Leurs vies ont basculé à la faveur d’un post sur Facebook. Emprisonnés pour apologie du terrorisme, Ousseynou Diop et Saër Kébé, 24 ans, ont payé pour leur fougue et leur insouciance. Aujourd’hui libres après quatre ans passés derrière les barreaux, ils se refont et réapprennent à vivre. Loin de la stigmatisation. Avec le soutien des leurs.
MBOUR- SAER KEBE : «Comment la prison m’a changé»
Saër Kébé marche sans trop se presser. Sourire timide au coin des lèvres, lunettes de vue vissées sur le nez, le jeune homme, fourré dans une chemise rouge serpentée de petits pois sur un pantalon noir, respire la grande forme. A un jet de pierre du siège de la Rfm-Mbour, trône majestueusement son domicile familial au quartier Diamaguène 1. Un étage à un niveau encore inachevé. Dans la véranda, une dame déchire en petits morceaux une pile de cartons destinée à engraisser les moutons. A première vue, il est difficile de déterminer la confession confrérique des Kébé. Ici, des effigies de Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké côtoient aisément celles de Serigne Babacar Sy ou encore de Mame Cheikh Ibrahima Fall. Quand bien même, Saër Kébé précise qu’il est Tidiane. Le jeune homme qui pratique un Islam modéré et confrérique, est très loin de l’orthodoxie et du radicalisme religieux qui lui ont valu un séjour carcéral de 38 mois (3 ans et 2 mois) pour apologie du terrorisme. Nous sommes en 2015. Ce jour-là, alors qu’il préparait un exposé, il découvre sur Internet des images de femmes et d’enfants palestiniens sauvagement tués dans la Bande de Gaza par l’Armée israélienne. Choqué par autant de barbarie, Saër a vigoureusement dénoncé, sur la page Facebook de l’Ambassade des Usa, le soutien américain à Israël. Quelques jours plus tard, il est arrêté. A la surprise générale.
Candidat au Bac à 24 ans. Aujourd’hui, libre, Saër a le regard porté vers l’avenir. Après près de 4 ans loin des salles de cours, il veut décrocher son Baccalauréat. A 24 ans. Il l’aurait eu à 19 ans, mais la main de la Justice lui a refusé ce droit. Dès les premières semaines de sa détention, Me Assane Dioma Ndiaye, un de ses avocats, avait fait l’impossible pour que le juge d’instruction lui accorde une liberté provisoire afin qu’il passe le Baccalauréat. Le procureur de la République s’y oppose. En 2016, Saër, toujours en détention, se réinscrit pour faire le Baccalauréat. L’Office du Bac valide sa candidature. Mais c’était sans compter avec le maître des poursuites qui oppose un niet catégorique à sa demande de liberté provisoire. Face à un Procureur tenace, Saër Kébé finit par se résigner. Libre enfin en 2019, Saër se présente au Bac comme candidat individuel. Mais, face à l’impossibilité de se présenter comme candidat officiel, il est obligé de renoncer au Baccalauréat scientifique (S2) pour le Baccalauréat littéraire (L2). En chemin, Saër qui a beaucoup désappris, a vu son génie s’atrophier. Mais armé de sa farouche volonté de réussir, il se donne corps et âme et suit, à l’occasion, des cours de renforcement. En attendant…
Métamorphose. En prison, si Saër a pu tenir le coup, c’est grâce au soutien des membres de sa famille. Condamné à 3 mois avec sursis, le jeune homme rumine sa déception. «J’avais l’impression de vivre une injustice. J’ai été emprisonné à tort, tout juste pour avoir exprimé mon opinion en toute liberté. J’ai fait 4 ans en prison pour être, à la fin, condamné à 3 mois avec sursis. Ce sursis, c’est juste une peine d’avertissement pour que je sois plus prudent dans la vie. Je ne devais même pas faire un jour de prison», tranche-t-il. Découragé, il a fini par se relâcher en prison. Aujourd’hui, Saër revient de très loin. Même si sa famille et ses amis ont beaucoup joué pour sa réinsertion. Premier à lui tendre la perche, le Proviseur du Lycée Demba Diop de Mbour l’autorise à suivre les cours. «Mon premier jour de retour à l’école a coïncidé avec la cérémonie de lever des couleurs. Tous les regards étaient braqués sur moi. Les élèves et professeurs ont voulu me manifester leur solidarité. Je n’ai eu aucun problème d’intégration. J’y étais très à l’aise», signale-t-il. Des élans de solidarité et de générosité, Saër en a eu beaucoup. Et de toutes parts. Comme celui de Moustapha Guirassy, fondateur de l’Iam (Institut africain de management) qui lui a offert, avec l’appui de Me Moussa Sarr, une bourse d’études pour intégrer son établissement, s’il décroche son Baccalauréat. Abdoulaye Thomas Faye, son ami, le peint comme une personne bien éduquée et pieuse. Transformé par la prison, Saër Kébé participe à toutes les organisations associatives de la commune de Mbour. Des choses qu’il ne faisait pas auparavant. Il est à l’origine de beaucoup d’initiatives à travers les mouvements associatifs. Dernièrement, il a initié une journée de don de sang en faveur de l’hôpital de Mbour et une campagne de collecte d’habits et de produits phytosanitaires, entre autres, pour les détenus de la Maison d’arrêt et de correction de Mbour. Abdoulaye Thomas Faye : «J’avais pensé qu’il connaîtrait une réintégration difficile à sa sortie de prison, mais il a pu surmonter son incarcération. On lui avait même proposé de lui trouver un psychologue. Mais il n’en a pas voulu.» Un élan d’empathie qui ne laisse pas indifférent Saër. «J’étais très réservé, mais depuis que je suis sorti de prison, je suis devenu plus ouvert envers les autres. Partout où je passe, les gens me manifestent leur solidarité. Ils compatissent tous avec moi. Ce qui me va droit au cœur.» souffle-t-il, la gorge étreint par l’émotion, avant de recommander aux jeunes d’utiliser Internet de manière rationnelle en conformité avec les lois et les règlements de ce pays. Chat échaudé…
OUSSEYNOU DIOP : Destin brisé d’un crack
Vêtu du numéro 10 de l’Equipe nationale du Sénégal, Ousseynou Diop se terre dans sa chambre comme un guide religieux en réclusion. Ce casanier aurait bien aimé vivre l’épopée glorieuse de Sadio Mané dont il porte le maillot. Mais à 19 ans, son ascension universitaire a pris un sacré coup suite à son emprisonnement pour apologie au terrorisme. Aujourd’hui, perché sur ses 24 berges, Ousseynou mène une vie assez simple pour avoir tiré beaucoup de leçons de vie. Reclus dans son coin, il passe ses journées à chasser des informations sur le Net. Ses 4 ans de séjour carcéral ont fini par lui fermer toutes les portes. Elargi de prison le 22 janvier 2019, suite à une condamnation à 3 mois avec sursis, il se surprend à se mordre les lèvres pour ravaler sa peine. Dans la concession paternelle où il vit à Médina Fall, populeux quartier de Thiès, Ousseynou Diop peut passer des journées entières, cloîtré dans sa chambre. Brillant étudiant en Maths, Physique et Informatique à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, il a été interpellé et mis en prison en 2015 pour apologie du terrorisme. Il sera incarcéré à la prison de Rebeuss, Ousseynou y passera 4 longues années avant d’être jugé et condamné à une peine de 3 mois avec sursis. Un emprisonnement qui a été un frein à son ascension universitaire. Car dès sa sortie de prison, il se rend à l’Ucad pour voir s’il lui était encore possible de poursuivre ses études universitaires. Quand il récupère son relevé de notes, il est tout heureux de constater qu’il avait brillamment réussi à son examen de passage en deuxième année avec la mention «Assez bien». Mais sa joie sera de courte durée. Malgré ses bonnes notes, on lui signifie qu’il ne peut plus s’inscrire à la Fac. Motif ? Il est resté 4 années sans s’inscrire et n’a pas procédé à l’annulation de son inscription. Le moral dans les talons, Ousseynou abdique. A contrecœur. Il dit : «J’ai pris cela avec philosophie. Je suis un croyant, musulman pratiquant. Je n’avais vraiment pas à me plaindre de mon sort. J’ai connu des amis qui sont décédés, alors que j’étais en prison. Quand j’ai pensé à ces amis-là, je me suis dit que je dois remercier le Bon Dieu d’être en bonne santé et d’être encore sur cette terre», philosophe-t-il.
Sans ressources. N’empêche, Ousseynou Diop qui a le cœur aux études, tape à plusieurs portes d’établissements privés pour pouvoir faire une formation en Ingénierie. Mais ces écoles étaient bien en avance sur le programme pour avoir déjà bouclé le premier trimestre. A son mal, s’ajoutait sa grosse déception suite à des engagements non tenus de certaines autorités, du pouvoir comme de l’opposition, qui lui avaient promis leurs soutiens. Il se résolut à compter sur lui-même. Après des recherches effectuées sur le Net, il obtient une préinscription dans une Université canadienne. Toutefois, il se heurte à la barrière du parrainage. «L’Université m’a demandé d’engager la procédure pour le visa sous réserve d’avoir des garanties financières solides. Mon seul écueil, c’est de trouver quelqu’un pour me garantir la caution financière», note-t-il. Fils d’un vieux commerçant peu nanti, il n’a aucun parent pour l’appuyer. Aussi croise-t-il les doigts et prie pour rencontrer un mécène qui pourrait lui payer une formation, tout en gardant un œil sur les concours nationaux. Aujourd’hui, même s’il a un peu désappris en raison de sa longue incarcération, il lui arrive de donner un coup de mains aux jeunes de son quartier qui préparent le Baccalauréat et le Brevet de fin d’études moyennes (Bfem). «Plus par amour que pour l’argent», précise-t-il. Des jeunes qui sont très respectueux à son égard, comme la plupart de ses voisins de quartier avec qui, il a gardé les meilleurs rapports. D’ailleurs, ces derniers lui manifestent beaucoup de compassion. A chacun de ses passages, ce sont des salutations à tout-va. Certains l’encouragent à s’armer de courage et de patience, tandis que d’autres lui disent que c’est un acte de foi d’avoir défendu le Prophète Mouhamed (Psl). «Personne ne m’a jamais fait sentir que j’ai été en prison ou que j’ai été accusé de terrorisme. Ils sont vraiment compatissants. Ils me réconfortent en me disant que c’est la volonté divine. D’ailleurs, ils ne comprennent pas pourquoi je n’ai gardé aucune rancune contre l’Etat du Sénégal après ma sortie de prison. Ils sont surpris de me voir converser avec d’autres, de sourire. Il faut que les gens comprennent que la prison n’est pas uniquement réservée aux malfaiteurs», confie-t-il.
Un illuminé ? Une certaine presse avait vite fait de lui tailler les habits d’un illuminé dangereux. «Ouzin», de son petit nom, se surprend à en rire. «J’ai été surpris d’avoir lu dans la presse que j’étais devenu fou. En vérité, je pensais trop à mes études. Je n’arrivais plus à dormir. Je restais des semaines sans fermer l’œil de la nuit. J’avais de terribles insomnies. Les gardes pénitentiaires qui faisaient des rondes, ont fait la remarque à l’infirmier. Je passais mes nuits à jouer au scrabble. Ils m’ont fait interner à l’hôpital psychiatrique de Fann pour qu’on me fasse des injections pour dormir. J’y ai été interné pendant 15 jours. La fête de la Tabaski m’y a trouvé. Certes, j’avais des problèmes de sommeil, mais je n’étais pas fou», se défend-il. Quand bien même, certains de ses amis gardent toujours cette image de lui. «Quand je discute avec eux, ils me disent souvent que mon esprit végète. Au fond de moi, je sais que je jouis de toutes mes facultés mentales», dira-t-il. Malgré tout, ses relations sont restées intactes avec ses camarades. Fatou Diop, sa tante, n’est pas avare en superlatifs pour célébrer la bonne éducation de «son fils». «Nous l’assistons comme tout parent accompagne son enfant en de pareilles circonstances. Nous faisons tout pour qu’il ne manque de rien. Il a vécu une épreuve très difficile. Mais cela n’arrive qu’aux croyants. Ousseynou est un garçon pieux, bien éduqué», témoigne-t-elle. Un éloquent témoignage qui renseigne à suffisance sur la bonne réputation du garçon qui n’attend qu’un appui pour reprendre le chemin des classes et voler, enfin, de ses propres ailes.
IGFM