Pourquoi ces femmes se battent-elles au milieu de la foule en délire à Mayotte ?

Une vidéo de deux femmes échangeant des coups, sous les encouragements d’une foule surexcitée, a été vue plus de 90 000 fois sur Facebook. La scène s’est déroulée à Mayotte, dimanche 4 juin. Il s’agit du moringue, un combat traditionnel, pratiqué sur l’île au moment du ramadan, dans une ambiance festive. Ce sport demeure essentiellement masculin, mais il est désormais possible d’assister à quelques combats féminins.

Le moringue – également appelé moring ou encore mrengue – est un sport pratiqué dans l’océan Indien, essentiellement à Madagascar, à La Réunion et à Mayotte. Ses règles varient donc en fonction des lieux.

C’est ce sport qui est pratiqué dans la vidéo ci-dessous, tournée dans le village de Poroani, dans la commune de Chirongui, au sud-ouest de Mayotte, le soir du 4 juin. On y voit deux femmes se faire face au milieu de la foule, qui les encourage. L’une d’entre elles exécute quelques pas de danse, au rythme des tams-tams. Tout à coup, elles commencent à se battre, en se donnant des coups de poing, jusqu’à ce qu’un homme vienne les séparer, alors que l’une des deux semble l’emporter. Après une courte pause, elles recommencent.

Vidéo tournée par « Oncle Tchack Sublimassirou » à Poroani (commune de Chirongui), le 4 juin.

« C’est un jeu qui amuse tout le monde »

Abdou Roihamane

Abdou Roihamane

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Abdou Roihamane, 25 ans, vit à Mamoudzou, la principale ville de Mayotte. Il explique en quoi consiste le moringue, qu’il qualifie de « boxe mahoraise ».

Lorsque les gens sont en cercle, une personne s’avance pour montrer qu’elle a envie de se battre. Une autre personne peut alors s’avancer dans le cercle à son tour, pour l’affronter. Ça se fait de façon improvisée, au son des tams-tams, pour l’ambiance.

Lors du combat, seuls les coups de poing sont autorisés et toutes les parties du corps peuvent être frappées. Au total, il y a trois rounds, qui se terminent, lorsqu’une personne prend l’ascendant sur l’autre. Normalement, deux arbitres sont là pour les départager : ce sont généralement des hommes qui ont une certaine carrure, afin de pouvoir les séparer si besoin. [La foule peut également leur prêter main forte si le combat devient incontrôlable.] Un combat peut durer deux ou trois minutes. À la fin, les adversaires se serrent la main.

« Au cours d’une soirée, 80 à 90 personnes peuvent se battre »

C’est un jeu qui amuse tout le monde, même si les étrangers peuvent trouver ça violent. Le moringue est pratiqué quasiment uniquement durant le ramadan, après le coucher du soleil, même s’il n’a rien à voir avec l’islam. Au cours d’une soirée, 80 à 90 personnes peuvent se battre. [Environ 95 % des Mahorais seraient musulmans. Le moringue serait particulièrement populaire lors du ramadan, puisque les gens aiment se retrouver le soir, au moment de la rupture du jeûne.]

« Pour les femmes, les règles sont les mêmes que pour les hommes »

Tout le monde peut participer, y compris les enfants. Certains se battent dès l’âge de 7 ans, mais on les laisse frapper uniquement des enfants qui ont la même taille, alors que les adultes peuvent affronter qui ils veulent.

À la base, c’était plutôt des hommes qui pratiquaient le moringue. Mais depuis quatre ou cinq ans, il y a également des femmes, même si elles restent rares. Les règles sont les mêmes pour elles : elles n’ont pas le droit de se tirer les cheveux ou de s’agripper les seins par exemple.

Certaines personnes entrent dans le cercle uniquement pour danser, afin de se faire remarquer, à l’image de cette femme. Vidéo tournée par « Oncle Tchack Sublimassirou ».
« On peut entrer dans le cercle uniquement pour frimer, sans vouloir se battre », a confié un Mahorais à France 24. C’est ce que fait l’homme que l’on voit dans cette autre vidéo tournée par « Oncle Tchack Sublimassirou ».
« Les combats ne s’arrêtent pas toujours à la fin des trois rounds… »

Moi-même, j’ai commencé à me battre à 7 ans, contre des amis. [Les combats peuvent néanmoins opposer des gens qui ne se connaissent pas du tout.] J’ai déjà été un peu blessé au niveau des sourcils et du poignet, je perdais tout le temps, mais j’aimais beaucoup ça ! Les blessures causées par cette pratique sont d’ailleurs minimes, en général.

Mais j’ai arrêté à 17 ans, car je me suis rendu compte que les combats ne s’arrêtaient pas toujours à la fin des trois rounds… Il arrive que certains se vengent ensuite, même si c’est censé être interdit. J’ai déjà vu des jeunes se battre avec des machettes, à la suite de combats. Ça serait quelque chose de nouveau…

De fait, des dérives ont pu être constatées au cours des dernières années, puisque certains jeunes – appartenant notamment à des bandes rivales – se regroupent parfois pour en découdre avant tout.

Selon un anthropologue mahorais contacté par France 24, qui a souhaité rester anonyme, ces violences ne sont toutefois pas directement liées au moringue. Pour lui, il s’agit justement d’une « pratique institutionnalisée », ayant une « fonction intégrative des jeunes dans la communauté » : « Combattre en public a un sens et un but. Cela leur permet, entre autres, de montrer leur force et leur ténacité au reste du groupe. »

En outre, selon un autre Mahorais contacté par France 24, le moringue a déjà permis de régler des différends, notamment entre villages. Cette pratique reste d’ailleurs très populaire à Mayotte.

Selon l’historienne Évelyne Combeau-Mari, qui enseigne à l’université de La Réunion, le moringue s’est d’abord développé à Madagascar, vraisemblablement importé de l’Afrique de l’Est. Les déplacements de population liés à l’esclavage ont ensuite contribué à diffuser cette pratique dans les îles du sud-ouest de l’océan Indien au cours des XVIIIe et XIXe siècles.

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