IST: chez les jeunes, laisser-aller et laisser-faire

C’était une bonne idée : demander au Conseil national du sida de faire le point sur les IST (infections sexuellement transmissibles) chez les jeunes et de voir si les dispositifs actuels «répondent» bien. Ce rapport intitulé «Avis suivi de recommandations sur la prévention et la prise en charge des IST chez les adolescents et les jeunes adultes» et que Libération a pu se procurer vient d’être transmis à la ministre de la Santé, Marisol Touraine. Sévére, il critique l’absence d’efficacité des dispositifs actuels, souvent non appliqués. Et au final, si ce n’est pas le drame sanitaire du siècle, cela n’en dessine pas moins un paysage où ces infections augmentent et sont surtout mal prises en charge.

Peu de données

D’abord, un constat : les chiffres sont pauvres. Pour autant, depuis quelques années, en France comme dans d’autres pays d’Europe, on note une augmentation de l’incidence des IST (dont le sida) chez les jeunes âgés de 15 à 29 ans, y compris chez les adolescents âgés de 15 à 19 ans. L’augmentation de fréquence des chlamydioses, gonococcies et syphilis se confirme aussi dans certaines données récemment rapportées pour 2015. Autre tendance : depuis 2010, le pourcentage de collégiens ayant déjà eu un rapport sexuel est en légère diminution. «Si le recours au préservatif parmi cette tranche d’âge est particulièrement élevé, il est moins systématique chez les collégiens ayant eu des rapports précoces.»

Pour le reste, rien, et il n’y a aucune élement chiffré qui permette de pointer des facteurs de risques ou des inégalités régionales.

Des réponses institutionnelles non appliquées

Au fil des ans s’est construit une kyrielle de dipositifs pour prendre en charge et surveiller les IST, que ce soit dans le monde scolaire ou en ville. Le rapport fait toutefois état d’une forte indifférence structurelle devant cette question.

Extraits : «A l’échelon local, le contraste entre les ambitions des objectifs inscrits dans la réglementation et leur concrétisation dans les établissements apparaît important. Ainsi, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes rapporte que seuls 10 à 21% des élèves du second degré reçoivent le nombre de séances d’éducation à la sexualité prévues par la loi. Les interventions uniques de deux heures, telles qu’elles sont souvent appliquées une ou deux fois au cours de la scolarité, sont insuffisantes pour permettre un abord raisonné et contextualisé de la prévention des IST. Les comités d’éducation à la santé et la citoyenneté, dont l’intérêt est largement souligné, sont un dispositif de gouvernance qui reste peu investi dans l’éducation à la sexualité.»

Des objectifs jamais atteints, en somme. Et ce n’est pas mieux au niveau universitaire. «Alors que certaines observations suggèrent un renoncement aux soins de plus de 10% des étudiants pour des raisons financières, les services universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé n’ont souvent pas les moyens d’assurer des interventions collectives portant sur la prévention des IST ni des accompagnements individuels vers les soins.»

L’exemple de l’accès aléatoire aux préservatifs

Les experts du CNS se sont longement attardés sur l’accès aux préservatifs. Qu’ont-ils vu ? Tout et rien. En tout cas, un même relâchement du collège à l’université en passant par le lycée.

Extraits :«Il n’existe pas de positionnement institutionnel sur la question de la mise à disposition des préservatifs dans les collèges, alors que 18% des élèves de 3e déclarent avoir des relations sexuelles, avec un usage du préservatif en recul. Dans les collèges, la mise à disposition de préservatifs dans les collèges est en pratique laissée à l’appréciation de personnels infirmiers de l’Education nationale. Elle apparaît beaucoup plus aléatoire, et en tout cas limitée à une distribution sur demande de l’élève. L’absence de positionnement de l’institution et l’absence de discussions sur cette question aux différents échelons est préoccupante au regard de la proportion non négligeable d’élèves qui entrent dans la sexualité au cours de leur scolarité au collège :18, 2% des élèves de troisième déclarent avoir des relations sexuelles et, parmi eux, l’usage du préservatif est en recul puisque la proportion de collégiens sexuellement actifs déclarant utiliser un préservatif est passée de 85,4 % en 2010 à 78,5 % en 2014».

Dans les lycées, l’accès au préservatif par distributeurs est aussi aléatoire. Et se pose partout la question «de leur lieu d’implantation pour un accès confidentiel, et de leur caractère opérationnel». En clair, beaucoup ne fonctionnent pas. La réglementation prévoit, pourtant, depuis 2006 «l’équipement en distributeurs de préservatifs masculins dans les lycées d’enseignement général et technologique et les lycées professionnels».

Quid dans l’enseignement privé ?

L’enseignement privé sous contrat concerne environ deux millions d’élèves, et de fait, les dispositions relatives à l’éducation à la sexualité s’appliquent aux établissements privés sous contrat. Bilan : «Les freins rapportés y sont en partie du même type mais sont toutefois renforcés par des réticences affirmées vis-à-vis des contenus d’éducation à la sexualité produits par Santé Publique France».

Cependant, note le rapport, aucune autorité réligieuse n’a pu fournir à la mission «des indications sur l’organisation et la réalisation de l’éducation à la sexualité».

L’infirmerie, le seul lieu accessible

Dans les faits, l’information sur les IST, comme leur prise en charge, est centrée autour de l’infirmerie de l’établissement. Et là encore, c’est un peu du n’importe quoi, du tout ou rien, au gré des situations et des lieux.

Ainsi, sur la question des préservatifs, «leur mise à disposition dans les infirmeries des établissements scolaires ne fait pas l’objet de dispositions réglementaires précises. Diverses circulaires se bornent à indiquer que celle-ci « doit être poursuivie »». En pratique, la disponibilité de préservatifs masculins et éventuellement féminins est largement assurée dans les lycées d’enseignement général, technologique et professionnel. Cependant, «les modalités de mise à disposition apparaissent très variables (en libre disposition à l’entrée de l’infirmerie / dans le bureau de l’infirmière / proposé à l’initiative de l’infirmière / uniquement sur demande de l’élève à l’infirmière). Les choix opérés ont un fort impact sur l’accessibilité effective pour les élèves et n’apparaissent pas toujours étayés».

Par ailleurs, des difficultés pour les infirmeries scolaires à se procurer des préservatifs sont signalées «par certains personnels de santé de l’Education nationale».

Comment relancer le dispositif ?

Au niveau national, c’est une impulsion politique qui fait le plus défaut. «La lutte contre les IST chez les jeunes et la politique d’éducation à la sexualité ne bénéficient guère d’un portage interministériel actif jusqu’à présent.»

Mais la faiblesse se retrouve également au niveau régional : «La priorité insuffisante conférée par certaines Agences régionales de santé au pilotage et à la coordination de la lutte contre les IST chez les jeunes a été relevée. De même, l’éducation à la sexualité n’est pas portée de façon prioritaire au sein des rectorats, en ce qui concerne son pilotage, les formations proposées et le recours à des partenaires extérieurs. Enfin, la coordination entre les ARS et les rectorats reste insuffisante». Ainsi, c’est à tous les niveaux que l’absence de mobilisation se ressent. «Ces relais régionaux insuffisants expliquent en partie le contraste entre le niveau des intentions nationales et celui des réalisations locales.» Le CNS dresse une liste de recommandations pour «remobiliser» toutes les strates de l’Etat. Or le climat n’est guère favorable : de nombreux professionnels font ainsi état «de difficultés croissantes, notamment dans le cadre scolaire, à échanger sur les questions relatives au corps et à la sexualité avec des jeunes contestant le principe même d’aborder ces questions, au nom de convictions religieuses ou de systèmes de valeurs culturelles identitaires qui s’y rattachent».

Enfin, le CNS revient sur l’organisation du système de protection maladie des étudiants, qui «est intrinsèquement complexe». «Les dysfonctionnements de certains organismes mutualistes gestionnaires des prestations de la sécurité sociale étudiante entraînent des délais considérables de remboursement. L’absence fréquente d’une couverture complémentaire ou son insuffisance est source de restes à charge importants. Cet ensemble de facteurs, dans un contexte marqué par la précarité économique et sociale de nombreux étudiants, pèse fortement sur leur capacité à recourir au système de soin et se traduit par une proportion élevée d’étudiants déclarant un renoncement aux soins pour raisons financières.

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