In memoriam : La dernière Aurore (Par Cheikh Mbacké Guissé)

« Par l’Aube et par les dix huit nuits, par le pair et l’impair ;  et par la nuit quand elle s’écoule », donc c’est à 8 heures 20 minutes que Sidy Lamine Niasse s’est isolé, hier. Tout un symbole : il aura attendu de deviner, depuis son lit d’hôpital, l’aurore, qui servait, fidèle, des gouttes de rosée aux premiers rayons du soleil, avant de se confondre aux discrets lueurs du jour.
‘’Aurore’’, comme Walfadjri, son journal né en 1984 et qui accouchera plus tard d’une radio, d’une télé et d’un site internet.
‘’Aurore’’, telle la fille de Titans Hypérion et de Théa qui annonçait aux dieux et aux mortels l’arrivée du jour. ‘’Jour’’, ‘’Aurore’’, ‘’Soleil’’ : Sidy Lamine Niasse avait déjà choisi, de son vivant, la Lumière auprès de qui il a scellé un pacte ultime, après le passage secret de l’aube saluée par une magnifique éclosion de papillons dont des…aurores avec la blancheur de leurs ailes trahie, de gauche à droite, par de discrètes tâches oranges.
‘’Père’’, lorsqu’un de ses aurores, entre deux battements d’ailes, saluant la montée de ton âme devenue Nafs Al-Mutma inna, m’a informé de ton retour vers l’endroit d’où tu étais venu 68 ans plus tôt, je suis parti avec mes souvenirs là où tout avait commencé pour moi ; vers ce passé génial d’où a été forgé cette plume qui célèbre aujourd’hui, à travers ces lignes enfantées dans la douleur,  ta rencontre avec Malak oul mawt, l’ange qui, d’après de Livre, recueille l’âme s’écoulant du corps avant l’étape du parfum.
J’ai ruminé, nostalgique, cette …aurore, quand, étudiant au Centre d’études des sciences et techniques de l’information (CESTI), je débarquais à Sacré-Cœur au siège de Walf. Ce fut mon premier contact avec une rédaction. J’y ai retrouvé mes futurs « grands » : Momar Dieng, Abou Abel Thiam, Demba Silèye Dia etc. Et mes futurs « grands grands » : Abdourahmane Camara, Tidiane Kassé et Jean Meïssa Diop. Durant mes premiers jours de stage, je me contentais de faire la synthèse des communiqués qui tombaient sur le fax ; dans l’attente, je « gérais » aussi le thé, si ce n’était pas aller à la boutique du coin chercher des cigarettes à Abou Abel Thiam qui m’en filait, en retour, une bonne dizaine. Compromis équitable entre un « grand » et son « boy ». J’apposais fièrement « stagiaire » sous ma signature et me dépêchait, le lendemain, d’acheter le journal, pour vérifier si mon « papier » était sorti.
Et puis est tombé le cadeau de Tyché : un scoop en marge de l’affaire Alioune Badara Mbengue, du nom de ce détenu torturé jusqu’à l’amputation des bras. Le lendemain, quel ne fut ma fierté de faire la « Une » centrale de Walf et, surtout, de constater que le « stagiaire » qui menottait ma signature par le bas, avait sauté. « Libérée, délivrée », chanterait la Reine des neiges.
Quelques jours plus tard, j’étais convoqué dans le bureau de Sidy Lamine Niasse qui non seulement me félicitait mais, mieux, m’annonçait que Walf avait décidé de me recruter. Il était le premier à me faire confiance et à me permettre de donner mon premier salaire à mes parents en reconnaissance des 3000 FCfa qu’ils avaient rassemblés pour payer mon transport, cette…aurore-là lorsque je quittais Louga pour Dakar dans un bus ‘’Horaire’’, déterminé à leur rembourser un jour cette dette qui s’ajoutait aux nombreux sacrifices consentis par ces deux-là, alpha et oméga, principe et fin de mon moi ; et, durant tout le temps que je suis resté à Walf, cette « école » qui a accueilli presque tous les grands noms du journalisme sénégalais, j’ai été témoin de l’engagement de Sidy Lamine Niasse qui, malgré les difficultés, payait tout le temps les salaires à partir du 27 du mois. Et parce que j’ai été, à un moment donné, un témoin de l’intérieur, je n’ai jamais regardé Sidy Lamine Niasse comme « un étranger auprès des siens » ou « un arabisant entre presse et pouvoir » mais comme une Aurore qui sécurisait, dans un bras de fer sublime avec les ombres, l’arrivée du jour.
Cheikh Mbacké Guissé

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