Des scandales dans plusieurs villes du monde : Suez est-elle une multinationale de petite vertu ?

Le cri de cœur du Forum social sénégalais (FSS) à propos de l’attribution du marché de l’eau mérite d’être entendu par l’Etat du Sénégal. Le ministre de l’Hydraulique, en l’occurrence, devrait répondre clairement et apporter des réponses aux inquiétudes de cette organisation  de la société civile. Elle pose des questions bien censées et pertinentes  quant à la probité de  la multinationale Suez qui, est trempée dans plusieurs affaires de corruption dans le cadre de ses activités, notamment dans des villes européennes. La hausse des prix n’est pas à éviter dans le futur.

La multinationale française Suez, spécialisé dans le domaine de l’eau depuis des siècles n’est pas un exemple en matière de vertu. Dans beaucoup ville d’Europe et surtout en Espagne,où il a opéré,  à travers ses filiales, son nom est associé à des scandales de corruptions divers, de malversation lors de concession. Et des exemples, on en trouve à foison.  Dans son  passé  ne rassure guère.  Par contre, Si les conditions de l’attribution du marché de l’eau qu’elle vient d’obtenir au Sénégal, au nez et à la barbe de la SDE, sont transparentes et respectent les règle de la concurrence, on n’a pas à le lui reprocher. Si, en revanche, il y a des zones d’ombre, il faut mieux les éclairer.

Le Forum social Sénégal plaide pour une préférence nationale. C’est toujours préférable que ce soit des entreprises nationales qui gagnent les marchés dans un pays puisque ces entreprises participent, de facto,  à la création de richesses dans leurs pays et  vont faire investissements sur place. Par contre, les entreprises étrangères qui gagnent  les marchés rapatrient toujours les devises dans leurs pays d’origine. Seulement, étant dans une économie ouverte,  la concurrence s’impose. Il ne pas vouloir de la préférence nationale pour de la préférence nationale. Les appels d’offre sont lancés,  devrait permettre logiquement de  choisir le concurrent  qui offre le meilleur service en termes de rapport qualité-prix pour peu  que tout cela se passe dans la transparence. Si c’est dans telles conditions que  Suez a gagné le marché de l’eau, il n’y a absolument pas de quoi fouetter un  chat. C’est cette lisibilité qui fait défaut et agace certains.  En conséquence, si c’est par des procédés de corruption, de dessous de table dont Suez est accusé  dans d’autres villes du monde, et bien, la cause du Forum Social sénégalais  mérite  d’être entendu par tous.

Mamadou Mignane Social, le coordonnateur du Forum social Sénégalais,  a expliqué lors de sa conférence de presse  qu’après la première sélection qui a permis à la Sde, Veolia et Suez d’être qualifiées, la suite du processus  de recrutement n’aurait pas été transparent. C’est là le problème. Le ministre devrait éclairer la lanterne des Sénégalais sur ces allégations. «Il y a beaucoup de bruits sur des supposées promesses de donner le marché sur un plateau d’or à une multinationale, la firme Suez, connue pour ses scandales et ses manies de corruption pour obtenir des marchés dans la gestion de l’eau et de l’électricité dans le monde », estime Mamadou Mignane Diouf, le coordonnateur du Forum social Sénégalais. D’ailleurs,  les déclarations de Mignane Diouf sont vérifiables sur le peu de vertu dont  est accusé la multinationale à laquelle le Sénégal a déroulé le tapis rouge.

Le passé peu glorieux de Suez

La multinationale française a été mise en cause dans beaucoup d’affaire dans le monde, dont la France d’où elle est originaire. Un rapport de police  publié sur le site de Europen water Movement relatif à la gestion de l’eau  à Lourdes (France), visité par SeneNews a  révélé que « pendant des années, les services de l’assainissement et de la distribution de l’eau, confiés à Suez, ont été l’objet de surfacturations ». Le document précise surtout que la municipalité  a fermé les yeux sur ces écarts de l’entreprise.

«Dans un rapport publié en janvier 2017, la Cour régionale des comptes indique ainsi que, sur un lot de dix factures datées de 2013, trois ne correspondaient à aucune prestation », lit-on sur europeanwater.org. Des histoires comme celle-ci ne sont pas rares dans le parcours de Suez qui est loin d’être un enfant de chœur. Sa filiale espagnole Agbar (Agua de Barcelona) grâce à laquelle elle a pu pénétrer l’Amérique Latine est tout aussi impliquée dans  de vastes et sombres affaires de corruption en Espagne. Suez a surtout très  mauvaise presse  en  Catalogne. «Agbar, filiale espagnole de Suez, ainsi que ses filiales Aquagest et Sorea sont des acteurs centraux dans les affaires de corruption révélées ces dernières années par la presse espagnole dans les régions de Galice, Asturies et Catalogne», explique le site de European Water Movement.

Selon toujours la même source, en Galice (Nord-Ouest d’Espagne) la justice avait enquêté sur « un système généralisé de pots-de-vin, fausses factures, financement occulte de partis politiques, appelé ‘’Opération Pokemon’’, dans lequel est impliqué Aquagest aux côtéx de plus d’une centaine de maires, conseillers municipaux, fonctionnaires territoriaux et représentants de partis politiques ». Décidément, en termes de vertu, Suez n’est pas  une  multinationale fréquentable.  Des scandales, ses filiales espagnoles en ont trop fait en Catalogne.  C’était presque systémique dans les villes Catalanes où elles intervenait : Galice, Bacrelone, Valence. Mais aussi au delà. En dehors de la Galice, un système de corruption semblable à celui d’Aquagest avait aussi secoué la région  des Asturies où plusieurs dizaines de maires et conseillers municipaux ont été placés en garde à vue en 2015. Un an auparavant, c’était le maire de Torredembarra et ses conseillers municipaux que qui avaient été placés en garde à vue  pour « malversation, trafic d’influence et blanchiment de capitaux lors de la passation de marchés publics et de contrats de concession dont celui pour la gestion  de l’eau avec Sorea ».

En tout cas au pays de Cervantès,  Suez et ses filiales sont trempés dans trop de sales affaires qui ne la rendent pas crédible. Des accointances avec des politiques ont aussi été établies. Ainsi, au moment de l’attribution du contrat de concession de la gestion de l’eau de l’aire métropolitaine de Barcelone, le parti politique  Convergència Democràtica de Catalunya, alors  au pouvoir en Catalogne,  est soupçonné d’avoir reçu de l’argent des candidats à l’appel d’offres dont Agbar, filiale de Suez. Ce contrat attribué en 2013 à Agbar dans le cadre d’une société d’économie mixte a depuis été déclaré comme illégal pour non-respect des règles de la concurrence, nous explique-t-on. «La prescription de trois ans pour ces délits de corruption a empêché la condamnation des corrupteurs (dont en premier lieu Agbar) et des corrompus (Convergència Democràtica de Catalunya et diverses personnalités politiques) ».

D’autres affaires concernant d’autres villes comme Valencia, Oviedo ont  été mentionnées dans le document. L’ampleur des scandales est grande certainement parce que Suez opère en Espagne, notamment en Catalogne depuis 1867, à travers sa filiale Agua de Barcelona (Agbar). La Catalogne  représente d’ailleurs le point névralgique de la stratégie mondiale. C’est à partir de cette région espagnole que Suez a pénétré le marché latino-américain. Ce qui est sûr, en 2016 la municipalité de Barcelone a voté une motion pour la remunicipalisation de la gestion de l’eau avec pour objectif la baisse des prix de l’eau et l’augmentation des investissements. Que ce soit en Europe, en Asie (Phililippines), en Amérique Latine ou en Amérique du Nord, Suez est accablé d’affaires.

Ainsi, la ville d’Atlanta (Georgie,USA) qui avait  signé le  plus gros contrat de l’eau  avec Suez a dû rompre le contrat en janvier 2003  alors que ce dernier courait jusqu’en 2019. C’est suites aux plaintes des habitants de la ville portant sur la qualité du service et des interruptions de fourniture de l’eau. Conséquence, United Water,  la filiale de Suez dans cette ville  américaine a été mise dehors et la ville a repris la gestion municipale. A Santa Fe, en Argentine, Suez a été contraint de quitter  pour non-respect du contrat signé en 1995 pour la gestion de l’eau.

En Argentine, d’après le site de l’Association pour le contrat mondial de l’eau, c’est dès le début de la signature que Suez a augmenté les prix et lancé des négociations afin d’obtenir des crédits étrangers pour la construction d’infrastructures dans la province concernée. « Mais à aucun moment il n’a respecté les quatre objectifs qui avaient été présentés comme étant à la base du projet de privatisation : – accès aux services d’eau pour tous, – accès aux services sanitaires pour tous, – mise en place de compteurs d’eau – et traitements des déchets de première et de seconde classes», explique cette source .

A Manille, (Philippines), sous prétexte de compenser les pertes  dues au taux de change, Suez avait augmenté le prix de l’eau  Manille . Ainsi en 2002, le prix de l’eau  avait doublé . Finalement la filiale de Suez se retirera  en 2002, «laissant aux autorités philippines une énorme dette qui a finalement été couverte par le contribuable».

Suez a été l’une des actrices de la privatisation du secteur de l’eau  dans les années 90, accompagnées par des institutions de financement internationaux comme le FM et la Banque mondiale. Mais d’après Olivier Petitjean, auteur de  «L’eau, bien public ou bien privé : luttes locales et entreprises multinationales »  des contrats étaient plutôt favorables  aux multinationales qui pourtant ne les respectent même pas c du fait parfois des failles juridiques

Mais  pour Olivier Petitjean,  compte tenu de la nature de l’eau et de sa fourniture, un certain monopole ne se prête pas vraiment au jeu  de la concurrence. Pire la concurrence n’est jamais assez loin. Elle est même dans une certaine mesure soutenue par les pays de provenance de ces multinationales.  «La corruption est intense et endémique dans le secteur. La pression politique a souvent joué un rôle non négligeable dans la conclusion des marchés. Les ambassades de France ont ainsi consacré une énergie significative à s’assurer de l’obtention de marchés par Veolia ou Suez dans de nombreux pays, des Philippines à l’Argentine. Le directeur de Suez de l’époque, Jérôme Monod, a d’ailleurs poursuivi sa carrière comme conseiller de Jacques Chirac à l’Élysée. En conséquence, les contrats conclus demeuraient opaques, les appels d’offre étaient modifiés a posteriori pour justifier l’attribution du marché à telle ou telle multinationale», a dit Olivier Petijen sur partagedeseaux.info. Son propos fait référence au début des années 70, mais rien ne prouve que cela a particulièrement évolué.

Globalement, le secteur de l’eau reste un secteur où des affaires de corruption, de malversation sont fréquentes. Si Suez a été cité dans trop d’affaires,  on trouve aussi d’autres multinationales comme Veolia dans quelques affaires aussi.  Vu le passé de Suez,  l’Etat a tout intérêt à expliquer dans le détail  les conditions de l’obtention du contrat par Veolia puisque que  le passé peu glorieux de  de la société qu’évoque le Forum Social Sénégalais n’est pas une fiction.

Par Noël SAMBOU

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