nous sommes juste de passage ?

Oui, le monde moderne apporte des défis de dimensions et de nature inconnues car dans le passé la souveraineté était un principe d’ordre. Aujourd’hui, la globalisation et l’interdépendance grandissante qui résulte de nouvelles interactions transnationales risquent de s’imposer comme un principe de désordre.

Notre pays n’échappe pas à cette évolution sociologique qui requiert non pas une transformation mais un réajustement en gardant en ligne de mire notre identité remarquable de peuple profondément décent et démocratique. Les enjeux de l’heure et les aspirations grandes et justifiées qui nous animent nous obligent à un recentrage de nos attitudes et comportements individuels et collectifs.
A défaut, on trouvera difficilement des moments et des occasions de pouvoir profiter de la gloire annoncée de nos lionceaux, des perspectives de progrès associés à nos ressources nouvelles et cet élan national qui devrait nous amener sur les rives de l’émergence.

Ensemble veillons à sauvegarder les promesses d’Un Peuple, Un But, Une Foi.

Aziz FALL

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