C’était une interview accordée au journal Enquête en janvier 2016. Le défunt chroniqueur venait d’être élargi de prison pour actes et se livrait à des confidences. En voici quelques extraits…
Vous avez été incarcéré à deux reprises pour des faits d’homosexualité que vous niez. Quelle sera la nouvelle conduite de Tamsir Jupiter pour éviter une troisième interpellation ?
Je n’en aurais pas, parce que simplement, j’ai toujours considéré comme le dit Paolo Cohello : « Il arrive un moment que notre vie soit bouleversée par le destin et que notre existence soit orientée ». Je ne me sens coupable ni responsable d’aucun acte qui m’a été accusé. J’ai le défaut d’être un homme qui assume ses responsabilités. J’assume ce que je dis et ce que je fais. Si je me sentais responsable, pour une question de conscience, je l’aurais accepté, je l’aurais reconnu. Mais, je ne suis coupable d’aucun acte. Encore que la seconde accusation résulte d’une conspiration.
Pouvez-vous infirmer ou affirmer que vous avez des penchants homosexuels ?
Je trouve que c’est une accusation abominable, dégueulasse, inadmissible et impensable. On me l’a accusé et il y a une sorte de catalogue contre lequel je me bats. C’est inimaginable que je permette certaines choses, car je suis un citoyen sénégalais et musulman et c’est contraire à mes valeurs et principes religieux et sociaux. Nous sommes dans une société de civilisation orale où la parole crée des anges ou des monstres. Combien de personnes ont-elles victimes de toutes sortes d’accusations, comme la franc-maçonnerie, l’homosexualité. On n’y peut rien, c’est la société.
Après six mois d’emprisonnement pour des faits d’actes contre-nature, est-ce que Tamsir Jupiter Ndiaye peut-il toujours marcher la tête haute dans une société qui réprime l’homosexualité ?
Je peux marcher la tête haute en toute dignité, parce que je ne me reproche absolument rien du tout. J’ai été victime d’une conspiration et c’est avec cette épreuve que j’ai compris que la conspiration pouvait élire domicile dans des lieux insoupçonnés. C’est-à-dire la Police et la Justice. Tout ce qui a été dit, écrit et raconté est terriblement et honteusement faux. Voilà ce qui s’est passé. Nous étions au mois de ramadan, après avoir fait mon nafila, j’ai constaté plusieurs appels en absence d’un agent de la sécurité de proximité en service au commissariat de Dieuppeul. Comme je n’arrivais pas à le joindre à mon tour, j’ai décidé de me déplacer pour le rencontrer. En partant, j’ai pris mon véhicule qui a des problèmes techniques.
Arrivé à la station d’essence de Dieuppeul, je me suis arrêté pour recharger du gasoil. Quand j’ai avancé, j’ai constaté que mon moteur chauffait. Ce qui naturellement m’obligeait de m’arrêter pour qu’il se refroidisse. C’est en ce moment que j’ai constaté qu’un groupe de jeunes, trois personnes, étaient en train de bastonner un autre. Je suis intervenu pour leur demander d’arrêter. L’un d’eux m’a rétorqué qu’ils le frappaient parce qu’il avait leurs mille francs. C’est en ce moment qu’un autre jeune est venu participer à la bastonnade. Lorsque je l’ai interrogé, il m’a répondu qu’il ne les connaissait pas alors je lui ai demandé pourquoi il s’en mêlait et pourquoi il trainait jusqu’à 22h 30. Quand il m’a dit qu’il habite Niarry Tally, je lui ai proposé de le déposer jusqu’au Commissariat pour qu’il fasse le reste du chemin à pied. Arrivé à la mosquée, j’ai demandé au garçon de descendre du véhicule. C’est ainsi que je me suis rendu compte que l’autre groupe qui le frappait, poursuivait ma voiture qui roulait doucement à cause du moteur qui chauffait.
Ils m’ont encerclé et le jeune homme que j’avais transporté m’a demandé d’avancer, car mes poursuivants étaient des agresseurs. Ainsi, j’ai roulé à vive allure et arrivé à un certain niveau, j’ai vu un autre groupe de jeunes qui n’était pas concerné. Je lui ai demandé de descendre mais, il a refusé et je ne me rendais pas compte que celui que je voulais aider était un voleur. Je l’ai poussé et il s’est mis à crier : « Au voleur ! ». C’est ainsi qu’un autre groupe de jeunes parmi lesquels un qui, qui doit avoir 40 ans, m’a reconnu a prononcé mon nom en disant : « C’est le chroniqueur, le journaliste Tamsir Jupiter. C’est un imb… cette personne je la déteste ». Et c’est ainsi qu’ils m’ont pourchassé avec un véhicule 4X4. Je me suis faufilé dans les quartiers pour m’échapper d’eux. Ne sachant que faire, je me suis dirigé directement vers le commissariat de Dieuppeul.
« Je peux marcher la tête haute en toute dignité, parce que je ne me reproche absolument rien du tout »
Mais comment vous vous êtes retrouvé dans le violon, alors que vous cherchiez un refuge ?
A la police, j’ai remarqué que l’un de mes poursuivants a demandé le nom d’un agent et on lui a dit qu’il était absent. Alors, il s’est isolé avec le chef de poste pour lui parler. J’ai entendu une phrase : « C’est Tamsir Jupiter c’est un beau parleur. Il est intelligent, il ne faut pas l’écouter, sinon le coup ne vas pas marcher ». Et jusqu’au moment où je vous parle, l’agent de police ne m’a pas permis de m’exprimer. De guerre lasse, lorsque je me suis battu pour qu’on me donne mon téléphone portable, ne serait-ce que pour appeler ma femme et mon avocat, c’est en ce moment-là qu’ils ont fouillé le jeune homme et ont découvert mon portable. Immédiatement un agent lui a dit : « toi je te reconnais. Tu es un voleur ». C’est comme ça que nous avons été gardés à vue. Le lendemain, après l’échec des tractations de mes amis, le Commissaire m’a fait savoir que quelqu’un l’a appelé et qu’il ne pouvait pas me laisser partir. C’est ainsi que j’ai été déféré et accusé de détention d’arme à feu, de détournement de mineur, d’acte contre-nature, de conduite en état d’ébriété.
Quand nous étions à Rebeuss, ils ont attendu un peu tard dans la nuit pour extirper le jeune homme et l’amener au Fort B pour attester la thèse de la minorité. Il s’est trouvé en même temps, qu’il était un habitué de la prison. Mes avocats, que je remercie au passage, se sont rendu compte de sa majorité, mais aussi de la forfaiture articulée autour d’un acte de vol et d’agression. Ce qui a été choquant, le jour du procès, le juge m’a systématiquement interdit de m’exprimer en français, dans une République où la langue officielle est le français. Je lui ai expliqué que je suis beaucoup plus à l’aise avec le français. Il a refusé catégoriquement, en me disant : «le wolof ou je renvoie ». J’ai accepté sur invite de mon avocat, mais c’était extrêmement difficile, car il y a des concepts, des explications que je ne saurais faire qu’en français. Après verdict, j’ai été condamné à six mois ferme. Je m’attendais à plus, parce que si j’étais détenteur d’arme, si j’avais conduit en état d’ébriété et si j’avais commis des actes contre-nature, je ne serai pas retenu pour six mois. Mais ils l’ont fait et j’ai compris pourquoi.
Pourquoi alors six mois ?
Parce que ce qui s’est passé après. Un, les juges n’ayant pas pu prouver que j’ai commis un acte contre-nature mais que j’ai voulu sauver un jeune homme et que cela s’est retourné contre moi. Ils n’ont pas attesté que j’étais en état d’ébriété, car nous étions au mois de ramadan et il est inexplicable qu’entre un nafila et la préparation du jeûne du lendemain, que je me retrouve dans cette situation. Ensuite, je leur ai expliqué que j’ai vécu une expérience qui m’a détruit moralement, physiquement et perturbé. Le temps de reconstruire ma vie, il est inimaginable, impensable que j’ose commettre des mêmes faits. C’était une forfaiture et j’ai accepté le sort du destin, mais je ne me reproche absolument rien.
Mais ce n’est pas la première fois qu’on vous reproche des faits d’homosexualité : est-ce que ce n’est pas une coïncidence malheureuse ?
Mon drame, c’est d’avoir été une fois accusé. Naturellement avec ce jugement, on se dit, puisqu’on n’a pas une preuve contre telle accusation, on reconduit l’autre accusation qu’on avait formulée contre lui. Mais pour quelqu’un qui doit reconstruire sa vie, retrouver les rails de l’existence sociale, c’est inimaginable, impensable que je me permette certains actes. Encore que nous étions au mois de ramadan qui est un mois de repentir, de prières et de dévotion. C’est une forfaiture orchestrée et d’ailleurs, c’est par la suite que je me suis retrouvé avec des avocats qui, volontairement sont venus me défendre sans bourse déliée. Je les remercie du fond du cœur, car ils ont compris l’injustice qui s’accommodait de cette accusation.
Lors de votre première arrestation vous aviez également parlé de complot. Pourquoi cela retombe sur vous tout le temps ?
Comme je l’ai dit, peut-être que c’est le drame de mon nom. La première fois, c’était un chantage. Pour quelqu’un qui n’a jamais été dans cette situation, c’était une sorte de conte des fées. La seconde fois, je me suis laissé emporter par ma générosité, mon humanisme de vouloir intercéder dans une torture qu’on infligeait à une personne et cela s’est retourné contre moi, mais en aucune façon, je n’ose imaginer, pour des questions morales, sociales, éthiques et religieuses et pour des questions d’option et de choix, faire certaines choses.
« Je ne suis ni psychologiquement ni mentalement malade »
A l’époque, certains ont même soutenu que vous avez besoin d’une thérapie.
Je ne suis ni psychologiquement ni mentalement malade. Je rends grâce à Dieu. Ceux qui le disent, je les comprends. Je ne peux pas vivre ce que j’ai vécu avec autant d’épreuves et de peines en bénéficiant du soutien moral de beaucoup de personnalités et me permettre de me retrouver dans des situations pareilles. C’est impensable.
Votre femme vous a-t-elle quitté et comment elle et votre famille ont vécu ces affaires ?
J’ai été très surpris par cette rumeur. Mon épouse est une grande dame. Elle n’est pas seulement mon épouse, mais mon amie et ma confidente. Le soutien qu’elle m’a apporté, personne ne me l’apporté, ni même ma mère. C’est un couple privé. Nous menons une vie privée et soudée. Tout le reste ce sont des ragots.
Cette affaire, elle l’a vécu avec une grande dignité. Je l’ai connue depuis plus d’une dizaine d’années et elle sait ce dont je suis capable ou non. Elle me connaît dans son intimité et elle avait immédiatement compris. Je me souviens, la première chose qu’elle a eu à me dire en wolof : «sa xol bou woyaf dinala dougal thi louné » c’est-à-dire, tu es tellement généreux que cela se retourne contre toi. Ma famille également est une famille qui me connaît qui m’a beaucoup soutenu.
Etes-vous radié de l’enseignement ?
Il y a quelque chose qui relève des normes. Lorsque quelqu’un a des problèmes avec la justice et subit une condamnation supérieure à trois mois ferme, naturellement, il se retrouve en contradiction avec ce pour quoi il était recruté par la fonction publique. Mais même lorsque j’ai été fonctionnaire, ce n’est pas mon salaire qui me nourrissait.
Comment avez-vous vécu votre incarcération ?
Je l’ai vécu avec beaucoup de foi, parce que quand on perd la foi, on perd la voie. Cela a, au contraire, renforcé ma foi en Dieu. Cela a attisé mes croyances. Je suis quelqu’un qui moralement, psychologiquement est préparé à tous les bonheurs et à tous les malheurs et les bonheurs.