L’ancien dirigeant irakien Saddam Hussein a été pendu le 30 décembre 2006, trois ans après l’invasion de son pays par l’armée américaine. Une décennie après cette exécution, l’Irak reste tourmenté par ses fractures politiques et confessionnelles. La publication récente de Debriefing the President apporte des détails inédits sur Saddam Hussein. L’ouvrage est signé d’un officier de la CIA ayant interrogé l’ex-président pendant sa détention.
La vidéo de mauvaise qualité, tournée au téléphone portable, est largement diffusée dans le monde entier, en ce 30 décembre 2006. On y découvre l’ancien dictateur irakien sur le gibet, la corde au cou, récitant la profession de foi des musulmans. En fond sonore, la séquence est ponctuée du prénom « Moqtada » scandé par plusieurs personnes qui assistent à l’exécution.
« Moqtada » comme Moqtada al-Sadr, ce chef politique chiite dont le beau-père fut exécuté par le régime de Saddam Hussein. La plupart des médias qui diffusent la vidéo choisissent de ne pas en montrer la dernière partie, celle de la pendaison elle-même. La scène, filmée clandestinement, ressemble davantage à une vengeance confessionnelle qu’à un acte de justice, ce qui embarrasse le nouveau pouvoir irakien.
Après 24 ans de pouvoir autoritaire et sanglant, Saddam Hussein a été chassé par l’intervention militaire américaine de mars 2003, voulue par l’administration de George W. Bush. Bagdad tombe dès le mois d’avril mais le dictateur renversé n’est capturé qu’au mois de décembre suivant. C’est un Saddam Hussein hirsute que les soldats américains extraient du réduit où il se terrait. « Nous l’avons [We got him] ! » s’exclame Paul Bremer, qui administre alors l’Irak occupé par l’armée américaine.
Condamné à mort pour « crime contre l’humanité »
Le long procès de Saddam Hussein se tient en plusieurs phases devant un tribunal spécial irakien. Sa condamnation à mort pour « crime contre l’humanité » est prononcée en novembre 2006 et confirmée le mois suivant, dans un procès que l’ONG de défense des droits de l’Homme Human Rights Watch qualifie de « foncièrement inéquitable ».
Plusieurs autres hauts responsables du régime de Saddam Hussein seront exécutés à la même période. Et c’est aussi un système qui est mis à mort puisque les États-Unis ont décidé de démanteler l’appareil d’Etat et l’armée pour faire table rase du passé. Cette « débaassification » – du nom de l’ex-parti unique, le Baas – écarte des milliers de fonctionnaires et de militaires irakiens.
Saddam Hussein appartenait à la minorité sunnite
Dix ans après l’exécution du dictateur, l’Irak lutte aujourd’hui pour retrouver son intégrité territoriale. L’offensive est en cours pour reprendre Mossoul, deuxième ville du pays, conquise en juin 2014 par les jihadistes du groupe État islamique (EI) qui y proclament leur « califat ».
La poussée de l’EI en Irak en 2014 s’est déroulée dans les régions sunnites d’Irak. Des provinces qui ont vu le sentiment d’exclusion et de marginalisation grandir au sein de la population, après la chute puis l’exécution de Saddam Hussein, lui-même musulman sunnite. L’invasion américaine de 2003 a en effet permis aux chiites irakiens – majoritaires – d’accéder au pouvoir à Bagdad. C’est en partie en s’appuyant sur la colère de la minorité sunnite que le groupe Etat islamique s’est installé en Irak, en recevant parfois le soutien d’anciens militaires ou cadres du régime de Saddam Hussein.
« Debriefing the president »
« Y avait-il un intérêt à chasser Saddam du pouvoir ? Je ne peux parler qu’en mon nom lorsque je dis que la réponse est non », écrit John Nixon dans Debriefing the President publié en 2016 aux Etats-Unis. Officier de la CIA à l’époque, John Nixon fut le premier agent des renseignements américains à identifier puis à interroger Saddam Hussein après sa capture en 2003. Dans son livre, il décrit un Saddam Hussein qui, dans les dernières années avant sa chute, ne dirigeait plus vraiment son pays, trop occupé à écrire des romans.
L’agent de la CIA brosse ainsi le surprenant portrait d’un dictateur irakien qui se voyait en allié naturel [des Etats-Unis] « dans la lutte contre l’extrémisme ». Un Saddam Hussein admettant son erreur de ne pas avoir montré que l’Irak s’était débarrassé depuis longtemps de ses armes de destruction massive. Des armes qui servirent de justification à l’invasion américaine de 2003.
« Je ne veux pas insinuer que Saddam était innocent, c’était un dictateur sans pitié qui a plongé la région dans le chaos et dans un bain de sang », écrit John Nixon qui déplore le coût que la chute de Saddam Hussein a représenté pour les Etats-Unis : plus de 4 000 soldats tués, des milliards de dollars engloutis dans la reconstruction et l’émergence du groupe Etat islamique. De leurs nombreux face-à-face, l’ancien agent de la CIA retient aussi ces mots prononcés par Saddam Hussein : « Vous allez échouer, vous découvrirez qu’il n’est pas si simple de gouverner l’Irak ».