Egypte : accusé de terrorisme, Mohamed Aboutrika reste un footballeur de légende dans son pays

Egypte : accusé de terrorisme, Mohamed Aboutrika reste un football

« Merci aux hommes de l’Egypte. Vous avez été un modèle de combativité, d’esprit et de détermination. Rendez-vous à la Coupe du monde 2018, inch’allah. Nous sommes avec vous. » Le message de l’ancien attaquant Mohamed Aboutrika, publié juste après la défaite, le soir du dimanche 5 février, de l’Egypte (2-1) face au Cameroun en finale de la Coupe d’Afrique des Nations, a été retweeté par plus de 11 000 internautes et repris par tous les médias locaux.

Ce joueur, qui a pris sa retraite en 2013, est la légende du foot égyptien. S’il n’a pas foulé les pelouses du Gabon, pays organisateur de la CAN 2017, Mohamed Aboutrika a marqué cette compétition par ses exploits. Attaquant vedette du très populaire club cairote Al-Ahly, avec lequel il a remporté près d’une vingtaine de titres nationaux et africains, il a été l’auteur des buts victorieux lors des finales de la CAN en 2006 face à la Côte-d’Ivoire puis en 2008 contre le Cameroun.

Un grand frère ou un sage

Sur Twitter ou sur la chaîne qatarie BeIN Sports, où il a analysé de Doha les exploits des Pharaons, ses commentaires ont été systématiquement repris par la presse et les internautes, comme on le ferait pour les analyses d’un grand frère ou d’un sage.

La décision d’une juridiction pénale du Caire, au début de la CAN, de l’inscrire sur la liste des terroristes pour financement de la confrérie interdite des Frères musulmans, considérée depuis fin 2013 comme une organisation terroriste par le pouvoir égyptien, n’a pas suffi à ternir son image aux yeux du public. Au contraire, le footballeur a gagné en popularité, comme lorsqu’en mai 2015, ses avoirs avaient été gelés par un comité gouvernemental chargé de confisquer l’argent des membres des Frères musulmans, dont il a apporté publiquement le soutien et qui fait aujourd’hui l’objet d’une répression acharnée par le régime du président Abdel Fattah Al Sissi.

Le visage de Mohamed Aboutrika orne toujours les rues du Caire. Parmi les vedettes figurant dans la dernière campagne de promotion de la 4G de l’opérateur téléphonique Vodafone, il reste une valeur sûre pour attirer les consommateurs.

Elu à sept reprises meilleur joueur d’Egypte, l’attaquant a acquis une renommée internationale durant sa carrière entre 1997 et 2013, récoltant plusieurs distinctions dont le prix BBC du meilleur footballeur africain en 2008 ou encore celle du meilleur buteur de la Coupe du monde des clubs FIFA en 2006.

Même les plus ardents défenseurs de Sissi prennent sa défense

Le week-end dernier, Ahmed Moussa, présentateur de la chaîne Sada El Balad, qui est pourtant l’un des plus ardents défenseurs médiatiques du régime d’Al Sissi et dont les méthodes journalistiques sont régulièrement dénoncées par la presse d’opposition, n’a pas cessé de rappeler les faits de gloire du joueur par des paraboles dithyrambiques : « l’historique Aboutrika », « le fulgurant »

Repassant en boucle les images de son but en 2008, Ahmed Moussa a exulté à la manière d’un commentateur sportif : « Regardez d’où il vient ! Aboutrika le fulgurant arrive du bout du monde pour mettre le but et nous faire tous crier pour l’Egypte ! l’Egypte ! »

Si la décision des autorités judiciaires d’accuser le joueur a attisé la colère des contempteurs du régime d’Al Sissi, cette affaire a montré que l’aura de l’ancien attaquant dépasse les clivages politiques. Véritable vedette de CBC, l’une des chaînes de divertissement les plus regardées, la présentatrice pro-régime Lamiss El Hadidi s’insurge : « Avec tout mon respect pour la décision du tribunal, pourquoi Aboutrika serait-il un terroriste ? »

Les médias égyptiens n’ont pas non plus manqué de relayer l’hommage appuyé à ce que Mohamed Aboutrika appelle lui-même les « martyrs » du massacre du stade de Port Saïd. Le 1er février 2012, 72 supporters d’Al Ahly, le club où il a évolué de 2004 à 2013, ont été tués à l’issue d’un match, sous les yeux impassibles, voire complaisants selon certaines versions, des forces de l’ordre.

Cette année, les autorités ont interdit toute commémoration publique et une centaine de membres supposés des Ultras Ahlawy, réunissant des supporters engagés du club cairote, ont été arrêtés en janvier. Le même sort pourrait être réservé à Mohamed Aboutrika s’il remettait les pieds sur le sol égyptien.

A quelques mètres de la place Tahrir, hier soir, un jeune supporter déçu par la défaite de l’Egypte prévient : « Si cela devait arriver, on assisterait à une nouvelle révolution… » Le député Riad Abdel Sattar a déjà annoncé le 30 janvier qu’il soumettrait une déclaration urgente au premier ministre Chérif Ismaïl pour retirer le nom du joueur de la liste des terroristes.
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