Et c’est le Tribunal départemental de Dakar, qui a déclenché l’affaire, avant que le Procureur de la République ne demande à la Dic d’enquêter. Les investigations, qui ont débuté le mois dernier et entraîné les auditions de plusieurs personnes dont Abdoul Mbaye, le 20 novembre, durant plusieurs heures, révèlent des faits accablants pour ce dernier.
De ce qui ressort des informations détenues par Dakaractu, l’affaire implique un haut magistrat, aujourd’hui décédé, un Officier d’état-civil et un Greffier en Chef, retraités. Elle remonte à 1994, année au cours de laquelle, Abdoul Mbaye, qui avait épousé Aminata Diack depuis 1982 (en optant pour la monogamie et la communauté des biens), décide de changer le régime juridique de son mariage. Ce qui est formellement interdit par la loi, précisément le Code de la Famille. Mais, cet état de fait ne freine pas le fils de feu Kéba Mbaye, qui décide avec l’aide du Président du Tribunal départemental de Dakar de l’époque, Abdoulaye Ba, de se faire faire une ordonnance rectificative, forcément frauduleuse.
Elle est délivrée sous le numéro N°685, le 26 mai 1994, et porte les signatures du haut magistrat et du Greffier en Chef, Me Hyacinthe Gomis. Le jour même, Adama Thiam, Chef du Centre d’état-civil secondaire de l’hôpital Principal de Dakar, est appelé par le Président du Tribunal départemental de Dakar pour aller raturer le certificat de mariage en y portant la mention suivante : «Jugement ordonnance rectificatif N°685 du 26/05/1994 – Tribunal départemental de Dakar. Le régime communauté des biens est désormais supprimé et remplacé par la séparation des biens. Dont mention le 26/05/1994». Des violations de la loi que les mis en cause, Me Hyacinthe Gomis et Adama Thiam, aujourd’hui retraités, ont reconnu à la Dic.
Quatre ans plus tard, Abdoul Mbaye prendra une deuxième épouse, Bilo Wane, commettant ainsi en connaissance de cause le délit de bigamie.
Les choses se corsent lorsqu’en 2012, Ndèye Khady Diagne Ngom, Présidente du Tribunal départemental de Dakar, décédée dernièrement, débusque le certificat de mariage raturé. Elle met devant ses responsabilités Adama Thiam, qui, pour se tirer d’affaire, rature à nouveau ledit document. Il efface la mention «jugement ordonnance rectificatif N°685 du 26/05/1994 – Tribunal départemental de Dakar. Le régime communauté des biens est désormais supprimé et remplacé par la séparation des biens. Dont mention le 26/05/1994», et remet en place «la communauté des biens». Un changement qu’ignore Abdoul Mbaye lorsqu’il introduit, il y a quelques mois, auprès de la même magistrate une requête aux fins de divorcer de Aminata Diack.
La suite est dite plus haut : la Présidente du Tribunal départemental de Dakar écrit au Procureur pour dénoncer cet énorme forfait. A son tour, le Procureur active la Dic, qui découvre des faits renversants.
Le plus rocambolesque dans l’affaire, est que la fameuse ordonnance a carrément disparu. Abdoul Mbaye nie n’avoir jamais disposé d’une copie. Adama Thiam argue avoir perdu celle qu’il avait, lors du déménagement du Centre d’état-civil. Quant à Hyacinthe Gomis, il persiste et signe : l’ordonnance a bel et bien existé.
En tout et pour tout, mis dans une mauvaise posture lors de son audition, Abdoul Mbaye a déployé une maladroite stratégie de défense consistant à dire qu’il a eu l’accord de son épouse pour procéder à cette rectification frauduleuse, et leur motivation était de constituer chacun des patrimoines en empruntant aux banques. Prié de s’expliquer sur le tripatouillage de son certificat de mariage et son autre mariage, alors qu’il a opté pour la monogamie, l’ancien Premier ministre a servi aux policiers des histoires à dormir debout.
En somme, il n’est pas exagéré de dire que Abdoul Mbaye a fort à craindre dans la suite que le Parquet de Dakar va réserver à cette affaire.