Le décès de Ousmane Tanor Dieng, Secrétaire général du Parti socialiste (Ps), ne manquera pas de provoquer un certain «rebattrage» des cartes sur la scène politique. Avant même que la dépouille de Ousmane Tanor Dieng ne fût portée sous terre, les querelles autour de sa succession ont éclaté. L’autorité ou le leadership de Ousmane Tanor Dieng avait toujours été vivement contesté au sein des instances du Ps. Ces querelles de légitimité avaient fait voler en éclats le parti fondé par Léopold Sédar Senghor. Le Président Abdou Diouf avait clairement choisi Ousmane Tanor Dieng pour contrôler le parti et on augurait aussi qu’il le préparait à sa succession à la tête du pays. Ainsi, les responsables politiques comme notamment Moustapha Niasse, Djibo Leyti Ka, Souti Touré, Mbaye Jacques Diop, avaient rompu les amarres avec le parti et étaient allés fonder chacun sa formation politique. Le parti socialiste a poursuivi sa saignée de militants et de grands responsables et nous relevions dans ces colonnes, le 7 mars 2016, que le Ps de Ousmane Tanor Dieng perdait inexorablement du terrain, d’une élection à une autre. La situation s’est empirée avec l’exacerbation des clivages avec les partisans de Khalifa Ababacar Sall et ceux de Aïssata Tall Sall. Des bataillons de militants ont quitté le parti de ce fait. Aussi, Ousmane Tanor Dieng, qui avait choisi de ne plus jamais s’engager dans une compétition politique contre le camp du Président Macky Sall et qui, depuis 2012, continuait exclusivement de jeter son dévolu sur Serigne Mbaye Thiam et Aminata Mbengue Ndiaye pour siéger au gouvernement, a pu renforcer les rangs des mécontents au sein de son parti. On devra rappeler que ce parti avait particulièrement souffert des Opa hostiles menées par le régime du Président Abdoulaye Wade. En succédant à Abdou Diouf, au lendemain de l’élection présidentielle du 19 février 2000, Abdoulaye Wade, aidé par Idrissa Seck, avait fait du démantèlement du Parti socialiste son objectif politique principal. Il y avait réussi tant bien que mal, et de gros pontes du parti socialiste, attirés par les avantages du nouveau pouvoir ou décidés par l’épée de Damoclès suspendue sur leurs têtes pour avoir pu être en délicatesse dans leur gestion de ressources publiques, avaient déposé leurs baluchons au Parti démocratique sénégalais (Pds) ou mis en place des mouvements politiques dont la finalité était de soutenir Abdoulaye Wade.
Personne pour sauver le parti de Senghor
Que reste-t-il du Parti socialiste ? Pas grand-chose, pourrait-on répondre sans grand risque de se tromper. Il n’en demeure pas moins que, manifestement, ce parti dirigé par Ousmane Tanor Dieng reste, de tous les alliés du Président Macky Sall, la formation politique qui apparaît la mieux structurée, la plus représentative. Tout le monde sait que l’Alliance des forces de progrès (Afp) de Moustapha Niasse, est réduite à l’ombre d’elle-même du fait des départs des Malick Gakou, Mata Sy Diallo, entre autres. Le Président Macky Sall n’a pas manqué lui-même de jauger le poids réel actuel de l’Afp, au point que les compagnons de Moustapha Niasse et leurs alliés de Benno Ligeeyal Senegaal qui pourtant, lui avaient apporté plus de 15% des voix au second tour de la Présidentielle de 2012, sont, du point de vue du nombre, moins servis, que les responsables du Parti socialiste dans la distribution des fonctions gouvernementales et au sein des autres entités publiques.
La guerre de succession ouverte au Ps et qui s’annonce enragée, risque de sonner le glas de ce parti. Les partisans de Khalifa Ababacar Sall voudraient considérer que c’est l’occasion pour revenir dans la maison du père et y prendre de l’autorité ou même le bâton de Maréchal, alors que les fidèles de Ousmane Tanor Dieng ne devraient pas l’entendre de cette oreille. Il n’est pas non plus évident que les Barthélemy Dias parlent plus pour Khalifa Ababacar Sall que pour eux-mêmes. On peut également appréhender que dans le propre camp des fidèles du défunt président du Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct), les ambitions et autres appétits et les personnalités vont fatalement se heurter. Déjà, des responsables comme Gorgui Ciss ou Moussa Bocar Thiam, avaient rué dans les brancards pour contester la désignation de Serigne Mbaye Thiam et Aminata Mbengue Ndiaye pour siéger au gouvernement. En outre, jusqu’où tiendra l’unité que voudraient afficher Serigne Mbaye Thiam et Aminata Mbengue Nidaye ?
Le Parti socialiste va souffrir de la carence d’une autorité morale, d’une personnalité qui pourrait faire le consensus autour de sa personne. Des voix se sont élevées pour dire que l’ancien Président Abdou Diouf devrait pouvoir aider à recoller les morceaux. Une telle perspective apparaît absurde. En effet, non seulement il n’est pas sûr que Abdou Diouf en aurait la volonté mais aussi, l’ancien Président Diouf a perdu toute légitimité pour s’impliquer dans une mission de résolution des conflits au sein de la famille socialiste. Abdou Diouf avait provoqué les divisions au sein du Ps par son mode de management ; ce qui d’ailleurs avait participé à le conduire à sa propre perte. Aussi, il avait montré «une reconnaissance du ventre», quand il avait été battu en 2000 par le Président Abdoulaye Wade. Abdou Diouf avait quitté le Sénégal sans jamais faire ses adieux à ses camarades de parti et autres alliés qui avaient porté sa dernière candidature. Plus grave, le Président Diouf avait tout renié de son ancien parti et de ses camarades. Cet épisode avait provoqué beaucoup d’amertume auprès de militants socialistes. Il s’y ajoute que Abdou Diouf ne s’était jamais senti concerné par les démêlés qui accompagnaient l’évolution de ce parti toutes ces dernières années. Comment un tel homme pourrait-il revenir pour chercher à accorder les violons, calmer les rancœurs, panser les blessures ?
Le Président Macky Sall non plus ne devrait pas pouvoir aider à faire revenir la paix dans les rangs du parti socialiste. Le soutien franc que lui apportait Ousmane Tanor Dieng, à toute épreuve, a participé à élargir les divisions et antagonismes au sein du Parti socialiste. Il pourrait aussi paraître inconvenant que le Président Sall cherchât à se mêler des querelles internes au sein d’un parti allié.
Il reste que le Président Macky Sall ne devrait pas assister inactif à cette situation de déconfiture du Parti socialiste. Il devrait légitimement chercher à s’assurer de la continuité du soutien des responsables et militants qui étaient acquis à l’idée du compagnonnage.
Macky Sall devrait pouvoir récupérer les morceaux du Parti socialiste qui pourraient lui être compatibles. En quoi faisant ?
Un nouveau parti s’impose à la majorité présidentielle
Le Parti socialiste, avec sa longue histoire et son rôle majeur dans l’histoire politique du Sénégal, est à la croisée des chemins, à un moment particulier de son histoire. La trajectoire à adopter sera un enseignement majeur sur la mutation que connait la politique dans son fonctionnement sous nos cieux et sur les forces à compter dans toute entreprise de quête du pouvoir. Le Parti socialiste doit continuer d’instiguer et d’impulser de l’action, et la disparition de Ousmane Tanor Dieng pose, à travers la formation politique la mieux structurée du Sénégal, la question de l’avenir des partis et de la force des coalitions politiques.
Le débat de la trajectoire que prendra le Parti socialiste et son influence sur la configuration nouvelle qu’aura la majorité présidentielle conduite par Macky Sall se pose inévitablement.
La situation que vit le parti socialiste est aussi la même qui prévaut au sein de certains autres partis alliés de l’Alliance pour la république (Apr). On l’a déjà dit, l’Afp de Moustapha Niasse a perdu de sa superbe et les autres partis comme le Pit, la Ld, Aj/pads, entre autres, ont vu nombre de leurs militants se fondre dans les instances de l’Apr, s’ils n’ont pas choisi de rallier un parti de l’opposition ou de créer une nouvelle entité politique dissidente. On constate qu’au gré des compétitions électorales et des péripéties de la vie politique, les effectifs de militants de ces partis alliés du Président Sall fondent comme beurre au soleil. Il faut dire que le premier prédateur se trouve être l’Apr, qui cannibalise ces partis. Les exemples sont légion de ces partis qui, tour à tour, se font phagocyter entièrement ou en partie. Ne serait-il pas plus cohérent de rebattre les cartes et de créer une nouvelle formation politique ouverte à tous ces alliés de la mouvance présidentielle ou ce qu’il en resterait ? Il n’est pas certain que les responsables de l’Apr, généralement assez rétifs à toute idée d’ouverture et de faire de la place à des alliés dans l’appareil de l’Etat, seraient favorables à une telle perspective. Mais la cohérence politique imposerait un tel choix. Le parti du Président Macky Sall a tout autant besoin que ses alliés d’une certaine organisation ou structuration. Ce parti est devenu une armée mexicaine, c’est-à-dire une structure où tout le monde se croirait investi des plus hautes responsabilités. Chaque responsable à la base revendique une légitimité première, ce qui suscite toujours des états d’âme à chaque investiture de listes de candidats à des élections. Le Président Macky Sall a trop longtemps attendu pour structurer son parti. Continuera-t-il d’attendre la fin de son deuxième mandat pour le faire ? Le cas échéant, une telle structuration deviendrait sans objet pour un chef d’Etat qui se dit déjà non partant pour une éventuelle quête d’un nouveau mandat à la tête du pays. L’occasion serait ainsi donnée au Président Sall de mettre les compteurs à zéro et d’appeler les militants à s’investir à la base pour conquérir une légitimité politique consacrée par les suffrages. Il semblerait que le Président Macky Sall avait eu à réfléchir à une telle idée politique. Les entités politiques ont aussi leur vie, évoluent, connaissent des remises en cause et peuvent se muer. Dans les mêmes circonstances, l’ancien Président français, Jacques Chirac, en 2002, avait fondé l’Union pour la majorité présidentielle (Ump) qui avait fini par porter Nicolas Sarkozy au pouvoir, cinq ans plus tard. Le même schéma a été mis en œuvre en Côte d‘Ivoire par le Président Alassane Dramane Ouattara, en créant le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (Rhdp). Mohamed Ould Abdel Aziz avait créé dans les mêmes bases, l’Union pour la République (Upr) qui a fini de faire élire Mohamed Cheikh El Ghazouani pour lui succéder à la tête de la Mauritanie.
Il demeure cependant que les acteurs politiques sénégalais semblent être définitivement acquis à l’idée qu’aucun grand parti politique ne pourrait à lui seul remporter une élection nationale. Le postulat voudrait qu’il faudrait mettre en place une coalition électorale, la plus hétéroclite possible, pour ratisser large et agréger les suffrages. Selon une pareille conception des choses, Macky Sall pourrait encore se contenter de son Apr et de ses «partis alliés» ou «satellites», c’est selon.
Madiambal diambatini