Fatoumata Diop, Mention Très Bien au BAC: « j’ai failli abandonner mes études au Lycée d’excellence de Diourbel et rentrer à Mboro »

Une surdouée ? Sans aucun doute, pour toute personne douée de sens qui aura le privilège d’échanger avec elle. Pourtant, Fatoumata Diop refuse catégoriquement d’être classée parmi ces êtres humains qui vivent avec un QI largement au-dessus de la norme. Elle veut nager dans l’ordinaire, mais entre deux mouvements de brasse dans l’océan du commun des mortels, elle est trahie par sa répartie foudroyante. C’est peut-être la raison pour laquelle elle évite de trop se livrer aux médias.
Pour décrocher cette interview, il a fallu passer par son grand frère, qui gère un peu son tutorat et qui vient juste de terminer sa formation à l’ENA (École Nationale d’Administration). Après les salamalecs, il parvient à bien identifier son interlocuteur et montre subtilement toute sa confiance. Il promet de rappeler après avoir discuté avec sa petite sœur. Moins de deux minutes après, le téléphone sonne: « Fatoumata lave le linge. Mais une fois qu’elle en aura terminé, elle vous contactera directement pour l’interview ». Comme promis, quelques heures plus tard, la nymphe établit le contact après en avoir fini avec ses tâches domestiques du dimanche. Le télé-entretien (le contexte de pandémie oblige) peut démarrer au téléphone.
Les présentations faites, la « Meilleure élève en classe de Terminale » du Sénégal se prête au jeu de questions-réponses. Son initiation à la langue arabe, le Saint Coran qu’elle a mémorisé en trois ans, ses débuts « tardifs » à l’école française et les classes qu’elle a sautées, son niveau de français, son passage difficile au Lycée d’excellence de Diourbel, son projet de livre, son inscription en Prépa en France, sa conception des Réseaux Sociaux… Bref, tout ce que vous ne saviez pas sur l’élève Fatoumata Diop, qui a décroché la Mention TRÈS BIEN en S1 au Baccalauréat cette année. Entretien !

Qui est Fatoumata Diop ?
Je suis née le 5 mars 2001 à Mboro. J’habite au quartier Diamaguene (le quartier se nomme officiellement Moulaye Fall de Mboro, ndlr). J’ai grandi dans une école coranique où j’ai fait mes humanités. Après avoir mémorisé le Saint Coran, j’ai été inscrite à l’école élémentaire privée Samba Khary Fall de Diamaguene, où j’ai commencé par la classe de CE1. J’ai ensuite sauté la classe de CE2.

« J’ai commencé l’école par la classe de CE1 »

En trois ans donc, j’ai décroché le CFEE et l’entrée en 6ème. J’ai rejoint le CEM 1 de Mboro où j’ai eu obtenu mon BFEM en 2018, en étant Première du centre. C’est alors que j’ai fait le concours d’entrée au Lycée Scientifique d’Excellence de Diourbel, que j’ai réussi en étant major de la promotion. 
Trois ans plus tard, j’ai réussi à l’examen du Baccalauréat, en série S1 avec la mention Très bien.

Le choix de débuter par l’école coranique ?

Bon, c’est une tradition chez nous. En effet, mes parents ont tous les deux été des maîtres coraniques. Donc tout naturellement, j’ai commencé par l’apprentissage du saint Coran, que j’ai mémorisé en l’espace de 3 ans. (NdlrElle demande poliment d’interrompre la conversation pour prendre un appel d’un de ses professeurs qu’elle ne peut décliner« )
Après avoir bouclé l’apprentissage Coran, je n’ai pas aussitôt intégré l’école française. Je suis restée 2 ans dans le Daara pour m’initier à la langue arabe et aux connaissances de base de la religion musulmane. En 2011, j’ai rejoint l’école française pour découvrir un autre système, apprendre autre chose. Car l’Islam est une religion qui incite à la quête du savoir. Parallèlement, j’ai poursuivi l’enseignement arabo-islamique chez moi.

Commencer l’école directement par la classe CE1, c’était si évident ?
J’avoue que ce n’était pas facile au début. Mais avec un bon encadrement, celui de mon frère Moustapha notamment, je me suis vite intégrée. J’ai rapidement surmonté les difficultés. D’ailleurs j’ai réussi à me classer première de la classe à toutes les compositions trimestrielles. Ainsi l’administration de l’école a considéré que j’avais le niveau pour passer directement en classe de CM1.

Le secret de votre assimilation de la langue française dès la CE1 ?

Je pense que c’est une combinaison de beaucoup de facteurs. D’abord, il y a le soutien et l’encadrement sans faille de ma famille. Ensuite, il faut que noter que l’apprentissage d’une langue ouvre souvent la voie à l’assimilation d’une autre. Enfin, j’étais toujours curieuse, je lisais beaucoup et j’avais toujours le dictionnaire à portée de main.

Pensez-vous que votre apprentissage du Saint-Coran et de la langue arabe a été votre atout principal vis-à-vis de vos autres camarades dans toutes les compositions, tous les examens et tous les concours dont vous êtes sortie majore ?

Alors, sincèrement je pense que oui. En effet, les études dans leur diversité ont souvent les mêmes principes. Ce qui permet de réussir dans un système permet souvent de s’en sortir dans un autre. On voit que les élèves qui ont commencé par l’école coranique font souvent partie des meilleurs de leurs classes.
J’ajouterais ceci: le Coran, en tant que parole divine, développe les capacités cognitives de celui qui le mémorise. Autrement, comment un enfant de moins de 10 ans parviendrait-il à mémoriser un livre qui fait 600 pages ?

Pour revenir sur votre parcours. Après être sortie première du Centre au BFEM, qu’est-ce vous a poussé à vouloir intégrer le Lycée d’excellence de Diourbel ?

J’avais déjà connaissance dudit lycée par le biais d’une amie qui l’a intégré avant moi.  Et en tant que passionnée de science, je me voyais bien intégrer un lycée scientifique, de surcroît, un lycée d’excellence. Ainsi, ayant rempli les conditions d’éligibilité, j’ai décidé de tenter ma chance et Alhamdou lillah j’ai réussi le concours.

« Maintes fois, j’ai failli abandonner et rentrer à Mboro »

Fatoumata Diop, Mention Très Bien au BAC: "j'ai failli abandonner mes études au Lycée d'excellence de Diourbel et rentrer à Mboro"

Alors, c’était la première fois que vous vous sépariez de votre famille. Comment s’est passée l’intégration dans ce Lycée ? Et comment vous avez géré ces moments de distance ?

À vrai dire, c’était difficile au début. L’école a ouvert ses portes en décembre 2016 et jusqu’à notre arrivée en octobre 2018, elle était toujours en chantier, il restait beaucoup à faire. En outre, elle est quasiment implantée dans la brousse. Ce facteur, couplé à la distance et aux fortes températures de Diourbel accentuait mon dépaysement. Mon adaptation ne fut donc pas facile. Maintes fois d’ailleurs, à l’instar d’autres camarades, j’ai pensé à rentrer à Mboro. Mais toujours avec le soutien de la famille, j’ai eu le courage de rester.

Dans un Lycée d’excellence comme celui de Diourbel où c’est l’élite qui se frotte, comment vous gérez les concurrences et autres égo ?

J’avoue que ce n’était pas du tout évident. Le niveau était largement supérieur à celui du collège. Souvent la moyenne de classe au LSED varie entre 14 et 16. Donc le niveau est élevé. Mais je trouve que cela, au lieu d’être un inconvénient, est plutôt un avantage, dans la mesure où il pousse chacun d’entre nous à être le plus performant possible.
On s’entraide également. On se partage des documents, des exercices. Donc, je peux dire que les rapports humains sont très bons au Lycée scientifique d’excellence. Quand un élève réussit à un concours ou remporte un prix, tous les autres le félicitent. Chacun exprime son contentement et sa fierté de voir son camarade réussir. On se dit toujours que la réussite d’un élève de l’école est une fierté pour toute l’école, et ne fait que hisser le nom de l’établissement. Si aujourd’hui le lycée est connu un peu partout dans le pays, c’est grâce aux brillants résultats obtenus au baccalauréat et au Concours général.

L’historique de tes moyennes entre la Seconde et la Terminale ?
Alors, en seconde j’ai eu 17,00 au premier semestre et 17,92 au second, soit une moyenne annuelle de 17,46
En première j’ai eu une moyenne de 18,29. Je précise qu’on n’a fait qu’un semestre à cause de la pandémie. 
En terminale, j’ai eu 17,17 au premier semestre et 18,11 au second, soit une moyenne annuelle de 17,64. Au Baccalauréat, j’ai 16,52 de moyenne.

Vos matières favorites ?
Mes matières favorites sont les mathématiques, les sciences physiques et la philosophie. Mais, j’aime aussi la littérature, les langues, l’histoire et la géographie. Bref, j’aime toutes les matières, les études en général.

« Je n’exclus pas de publier un livre » 

Comment vous avez obtenu votre niveau de langue qui est assez bon ?
Par la lecture notamment. Je lis beaucoup et je pense qu’il n’y a pas meilleur moyen que la lecture pour améliorer son niveau de langue. J’écris aussi de petits textes parfois, afin de mieux raffiner mon style.

Pensez-vous un jour vous reconvertir en « Homme de Lettres » et abandonner les Sciences ?
Honnêtement, pas vraiment. Car, bien que j’aime la littérature, mon domaine de prédilection reste la science. Donc même si je n’exclus pas la possibilité de publier un livre plus tard, je ne me vois pas abandonner les sciences pour quelque autre domaine que ce soit.

Parlons de ton futur parcours universitaire. Qu’est-ce qui se profile à l’horizon ? Une classe prépa en France ?

Bien deviné. J’ai déjà une admission au lycée Du Parc de Lyon, dans le cadre des conventions qui lient l’Etat (du Sénégal) à cet établissement. Je suis dans les procédures, et inchaa’Allah je compte faire une prépa MPSI (Maths, Physique, Sciences de l’Ingénieur).

Et j’imagine que vous vous êtes renseignés sur la toxicité et les difficultés extrêmes en milieu Prépa en France. Comment comptez-vous vous adapter et éviter de sombrer ?
Question pertinente ! Je me suis renseigné auprès de mes aînés, la plupart anciens sortants du LSED. Difficulté, extrême rigueur, pression et évaluation sur évaluation rythment le quotidien des élèves des classes prépas. J’en suis consciente.
Mais je préfère rester positive, dans la mesure où, même s’il y en a qui échouent, d’autres réussissent. Et je prendrai exemple sur ces derniers. Aussi, je crois en mes capacités, et je compte donner inchaa’Allah le meilleur de moi-même. 
Après, la réussite est entre les mains du Tout-puissant, et c’est Lui seul qui décide de notre sort.

« Les Réseaux sociaux sont des couteaux à double tranchant qui, mal utilisés, dévorent notre temps et nous détournent de l’essentiel »

Quel est votre rapport avec Internet, les Réseaux Sociaux ?

J’utilise ces canaux, très souvent pour faire des recherches notamment pour approfondir mes cours, m’informer, communiquer avec des amis, regarder des films documentaires, ou encore me distraire à travers des jeux en ligne, etc. 
Toutefois j’utilise les réseaux sociaux de façon très modérée ; je suis peu active sur la plupart d’entre eux, consciente du fait qu’ils sont des couteaux à double tranchant qui, mal utilisés, dévorent notre temps et nous détournent de l’essentiel.

Vous considérez-vous comme une surdouée ?
Alors là, pas du tout. Je me vois plutôt comme une élève normale, avec beaucoup de lacunes à combler. Toujours est-il que je rends grâce à Dieu, pour les capacités intellectuelles dont il m’a gratifiée.

Parlez-nous de vos lacunes justement…
(NdlrElle demande la permission d’aller prier et rétablit le contact un quart d’heure après)
Tout d’abord, je dois améliorer mon niveau dans certains domaines tels que l’anglais à l’oral. Car comme tout le monde le sait, c’est une langue incontournable dans le monde d’aujourd’hui, peu importe le domaine dans lequel on évolue.
Aussi, j’ai souvent des difficultés pour m’exprime en public, ou devant des personnes avec qui je ne suis pas familière, la faute à ma timidité. D’ailleurs, si cette interview était filmée, la qualité des réponses serait sans doute moins bonne.

Quelle carrière rêvez-vous d’embrasser ?
Présentement, je suis plutôt indécise : j’hésite entre la génie informatique, la recherche mathématique, et d’autres domaines qui me passionnent tout autant. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles j’ai opté pour une classe préparatoire. Je compte profiter de ces deux années pour mûrir ma réflexion, et me décider enfin sur la ou les spécialités à suivre.

Enfant, que rêviez-vous de devenir ?

Au bas-âge, je rêvais de devenir médecin, pour sauver des vies.
Mais je dirais plutôt que c’était moins une passion que de simples rêves d’enfance. Donc avec l’âge, je me suis tournée vers d’autres horizons.

Avec Pressafrik

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