Covid-19 et Migration: Les Modou-Modou a l’épreuve de la stigmatisation

Doctorant en sociologie, Aboubacar Sadikh le spécialiste en migration et population a fait une étude approfondie sur la logique migratoire en contexte de crise. Dans sa recherche, le sociologue au laboratoire Germ a parcouru de manière parcellaire le comportement des sénégalais face aux émigrés communément appelés Modou-Modou qu’ils disent être des vecteurs du Coronavirus.
Le Sénégal traverse aujourd’hui l’un des moments les plus tragiques de son histoire. Avec l’avènement du Covd-19, une crise sanitaire mondiale est au rendez-vous avec la stagnation de plusieurs secteurs à savoir le secteur politique, économique, sportive et même religieux.
Le Sénégal n’est pas en reste de ces crises qui secouent le monde mais s’efforce qu’à même à combattre cette pandémie par la prise de mesures rigoureuses, le « contrôle sanitaire » de la part des autorités étatiques et sanitaires. Faisant partit des pays les moins touchés, le Sénégal constitue aujourd’hui un « bunker » pour les uns et un espace de refuge pour les autres occasionnant ainsi une propagation rapide de cette pandémie qu’on semblait bien maitriser au départ. Ainsi, des logiques migratoires viennent dès lors s’insérer dans la crise sanitaire actuelle.  En outre, la question migratoire revêt aujourd’hui un nombre d’enjeux considérables pour les Etats du Nord et du Sud.
La flambée de peste en Inde dans le Surat en 1995 avait favorisé la fuite hors de la ville d’un demi-million de personnes. De même l’épidémie de SRAS en 2003, qui a pratiquement occasionné le déplacement d’un million de personnes de Beijing en direction de leurs pays originaires. Dans ces deux exemples, le constat révèle que les personnes ont tendance à rentrer dans leurs villes d’origine pour ensuite retourner en ville une fois la crise passée.
Donc l’arrivée des émigrés dans une part peut ne pas être conçue comme une fuite mais un phénomène naturel qui se perpétue dans des moments de crise. Une acceptation de ce phénomène de mobilité est à entreprendre par les populations au lieu d’une stigmatisation. Une réflexion commune est à envisagée en essayant de comprendre les causes efficientes de l’arrivée des émigrés afin d’améliorer les armes de lutte avec cette pandémie. C’est dans ce sens que le professeur Aly TANDAIN dans son article COVID-19 et migration : des mots et des maux le suggère à travers ces mots :
« Le COVID 19 nous invite à nous pencher sur les effets des discours des réseaux sociaux sur les migrations et sur la stigmatisation des émigrés comme réponse de certaines compatriotes. Il devrait nous permettre également de nous interroger sur les conditions de vie des émigrés et leurs défis professionnels, sur la vie des émigrés à l’épreuve de la crise sanitaire, sur les enjeux sanitaires et sécuritaires, etc. »
En effet, les crises sanitaires sont spécifiques dans la mesure où les communautés et les individus concernés ont eux-mêmes la possibilité d’en amoindrir les effets et de gérer la crise avec la plus grande efficacité. Et cette possibilité de gestion d’une crise sanitaire est facilitée si les communautés commencent d’abord par accepter et comprendre la physionomie des maladies infectieuses, de leurs vecteurs et de leurs modes de transmission. Mais aussi se baser sur des moyens scientifiquement prouvés pour contenir leur propagation.
Dans une autre perspective, les migrations volontaires sont à éviter dans des pareilles situations de crise. La stigmatisation est loin d’être une solution mais aussi la fuite comme réponse à la crise fait partie des constituant d’une menace de sécurité nationale. Les mesures de sécurité et de prévention qui sont prises de manière individuelle et collective peuvent participer à la réduction des risques de contamination. C’est également une alternative face à la fuite, ce qui peut expliquer pourquoi les habitants décident de rester dans une zone dans laquelle se produit une crise sanitaire.
La fuite et la stigmatisation ne sont pas des réponses à une crise sanitaire mais c’est l’acceptation de la crise et le respect des mesures et prédispositions individuelles et collectives qui constituent les réponses exactes à une situation de crise.
C’est dans cette optique que des efforts considérables se montrent à travers les réseaux sociaux et les émissions télé comme le célèbre et répandu hashtag#Restez_chez_vous_et_sauvez_des_vies.
Des téléthons pour la collecte de fonds sont aussi entrepris afin de participer au Force-Covid-19 [3].
Les artistes qui se mobilisent au niveau des studios pour des tubes de sensibilisation et de prévention sur cette crise sanitaire. Le gouvernement sénégalais qui s’efforce de maitriser la situation en essayant de trouver un système adapté à nos réalités sociétales.
C’est dans ce sens que l’opération « couvre-feu de 20h à 6h » est ordonnée par le chef de l’Etat. Un discours de la nation, le 03 Avril, veille de la fête de l’indépendance est exclusivement consacré à cette situation de crise. L’interdiction des mobilités inter-régionaux ainsi que les rassemblements au niveau des espaces favorisant les rencontres sont aussi réduits occasionnant même la fermeture des établissements scolaires. Toutes ces mesures entrent dans le cadre de lutte contre le covid-19.
C’est toujours dans le cadre de cette lutte que le pays s’est isolé depuis le 20 mars à minuit avec tous ses vols internationaux suspendus, tandis que la délivrance des autorisations spéciales de circuler sur l’étendue du territoire national a été interdite jusqu’à nouvel ordre, sur fond de l’état d’urgence et du couvre-feu, reconduits jusqu’au 4 mai.
Mais avec toutes ces dispositions, des mesures d’accompagnements sont envisagées pour pallier à cette situation. Ainsi, l’aide alimentaire à partir du Force-Covid-19 mais aussi une projection de fonds pour les secteurs les plus touchés sont programmées par l’Etat.
Et enfin les confréries qui n’ont pas hésités à suspendre tous évènements susceptibles de causer un rassemblement à savoir « Ziaras » [5], « Magal » [6]. Les chrétiens ne sont pas en reste dans ce combat avec la célébration de la fête de Pâques avec la plus grande simplicité. Des sensibilisations dont les autorités religieuses font montrer une très grande influence des leaderships symboliques car parvenant à la fois à éveiller et à assurer la population dans cette situation de crise sanitaire.
L’heure d’un appel d’urgence à tous les sénégalais s’impose, les incitant à se doter d’un volontariat extrême pour combattre cette crise. Un volontariat allant dans le sens d’épauler et d’accompagner les mesures étatiques.
En 2003, l’épidémie de SRAS la ville de Toronto au Canada qui a enregistré la plus grosse flambée de SRAS en dehors de l’Asie, avait mis en place une stratégie volontaire et très largement suivie de dix jours de mise en quarantaine à domicile pour toutes les personnes qui avaient été en frôlement ou contact ajusté avec un cas avéré. Au total 23 103 individus ont été confinés de cette façon alors que seulement 27 d’entre eux avaient fait l’objet d’un ordre d’isolation légalement exécutoire.
Cette stratégie volontaire qui est actuellement notoire chez certains doit être une affaire de tout un chacun. La stratégie volontaire consiste au respect des mesures sanitaires et administratives, la non-diffusion des informations obsolètes et l’anticipation de mesures allant dans le sens de mieux-faire et de parfaire notre situation actuelle.
Avec toutes les dispositions prises par nos autorités étatiques, on a constaté une arrivée continuelle de émigrés quittant les zones fortement touchées pour rejoindre les zones les moins atteintes. Le Sénégal en particulier constitue pour certains un « Bunker » [4] pour se protéger du covid-19. Pour rappel, le premier cas du Sénégal a été importé. Le 02 Mars 2020, le Sénégal a signalé son premier cas de COVID-19, le patient était un ressortissant français et un résident du Sénégal qui est rentré à Dakar le 26 février.
Aujourd’hui presque 90% des cas confirmés sont des cas importés alors que dans la date du 02 Mars le Sénégal avait seulement un cas importé. Dès lors, quels sont les logiques et dynamiques migratoires qui entrent en jeu avec ce phénomène ?
Les migrations à travers les frontières pour cause de crise sanitaire sont plus rares mais ce système de déplacement est réactivé par les migrants pour contourner les mesures établies par les autorités étatiques. Pour fuir à la crise communautaire, les individus font usage des voies illégales dans l’optique d’être à l’abri de la pandémie.
Et ces résultats sont collectés à partie d’entretiens effectués en ligne auprès des personnes qui sont actuellement en Italie, France et Espagne mais aussi auprès de six (6) migrants qui sont arrivés au Sénégal pendant la crise. Mais aussi des entretiens avec les sénégalais concernant leur perception sur les nouveaux arrivés.
Ce phénomène peut entrer dans le champ des paradoxes migratoires dans la mesure où l’usage des voies illégales est entreprise par les migrants réguliers légaux.
On voit que la migration en tant de crise sanitaire, revêt des casquettes diverses matérialisées par une ingéniosité notoire des individus dans le but d’atteindre un objectif bien défini. Mais une question se pose, n’existe-t-il pas de faille au niveau des frontières ? Des enquêtés révèlent que des frais ont étés donnés aux gardes dans des frontières représentant « un laisser-passer » et c’est le même système qui se répétait tout au long du trajet. D’après les entretiens, les contrôles deviennent plus stricts une fois sur les zones frontalières avec le Sénégal, en particulier la Mauritanie.
En mi-mars, vingt-deux (22) Sénégalais dont sept (7) venus d’Espagne, cinq (5) de la France, trois (3) du Maroc, et sept (7) qui avaient déjà traversé la Mauritanie vers la Maroc refoulés aux portes du royaume Chérifien. Ces émigrés ont effectué plusieurs jours dans le désert suite aux mesures prises par les autorités mauritaniennes de fermer les frontières pour éviter la propagation du virus. Ils ont été transportés à bord de neuf (9) véhicules escortés par la Douane et la Gendarmerie mauritaniennes en direction de Nouadhibou, au Nord de la Mauritanie.
En actualisant la migration en ce temps de crise, nous en déduisons que la migration de retour est entreprise comme une stratégie de survie et de résilience et pas pour des raisons économiques ou administratives. Pour cela, les pays africains sont les principaux espaces de survies ciblés.
Dans la période du 17 Mars, six (6) « modous-modous » interrogés à Kaolack par les autorités administratives affirment avoir passés par Burkina Fasso pour rejoindre le Sénégal.  Les routes migratoires par voie terrestre concernaient en temps normal l’itinéraire suivant : Espagne-Italie-Maroc-Mauritanie-Sénégal. Mais aujourd’hui avec le contexte de la crise, de nouveaux itinéraires se réactivent et constituent des voies de contournement pour les émigrés. Les migrants à partir du Maroc prennent la direction du Mali au lieu de la Mauritanie afin de jauger de la perméabilité des frontières. Des systèmes stratégiques sont engagés par ces personnes en mobilité dans le seul optique de rentrer dans leur zone de confort. Le déploiement de stratégie de survie est dans le programme du migrant en temps de crise.  (Aly TANDIAN « le migrant évolue en fonction des stratégies. »)
Même avec la fermeture des frontières, les mobilités vont toujours s’accentuer car la panique collective s’est déjà installée dans la psychologie de ces migrants. Récemment, dix (10) Bissau-guinéens qui voulaient rejoindre leur pays d’origine ont été interceptés à Ziguinchor.
Pour pallier à ce fléau, une communication rassurante et convaincante mais aussi une diffusion ciblée est à entreprendre par les autorités étatiques et les entités en activité au niveau de la Diaspora. Car avec la mondialisation et la structure de l’espace, les frontières sont dans une impossibilité d’être absolument hermétiques.
Les mesures de sécurité devenue très strictes et rigoureuses est le seul facteur qui pousse les migrants à schématiser des routes beaucoup plus discrètes pour rejoindre leurs pays d’origine. Mais ces mesures doivent aussi être épauler par des dispositions psycho-sociales visant à rassurer et à conscientiser ces derniers de se rendre compte de la situation logistique du Sénégal qui sera dans l’incapacité de maitriser la deuxième ou troisième phase de la pandémie.
Aboubacar Sadikh Ba, Dictorant en Sociologie, Chercheur au Laboratoire Germ, Spécialiste en migration et Population

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