ENQUÊTE EXPRESS : La face sombre de la campagne électorale

Les campagnes électorales sont un moment de communion entre les candidats et les populations. Elles sont aussi le lieu de pratiques douteuses et d’excès en tous genres.
L’image était partout. À la Une des journaux, sur les écrans de télévision et sur les réseaux sociaux. Youssou Ndour s’éclipsant en toute vitesse dans les bras de son garde du corps, alors que la caravane de Benno Bokk Yaakaar, qui sillonnait Grand-Yoff, est la cible de jeunes armés de pierres et de coupe-coupe. Le pire a été évité de justesse.

Quelques jours plus tard, les caméras sont braquées du côté de Rufisque. Les éléments de la sécurité du ministre Oumar Guèye repoussent des assaillants en brandissant leurs pistolets et en tirant en l’air quelques coups de feu.
De telles scènes de violences rythment la campagne des législatives depuis son ouverture le 9 juillet. Et elles risquent de se poursuivre jusqu’à la fin, vendredi prochain. Il en est ainsi au Sénégal à chaque période électorale.

La mort de Mamadou Diop
Fatou Sakho, la soixantaine, habite à Fass, près de la place de l’Obélisque. Les violences électorales, elle connaît bien. Mais celles qu’elle n’oubliera pas de sitôt sont récentes. Elles eurent lieu le 31 janvier 2012. Quelques semaines avant le premier tour de la présidentielle. Le Sénégal était divisé entre ceux qui défendaient la candidature de Wade pour un troisième mandat et ceux qui la combattaient.
Ce jour-là, l’opposition et le Mouvement du 23-juin (M23) organisent un rassemblement à la Place de l’Obélisque. Il y aura mort d’homme. Témoin du drame, elle raconte : “Moustapha Niasse et Abdoulaye Bathily venaient de garer leurs véhicules devant ma maison. Quelques minutes plus tard, l’étudiant Mamadou Diop meurt sous nos yeux, heurté par la voiture de la police. Mon fils, qui était étudiant à l’université Cheikh Anta Diop, s’en est remis difficilement.”
Sa voisine Fatoumata Sylla n’a pas assisté à la mort de Mamadou Diop. Elle a juste entendu des cris et vu “beaucoup de blessés”. “Je me suis enfuie du quartier avec mes frères”, se remémore-t-elle.
Antoine Dacosta estime que le Sénégal a connu pire. Menuisier de son état et habitant de Fass, Dacosta affirme que les campagnes électorales étaient beaucoup plus violentes avant 2000. Il souvient d’une violente manifestation dans les années 1990 : “Les forces de l’ordre affrontaient les manifestants au Boulevard du centenaire. Un groupe de jeunes avait trouvé refuge dans un immeuble. Malheureusement, la seule issue, c’était la porte d’entrée, et il y avait des policiers. Beaucoup de jeunes ont préféré sauter de la terrasse pour ne pas se faire arrêter. Il y avait beaucoup de blessées.”
Antoine Dacosta, comme beaucoup de jeunes biberonnés au Sopi, était militant du Pds. “Une de nos voisines ne voyait pas d’un bon œil notre engagement aux côtés de Wade. Elle reprochait à l’ancien chef de l’État d’avoir installé son siège dans notre quartier et de se réfugier dans nos maisons chaque fois qu’éclataient des affrontements avec les forces de l’ordre.”

Sacrifices humains
Les confrontations physiques entre militants ou entre militants et les forces de l’ordre ne sont que la face visible de l’iceberg. Les sacrifices humains font partie de la panoplie avec comme cibles privilégiées, les albinos, les personnes souffrant de handicap moteur et les déficients mentaux. Mère de deux enfants albinos, cette dame que nous appellerons Fatoumata témoigne : “En période d’élections je suis constamment angoissée. Je suis obligée d’être plus vigilante avec mes enfants. Mon mari et moi, leur interdisons de s’éloigner seuls de la maison.”

Maman Bâ, la trentaine, albinos aussi, acquiesce : “On ne compte plus le nombre d’albinos disparus pour des raisons obscures. Nous sommes des cibles, surtout pour certains politiciens. L’État doit veiller à notre sécurité. En période d’élections, on ne peut plus circuler librement alors que nous sommes des citoyens comme tout le monde.”
Même les morts ne sont pas épargnés. Leur quiétude est souvent perturbée par des visiteurs aux desseins fumeux. Un riverain du cimetière de Pikine confie : “Des gens de toutes les couches sociales viennent ici pour y faire toutes sortes de sacrifices. Soit ils enfouissent des gris-gris dans les tombes soit ils cherchent des bouts de linceul ou de cadavres. Pour les bains mystiques ils ne viennent la nuit.”

Achat de conscience
Autre phénomène courant en période de campagne : l’achat de conscience. Si certains hommes politiques jurent qu’ils ne s’adonnent pas à cette pratique, d’autres par contre l’assument ouvertement. Moustapha Cissé Lô est de cette catégorie. Interrogé par la Rfm le 16 mars dernier, en vue des législatives, le député de l’Apr ne s’est pas gêné pour déclarer : “L’argent circule partout en période de campagne en Afrique et même dans d’autres pays occidentaux. Les plus riches sont toujours ceux qui arrivent en tête lors des élections. C’est un constat généralisé sur le terrain. Et l’argent coulera à flots.”

Et l’argent a coulé. Par exemple à Diourbel où la présidente du Conseil économique social et environnemental, Aminata Tall, a été filmée distribuant des liasses de billets de banque lors du passage dans cette ville de la caravane de Benno Bokk Yaakaar avec à sa tête le Premier ministre, Mahammad Dionne.
“L’achat de conscience est une réalité au Sénégal en période d’élection, admet Soda Guèye, une vendeuse de légumes d’une cinquantaine d’années. On ne peut pas le nier. Les hommes politiques offrent des tissus accompagnés de billets de banque avec l’espoir de gagner des voix. Il y a ceux qui distribuent aussi des denrées alimentaires pour attirer les électeurs.”

Malheureusement pour les hommes politiques qui misent toutes leurs forces sur le poids de leur porte-monnaie, on ne gagne pas à tous les coups au jeu de l’achat de conscience. Ex-militante du Ps, du temps de sa splendeur, “Mère Fama” prévient : “Les politiciens qui battent campagne avec de l’argent ne savent pas ce qu’est la politique. On peut recevoir de l’argent d’un politicien et le jour du vote, porter son choix sur quelqu’un d’autre. Et ça arrive fréquemment de nos jours. Les temps ont changé.”

Seneweb.com

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