L’élimination de Khalifa Sall et de Karim Wade dans la course à la présidence, si elle se confirme, entraînera une redistribution des rôles. La sphère politique sera totalement reconfigurée avec des blocs, des coalitions qui seront suffisamment fortes pour envoyer la majorité au second tour.
A quelque chose malheur est bon ! La mise à l’écart des deux « K », en l’occurrence Khalifa et Karim, facilitera la tâche au reste des prétendants au pouvoir. Même s’ils continuent de hausser le ton contre la volonté de la majorité de les éliminer, les rescapés du parrainage tireront un maximum de profit de l’absence de ces deux leaders de renom. Plus qu’ils ne l’auraient fait si Wade fils et l’ancien maire de Dakar jouissaient de leurs droits civiques et de leur liberté de mouvement. Si leurs candidatures sont acceptées, Khalifa Sall et Karim Wade engrangeront des voix à leurs propres comptes ; ce qui réduira évidemment le nombre de voix d’Idrissa Seck, du PASTEF et du PUR. Mais la réalité qui semble se dessiner sous nos yeux est l’implacabilité de leur non-participation à ces joutes de février 2019.
A y regarder de près, l’électorat de Khalifa Sall se confondrait avec celui d’Ousmane Sonko, du PUR et de REWMI pour des raisons diverses. Depuis son incarcération, les partis de l’opposition n’ont cessé de lui apporter leur soutien en s’attaquant vertement au régime et à la justice. Dans un pays où le vote est plus affectif que programmatique, il n’y a point de doute que le soutien apporté aux « prisonniers politiques » peut se révéler hautement stratégique et bénéfique. La base électorale des prévenus sait rendre le bien par le bien et les politiciens, conscients du sentiment de sympathie que cela peut leur apporter, jouent parfaitement bien le jeu.
En cas d’exclusion de Khalifa, le report des voix se ferait ainsi facilement en faveur d’Ousmane Sonko parce que l’homme est jeune et plaide pour le rétablissement de l’Etat de droit. Dans sa soif de remettre le pays sur les sentiers d’un Etat ouù règne l’équité et la justice, le leader du PASTEF va même jusqu’à promettre la CREI (cour de répression de l’enrichissement illicite) et la prison aux tenants actuels du pouvoir. Il militera également en sa faveur le soutien inlassablement exprimé à Khalifa à qui il a même rendu visite à Reubeuss le 13 août 2018. A la suite du verdict de a Cour Suprême de ce 3 janvier, confirmant la condamnation définitive de l’ex maire, Ousmane Sonko écrit sur sa page Facebook en guise de soutien : « en Pastef Les Patriotes, le candidat Khalifa Sall et ses parrtisans peuvent compter sur un soutien sincère et désintéressé afin que sa participation à l’élection présidentielle du 24 février soit effective ».
Pour le Parti de l’Unité et du Rassemblement (PUR), le report des voix sera dû en grande partie au fait que Khalifa Sall et le guide des partisans du PUR, Serigne Moustapha Sy, ont des relations particulières. La présence du président du PUR à côté de l’ancien maire lors de la conférence de presse en Mars 2017 en disait long sur la nature privilégiée des rapports entre les deux hommes. Même s’il y a des raisons confessionnelles, le PUR et les « khalifistes » défendent le même idéal et partagent les mêmes valeurs. Le soutien indéfectible du professeur Issa Sall au maire lors de la levée de son immunité parlementaire pourrait aussi jouer en faveur d’une alliance, ou du moins d’un report de voix, entre le PUR et les hommes de Khalifa Sall.
Le même transfert de votes pourrait avoir lieu au cas où le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) ne présenterait pas de candidat. La non candidature de Karim Wade, plus que probable si l’on en croit les déclarations des tenants du pouvoir, profitera à coup sûr à l’opposition notamment à Idrissa Seck. Les libéraux qui n’ont pas rejoint Macky Sall dans la vaste opération de transhumance pourraient en effet rejoindre le candidat de la « Coalition Idy 2019 » au nom de l’intérêt de l’idéologie libérale. Tout comme Issa Sall et Ousmane Sonko, Idrissa Seck pourra aussi bénéficier du soutien d’une partie de l’électorat de Khalifa Sall avec qui il avait partagé la Coalition Mankoo Taxawu Sanagaal lors des législatives de 2017.
Ainsi donc l’émiettement de l’opposition sera évité et les risques de la dispersion des voix de l’opposition amoindri. S’il n’y a que de blocs forts autour du PUR, du PASTEF et de REWMI, la coalition Bennoo Bokk Yaakaar jouera un pari très risqué puisque le « diviser pour régner » très cher aux tenants du pouvoir, n’aura pas fonctionné. L’absence de Karim et de Khalifa, loin d’être une aubaine pour le pouvoir, s’avèrera être un problème de plus et pourra produire un effet boomerang contre le candidat Macky Sall au soir du 24 février.
Ababacar GAYE