EN PRIVE AVEC HABIB FAYE (MUSICIEN) : « Youssou Ndour, Wally Ballago Seck et moi… »

Habib Faye est l’un des bassistes sénégalais les plus talentueux de sa génération. Cet ancien membre du Super Etoile mène actuellement une carrière solo et monte ses propres projets dont ‘’Cola Nut Café’’. Détendu et sans trop faire dans la langue de bois, l’auteur H2O est revenu avec EnQuête sur ses années fastes au sein du Super Etoile, sa collaboration avec Ablaye Cissoko ainsi que sur ses relations avec Youssou Ndour et sa fraîche collaboration avec Wally Seck. Entretien !

9580485-15397805Votre nom reste lié au Super Etoile. Votre complicité avec Youssou Ndour était telle que vous aviez initié le concept You-Bib. Qu’en est-il aujourd’hui de vos relations avec le Super étoile ?

You-Bib a duré longtemps contrairement à ce que les gens croient. Toutes les fois où j’ai collaboré de manière entière avec Youssou, c’était dans le concept You-Bib. Parce que You-Bib, ce sont les idées de Youssou et d’Habib qu’on mettait ensemble. On le présentait après au public à travers le Super Etoile. Et j’ai eu à travailler avec Youssou pendant longtemps. Cela a commencé dans les années 1980 et s’est poursuivi jusqu’aux années 1990. Toutes les productions du Super Etoile de cette période sont issues de You-Bib en tant que producteur et réalisateur. Youssou avait des idées et moi j’étais là pour les matérialiser. Mes idées, on les partageait. Cela a duré plus d’une décennie. Maintenant, je pense qu’avec le temps, les gens sont devenus plus ambitieux. Chacun de son côté a essayé de faire ses choses. Je pense que c’est cela qui explique que You-Bib n’existe plus.

Qu’est-ce qui s’est passé par la suite au point que Mbaye Dièye Faye ait pris votre place ?

Je pense honnêtement que cela est dû au fait que je n’étais plus là. Moi, j’ai quitté le Super Etoile depuis 2012. Il faudrait peut-être ne pas oublier que je ne suis plus dans le groupe depuis 4 ans maintenant. Entre-temps, Mbaye Dièye a eu à jouer ce rôle. Je ne sais pas de quelle manière cependant. Moi, j’étais plus dans le concept musical avec les arrangements à faire et surtout de jouer des instruments, si c’était nécessaire. Nous, nous étions à un niveau de conception qui était vraiment différent.

Est-ce un problème personnel qui vous a poussé à quitter le groupe ?

Non, pas du tout. Ce sont plutôt des ambitions personnelles. Il n’y a jamais eu de problèmes. Je suis parti de mon propre gré parce que j’ai vu qu’il me fallait voler de mes propres ailes. C’est moi qui l’ai voulu, personne ne m’y a obligé.

Pourquoi justement en 2012, sachant que, depuis longtemps, vous alliiez carrière solo et compagnonnage avec le Super Etoile ?

Il est vrai que j’ai toujours allié les deux. C’était difficile pour moi mais je tenais quand même à ce Super Etoile qui m’a tant donné. Je tenais à rester dans le groupe. A un certain moment, j’ai constaté que Youssou était plus ou moins occupé par d’autres choses. Je me suis permis alors cela parce qu’il y avait plus de temps pour aller faire autre chose. Et j’ai voulu m’occuper de mes propres affaires à temps plein. C’est juste cela.

Vous en aviez parlé avec Youssou Ndour ?

Bien sûr qu’on en a parlé. Il était clair que moi, j’allais poursuivre ma carrière quand il a décidé d’entrer dans la politique. Je lui ai dit que j’étais de tout cœur avec le Super Etoile. C’est mon bébé le Super Etoile. J’ai beaucoup participé à l’éclosion de ce groupe. Entre gentlemen, on s’est dit des choses. Je lui ai dit que j’étais toujours avec eux mais que j’ai quand même une carrière qui m’attend et que je devais poursuivre.

Pensez-vous un jour retourner au Super étoile ?

Dieu Seul Sait si cela se fera ou pas. Je peux juste dire que ce n’est pas à l’ordre du jour.

Vous n’êtes pas nostalgique ?

Oh que si et c’est normal ! Des fois je regarde des vidéos et je me rends compte du niveau musical que le groupe a. Des fois, il y a des amis musiciens qui m’appellent après avoir vu une vidéo des années 1980 pour me dire que c’était top. Tout le monde est surpris par le niveau qu’on avait à l’époque. Musicalement, c’était vraiment du top. J’ai souvent cette nostalgie.

Que pensez-vous de la dernière production de Youssou Ndour ?

Honnêtement, je ne l’ai pas vraiment écoutée. J’ai eu quelques bribes de certains morceaux. Ce que j’en ai entendu est bien, vraiment. C’est même très bien. Youssou ne fait jamais les choses à demi-mesure. Quand il décide de s’y mettre, il le fait correctement.

Comment est née votre collaboration avec Ablaye Cissoko ?

La collaboration avec Ablaye entre dans le cadre d’un projet que j’ai initié vers la fin de l’année 2015 et qui s’appelle ‘’Cola nut café’’. La cola est la chose la mieux partagée en Afrique. Et nut comme la noix de cola. Moi, je prononce ‘’note’’ pour faire allusion à la musique et café comme un café qu’on partage dans un café. Donc une noix de cola qu’on se partage quelque part. En outre, c’est un plateau d’échanges culturels. J’y ai invité des amis que j’ai eu à rencontrer sur la scène internationale. J’ai surtout pensé à un concept musical qui allierait des instruments modernes et des instruments traditionnels. C’est dans ce cadre que j’ai rencontré Ablaye. Ensemble, on a eu à faire quelques concerts l’année dernière dont une prestation à un festival de jazz au Bénin. Il a initié le projet ‘’Autour de minuit’’ dans le cadre Off du festival de jazz de Saint-Louis et il m’y a invité. Beaucoup de choses se sont passées là-bas. Il y a eu 4 soirées qu’on a animées et qui étaient vraiment bien. Le public a beaucoup vibré avec ce projet-là. Cela nous a beaucoup inspiré pour continuer ‘’Cola nut café’’ et de rester sur la même trajectoire.

C’est dans cette dynamique que vous avez décidé de sortir un album ensemble. Que comptez-vous présenter au public ?

Ce sera un mélange entre les instruments traditionnels et les instruments modernes que j’utilise beaucoup comme la guitare et la basse aussi. Ce qu’on fera avec, je n’aime pas l’appeler jazz parce que ce n’est pas le terme approprié mais j’essaie de faire la fusion entre la musique africaine et celle occidentale. Cela va être un projet ‘’fusion’’, je dirais. L’album sortira d’ici la fin de l’année, s’il plaît à Dieu.

Que retenez-vous de l’expérience ‘’Autour de minuit’’ ?

J’ai participé à la scène In du festival de jazz de 2012 avec mon projet H2O. Cette fois-ci, avec Ablaye, on est venu différemment en essayant d’apporter notre contribution en organisant une scène OFF. C’était une manière pour nous de participer à la réussite de ce grand festival. Alors ce que j’en retiens et que j’ai ressenti aussi est très particulier. Parce que j’y ai eu de grandes et belles surprises. Je ne m’attendais pas à tant d’engouement du public. J’ai vu des gens qui sont venus tous les soirs pendant les 4 jours de concerts. Cela signifie beaucoup pour moi. C’est un projet qui accroche. Il est en train de faire son petit bonhomme de chemin et prend de l’envergure. Je pense qu’on ira plus loin avec le disque qu’on fera cette année. Ablaye et moi avons la même maison de production et les mêmes tourneurs qui s’occupent de nos dates. C’est un album que la maison de production a hâte d’avoir pour le mettre sur le marché international. Cela nous permettra de plus jouer partout dans le monde.

Au-delà d’Ablaye Cissoko, qui d’autres participent à ce projet ?

Il y a Moussa, un joueur de ‘’ngoni’’ (ndlr Xalam) qui vient du Mali et qui vit au Sénégal depuis un certain temps. Il y a un balafoniste qui vient d’intégrer le projet, qui s’appelle Djibril. Il vient du Burkina. Il y a aussi Tapha Cissé du ‘’Xalam’’ et le joueur de calebasse ‘’Ibou Lekette’’ qui est d’ici. Ousmane, un Guinéen qui joue de la flûte, y participe également. C’est un mélange qu’on a dans ‘’Cola Nut Café’’. On est en train de voir comment faire, éventuellement, pour enregistrer des disques. Après, on verra qui va jouer et avec qui continuer aussi.

Au Sénégal, on a de talentueux bassistes comme vous, Cheikh Ndoye, Doudou Bâ, etc. Mais pensez-vous pouvoir jouer le même  rôle que jouent les bassistes camerounais comme Richard Bona, Etienne Mbapé, etc ?

Ils sont en train de jouer un grand rôle. Il y a parmi nous beaucoup de bassistes qui évoluent avec de supers musiciens. Ils ont un niveau international et c’est cela le plus important.  Richard ou Etienne, ce sont nos aînés. Mais il y a des musiciens sénégalais à l’étranger qui se défendent bien, comme Samba Laobé qui est aux Etats-Unis ou Doudou Ba qui est aussi là-bas, et tant d’autres qui n’ont rien à envier à ces grands messieurs de la basse camerounaise. J’en suis très fier. Je leur dis souvent : n’oubliez pas que, où que vous soyez, vous représentez d’abord le Sénégal. C’est la même chose avec Cheikh. Ce sont mes amis déjà et quand on parle d’un Sénégalais, je veux que cela se fasse positivement. Avant, c’était difficile pour nous car il n’y avait presque personne sur le plan international. J’étais plutôt la référence. Aujourd’hui, quand on me parle des jeunes, cela me fait énormément plaisir.

Au Sénégal, les musiciens ont du mal à éclore sur la scène internationale. Ceux qui voyagent jouent plus pour la diaspora sénégalaise mais on ne voit pas de jeunes artistes émerger. A votre avis, c’est dû  à quoi ?

Moi, je pense que c’est dû au fait que  les gens sont restés dans la culture sénégalaise. C’est-à-dire dans la musique Mbalax qui, à mon avis, devait être plus ou moins épurée. C’est une musique qui est déjà assez compliquée pour certains Sénégalais. On doit la rendre beaucoup plus accessible. C’est un travail en amont que les gens devraient ainsi faire. Si on compare notre musique à celle des Maliens ou des Nigérians, on se rend compte que leurs musiques ont une certaine couleur contrairement à la nôtre. Elles peuvent être identifiées dès la première écoute.

Au Sénégal, on a ce problème-là. Et moi, ça a toujours été mon challenge et mon souhait de trouver cette couleur qui peut aller partout d’où l’expérience ‘’Cola Nut Café’’ justement. Pour moi, pour ce qu’on va composer, il faut tirer vers les couleurs.  Je travaille sur ce projet-là avec des instruments traditionnels qui vont, peut-être, donner une certaine dynamique et aider à avoir une musique qu’on peut jouer partout. Effectivement, c’est un grand problème. Quand je vais jouer à l’étranger, on me dit : Habib est sénégalais. Mais moi, je n’y joue pas la musique sénégalaise vraiment. Quand je vais jouer en Europe, c’est pour faire une autre musique. Cela me frustre. Je vois des groupes maliens qui tournent et je me dis pourquoi il n’y a pas de Sénégalais à part les ténors Youssou Ndour, Ismaël Lô, Baaba Maal. D’où le challenge de travailler avec Wally.

Je pense que Wally Seck a un très grand potentiel pour percer sur le plan international.  Il est pour moi  important de trouver  avec lui un concept qui  fait ressortir sa musique.

Donc, tout cela fait partie de mes projets que je veux exposer ici et réaliser rapidement.

Est-ce qu’on pourrait s’attendre à un concept Habib-Waly  comme il y en a eu avec You-Bib ?

Peut-être pas Habib-Wally parce qu’il n’est pas de ma génération. Youssou est mon aîné certes, mais nous sommes de la même génération et on a eu cette même fougue de jeunesse. Wally-Habib ne peut pas se faire parce qu’on n’a pas les mêmes expériences. Je peux plus lui apporter des choses que… (Il ne termine pas sa phrase). A ce niveau, il y a un conflit de générations pour établir une collaboration de ce genre. C’est peut-être plus les idées et l’expérience que  je vais lui apporter qui vont l’aider.

Qu’est-ce qui vous lie exactement à Wally Seck?

C’est d’abord une collaboration musicale. Nous tous sommes des artistes. Mais elle n’est pas que musicale. Il s’agit plus de coaching, de gestion de carrière de l’artiste et d’organisation même. Il a besoin de cela. Par la petite expérience que j’ai eue, je sais que mieux on s’organise, mieux les choses vont aller. Il n’y a pas de secret et c’est donc surtout ce côté-là qu’on va développer. On travaillera sur tout ce qui peut lui permettre d’aller de l’avant. Il faut que tous les Sénégalais l’encouragent et le soutiennent parce qu’il faut bien une relève. C’est très normal. Il ne faut pas que la musique meurt comme cela. Que l’on dise qu’il y avait tel ou tel artiste et s’en arrêter là. Il faut aussi quelqu’un qui porte le flambeau.

Quels sont les premiers correctifs à apporter ?

Là, je vais essayer de rester très professionnel. Ce n’est pas une critique mais c’est un point de vue que j’ai et qui est très personnel que d’autres peuvent ne pas partager. Je préfère le garder et on pourrait en discuter lui et moi, en interne. Mais ce ne sont pas des choses que je peux étaler comme ça sur la place publique.

Allez-vous jouer avec lui sur la scène de Bercy ?

Oui, je vais jouer quelques morceaux à Bercy.

Jimmy Mbaye et Habib Faye sur scène qu’est-ce que ça peut donner ? 

Ah ça ! C’est du feu han ! (Rires) Bon je pense que cela peut donner beaucoup de choses. Ils (ndlr Wally et Jimmy) m’ont invité la dernière fois au King Fahd Palace en pleine prestation. Il n’était pas prévu que je joue et je ne connaissais pas les morceaux aussi. On a joué et les gens se sont régalés. C’était avec Jimmy qui a été mon compagnon de longue date et un super musicien.

Un parfum de retrouvailles…

Oui, quelque part, c’est cela. Comme il l’a dit, il était un peu seul et quand il m’a vu, ça lui a fait beaucoup de bien et ça lui rappelle des choses.

Vous êtes issu d’une famille composée d’artistes talentueux. Pourquoi un orchestre de la famille Faye tarde à voir le jour ?

Moi, je fais partie des benjamins de la famille. Sur cette question que vous me posez, je rejoins mon frère Lamine qui a souvent dit que mon père ne voulait pas, de son vivant, qu’on se regroupe pour jouer. Je ne sais pas pourquoi il l’avait dit. Il y a certains, comme Lamine, qui pensent qu’on doit respecter cette volonté de mon père parce qu’il n’est plus là. Peut-être qu’il avait une autre compréhension ? Peut-être que lui faisait référence à une union au sein d’un groupe, de monter un orchestre et de jouer ensemble ? Mais après des années, je pense que entre cela et faire une production familiale, il y a une différence. Pour moi, il est possible de faire une production familiale. C’est sûr que cela va arriver. Vieux Mac me parle souvent de cela et je pense qu’il faut que chacun de nous essaie de trouver du temps pour qu’on puisse concocter quelque chose.

Vieux Mac a eu à organiser un hommage en l’honneur d’Adama Faye, mais il n’y avait pas beaucoup d’artistes et certains membres de la famille n’ont pas répondu présent non plus. A votre avis cela était dû à quoi ?

C’est peut-être dû au fait que beaucoup n’ont pas été informés à temps. Au Sénégal, les choses se passent bien quand l’information est donnée à temps. Cela a été un peu improvisé et c’est ce qui a causé certaines absences. Moi j’étais là-bas. Il ne manquait pour la famille Faye peut-être que Lamine et Moustapha qui étaient hors du pays. Pour les musiciens, beaucoup n’étaient pas au courant. La prochaine fois, on essaiera de communiquer avant l’évènement.

 

Avec Dakaractu

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