GUY MARIUS SAGNA : « Le Sénégal va perdre 240 milliards de FCFA par an… s’il signe les APE »

Guy Marius Sagna est le Coordonnateur de la Coalition Nationale « NON AUX APE ». Dans cet entretien avec JOTAY.NET, le jeune militant panafricaniste, engagé pour la sauvegarde des intérêts des pays africains, dénonce la décision du gouvernement du Sénégal de ratifier les accords de partenariat économique. A l’en croire, en signant les APE, le Sénégal va perdre jusqu’à 240 milliards de FCFA par an à partir de la 20e année.

Guy-Marius-Sagna-Non-au-APE-690x377Vous avez mis en place une coalition dite, Non aux APE. Pourquoi une telle initiative ?

Guy Marius Sagna : La Coalition Non Aux Accords de partenariat économique a été créé par différentes organisations du mouvement social sénégalais parmi lesquelles : le Forum social sénégalais, le M23, la Coalition des jeunes leaders syndicaux, Nittu deug, le RND, Pastef… Elle a été mise en place en octobre 2014 pour mener la sensibilisation, le plaidoyer, la mobilisation et la lutte contre les APE jusqu’à leur rejet. Pour la coalition les APE ne sont qu’un maillon de plus, que l’Union européenne veut rajouter à la longue chaîne par laquelle les pays et peuples ACP, dans le cas qui nous concerne l’Afrique de l’Ouest, sont enchaînés, dominés, exploités, pillés, opprimés. A côté des plans d’ajustement structurel, du Franc CFA, des conventions néo-coloniales, des bases militaires françaises et maintenant US, de la langue françaises, des guerres…,l’UE cherche à rajouter les APE depuis 2002. La Coalition a été mise en place pour dire NON aux APE.

Qu’est-ce que le Sénégal va perdre en signant les APE ?

Le Sénégal va d’abord perdre 75 milliards de FCA de recettes budgétaires par an, dès la première année d’application des APE. Cela va évoluer jusqu’à 240 milliards de FCFA par an, à partir de la 20eannée. Cela va empirer si l’on sait que les autres pays demanderont au Sénégal la même chose que l’UE, de la même manière que les Etats-Unis ont demandé une base militaire au Sénégal. Nos recettes budgétaires vont continuer à dégringoler. C’est là la première raison pour laquelle, la Coalition ne comprend pas, comment le gouvernement du Sénégal qui est un PMA (pays moins avancé) et qui n’arrive pas à trouver 75 milliards pour résorber les 6.000 abris provisoires, 16 milliards pour réhabiliter le barrage de Diama…, peut signer ces APE.

La deuxième conséquence, c’est que pour les marchandises de qualité et caractéristiques égales, la baisse des prix des importations européennes due aux baisses des droits de douane conduira le consommateur sénégalais à se détourner des producteurs locaux parce qu’ils deviennent moins compétitifs qu’avant la baisse des droits de douane. Ainsi, par exemple, nos plus de 78 entreprises laitières dont la production est estimée à plus de 65 milliards de francs CFA, vont péricliter et leurs employés vont chômer. Car au lieu de lier les 13 millions de sénégalais à nos 3 millions de bovins, en signant l’APE le président Macky Sall les liera pieds et poings attachés, aux 18 millions de bovins français. Autre incidence désastreuse, notre élevage et nos éleveurs vont régresser et s’appauvrir. A travers cet exemple du lait qui peut être démultiplié à toutes les autres marchandises concernées par la libéralisation à 75%, nous percevons un Plan Sénégal enterré (déformation de Plan Sénégal émergent) fait de disparition de nos PME/PMI, d’augmentation du chômage, d’appauvrissement de nos paysans transformés en ouvriers agricoles, d’aggravation de l’insécurité alimentaire, de la remise aux calendes grecques de notre souveraineté alimentaire, d’affaiblissement du budget de notre Etat, avec comme conséquences l’aggravation des crises scolaire, sanitaire, sécuritaire, environnementale, migratoire…Ce destin pour le Sénégal, qu’a le président Macky Sall, mais aussi ce destin pour les autres peuples de l’Afrique de l’Ouest, la Coalition Nationale NON aux APE ne saurait l’accepter.

13 sur 15 pays concernés ont déjà signé les APE pensez-vous que le processus est réversible?

La réversibilité pour les peuples ACP en général et ceux de l’Afrique de l’Ouest en particulier signifie : est-il possible que ces peuples soient moins dominés ? Est-il possible que ces peuples se libèrent de l’impérialisme ? A cette question, l’histoire de l’humanité, donc celle des peuples, nous enseigne que rien n’est irréversible. La seule constante est la lutte des peuples pour leur dignité, pour de meilleures conditions de vie. Deux Etats n’ont pas encore signé. La Coalition Nationale NON AUX APE tout en faisant sienne le pessimisme de l’analyse est aussi armée de l’optimisme de la volonté. Les peuples vaincront : c’est également là un autre enseignement de l’histoire.

Le Nigéria, première économie africaine, refuse pour le moment de signer. Cela peut-il constituer un soutien à votre combat ?

Entre la non-signature du Nigéria et la lutte de la Coalition Nationale NON AUX APE, il y a une relation dialectique. Chacune se nourrit de l’autre et donc se renforce par l’autre. Le refus du Nigéria et de la Gambie de signer sont des antidotes à la résignation des chefs d’Etat et des peuples. La Bataille de la Coalition est également un antidote à la résignation de nos peuples face aux différentes expressions du néo colonialisme économique. C’est pourquoi nous nous posons des questions. En quoi Boko Haram et les récents événements au Biaffra constituent-ils des armes de menace, des armes de destruction massive, d’un Etat qui refuse de se résigner, d’un Etat qui résiste à l’ordre néo libéral mondial ? Jusqu’où les défaillances objectives du régime gambien peuvent être exploités, notamment par l’UE, qui a d’ailleurs annoncé des menaces, pour régler les comptes à un Etat voyou pas parce qu’il réprime une partie de son peuple, mais voyou parce qu’après avoir dit NON au Common Wealth, le voilà qui dit encore non aux  APE ?

Avec les APE, c’est l’UE, avec la complicité de nos présidents, qui violent les droits économiques et sociaux de 300 millions d’africains de l’Ouest. Il faut que l’UE comprenne que ce sont 300 millions de vies et non de consommateurs à avoir à tout prix. Que nos présidents sachent que ce sont 300 millions de vies et non de choses à troquer contre des chimères.

A votre avis qu’est ce qui explique les réticences de Lagos et de Banjul ?

Les réticences du Nigéria à signer l’APE s’expliquent par la claire conscience des impacts négatifs de l’APE pour son développement. Au moins trois évaluations de l’APE sur le Nigéria, financés par l’UE qui se gardent de les publier, ont conclu à des impacts négatifs. : augmentation de 12% en moyenne des importations venant de l’UE au Nigéria ; baisse des droits de douane du Nigéria de 10% au début de la libéralisation à 35% à la fin ; baisse du PIB du Nigéria à environ 2,8% de moins à la fin de la libéralisation ; hausse du chômage de 15%.

Ces conséquences désastreuses, les autres pays les partagent avec le Nigéria. Les autres présidents les connaissent autant que les autorités nigérianes. Mais parmi ceux-ci, seule la Gambie résiste aux côtés du Nigéria. C’est contre cela que la Gambie veut se prémunir. Et pourtant, ces chefs d’Etat savent aussi qu’à la fin de la libéralisation les importations du Nigéria seraient réduites de 8,7% en provenance du Mali, de 5,7% en provenance du Niger, de 5% en provenance du Ghana, de 4% en provenance de Côte d’Ivoire…et vice-versa. C’est cela l’intégration régionale ? C’est en effet une intégration régionale mais au profit de l’UE. C’est la transformation de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique équatoriale en Afrique équatoriale ou Afrique occidentale européenne, comme les anciennes AEF et AOF. Quelle régression !!!

C’est pourquoi la Coalition Nationale NON AUX APE travaille à édifier un rapport de force national et sous régional, pour que le Sénégal et les autres pays parlent au nom des peuples et non de l’UE.

Sidy Djimby NDAO (Jotay.net)

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