Covid-19 au Sénégal : Les raisons de la peur du confinement.

Il était 20 h 10 le lundi 23 mars 2020, quand le président de la République du Sénégal, Macky Sall, s’adressait à la Nation en annonçant la mise en place de l’état d’urgence et d’un couvre-feu de 20 heures à 6 heures du matin sur l’étendue du territoire national pour lutter contre l’épidémie liée au COVID-19. 

Bien évidement, conformément à la loi sur l’état d’urgence, ces mesures donneront en particulier aux autorités administratives compétentes le pouvoir d’interdire, entre autres, les rassemblements, la circulation des personnes entre les régions. À la différence des pays européens comme la France qui a, de son côté,  adopté le confinement pour faire face à la diffusion du virus, le Sénégal a fait un choix moins restrictif, le couvre-feu l’état d’urgence.

Ainsi, il faudra trouver des éléments de réponse en analysant à quel point la fragilité des activités de commerce des femmes par un confinement pourrait fragiliser le socle des ménages. 

Dans cette analyse consistant à donner les « possibles raisons » qui poussent, dans ce contexte sanitaire où nous sommes, à penser que cette peur du confinenement est bien fondée, Malick Mboup, doctorant en première année de géographie dans le domaine recherche, a donné son avis sur la question du confinement compte tenu de sa cohabitation avec les petits commerces de proximité et son impact sur le développement des bassins de production agricoles.

Le Sénégal : une structure économique dominée par son caractère informel

Le secteur informel occupe une place cruciale dans les économies des espaces urbains sénégalais, dakarois en particulier. Cette situation, très répandue dans les grandes villes du pays représente à elle seule plus d’un tiers des unités de production informelle. Cette prolifération du commerce informel s’explique par plusieurs facteurs qui sont fortement liés à la situation socio-économique très précaire du pays, en particulier dans les campagnes où les conditions de production agricoles se dégradent du jour au lendemain à cause des aléas climatiques, de la faiblesse des moyens de production et de l’absence de débouchés pour les producteurs d’écouler leurs récoltes, tout en étant bien rémunérés. En plus, s’ajoute l’absence d’emplois dans ces zones désertées par les entreprises. 

Le commerce informel : une activité de reconversion pour les femmes

  Les femmes, plus exposées à la pauvreté (24,1% contre 6,2% pour les hommes, selon l’enquête nationale sur l’Emploi au Sénégal réalisée en 2018 par l’ANSD), en raison notamment de leur faible taux d’alphabétisation (19% contre 51% pour les hommes), jouent un rôle très important dans les ménages. « Comme je pourrais bien le montrer,  ces femmes rencontrées lors de mes travaux de terrain (entre juin et Août 2019) choisissent ce secteur pour une raison fondamentale : il demande peu de moyen financier, d’expérience et de formation, le climat économique et politique des collectivités locales est favorable car les marchés et ses étals représentent des sources de financement pour ces collectivités locales » précise le géographe. C’est le seul moyen de gagner sa vie, en gérant l’argent frais qui transite de main en main, hors de toute fiscalité. Dès lors, il devient une activité de reconversion pour des jeunes femmes venant souvent des territoires agricoles (Diourbel, Kaolack et Fouta, etc.). 

Les femmes dans la vie familiale : du statut de ménagère à un agent économique ?

« J’ai perdu mon mari, j’ai trois enfants, la plus petite est à l’école, la plus grande vient m’aider et rentre à midi pour préparer le déjeuner après avoir fait les courses avec les bénéfices que j’ai eus dans la journée. En plus, je dois lui payer les fournitures, donner les frais de transport et le petit déjeuner de celui qui est à l’école. Dans cette situation, avoir affaire aux banques, c’est me mettre en difficulté vu qu’avec la situation du marché, je peux gagner moins de 500f, 1000f ou 2000 (1 à 4 euros) par jour». 

Comme en témoigne cette déclaration d’une femme rencontrée dans le marché de « Sandica » à Pikine (Dakar), les femmes assurent des fonctions importantes pour le bien-être de la famille. Elles assurent et veillent à la santé et à l’éducation des enfants. Les faits socio-économiques sont différents selon les milieux et les époques et les femmes n’ont pas toujours eu les mêmes responsabilités au sein de l’organisation de la vie familiale. Avec la déperdition des moyens de subsistance dans les ménages, le statut de la femme au sein de la famille change. Les hommes jusqu’alors détenteurs du pouvoir économique se voient dans le besoin d’être appuyés dans leur rôle de garant de la survie pour la famille. Autrement dit, l’organisation sociale autour de la résilience a évolué : l’affectation des tâches traditionnelles du ménage change et responsabilise davantage la femme dans la sécurité alimentaire et la création de revenus. Par conséquent, la tradition de l’homme ayant la charge de nourrir les membres du ménage commence à être désuète, et les femmes se voient de plus en plus dans l’obligation de chercher des activités génératrices de revenus pour subvenir aux besoins de leur famille : dépenses d’alimentation, d’éducation, de santé, de loisirs des enfants, etc.

Pourquoi le couvre-feu et l’état d’urgence à la place du confinement ?

 Dans les capitales économiques des villes ouest-africaines, le secteur de l’informel est certes très difficile à mesurer, mais son importance est indéniable : il représenterait près de 55 % du produit intérieur brut cumulé de l’Afrique subsaharienne selon la Banque Africaine de Développement. Il occupe une place très importante dans la vie économique des territoires mais aussi des populations, en particulier les couches sociales les plus exposées à la pauvreté : les nouveaux ou les nouvelles arrivées des campagnes, les jeunes et les femmes au chômage et sans aucune qualification professionnelle. Au Sénégal, les activités économiques informelles des femmes représentent une source de revenu vital pour le fonctionnement des ménages. Du fait de leur forte présence dans ce secteur, elles seront  les plus vulnérables aux effets d’un confinement : leurs moyens de subsistance et de satisfaction de leurs besoins économiques seront affectés. Et ces pertes de revenus auront des conséquences dramatiques au sein des ménages. C’est ainsi que le gouvernement a décidé de créer un fonds de solidarité doté de 1000 milliards de FCFA (1. 524. 506. 441 euros). Ce Fonds, dénommé « force-covid-19 », alimenté par l’Etat et toutes les bonnes volontés, serviront entre autres, à accompagner ces ménages. Une belle initiative qui doit se faire dans l’équité et la transparence. Cette crise met, certes, à genoux nos économies et secoue nos services sanitaires, mais elle fait apparaître deux aspects fondamentaux de la gouvernance : les priorités en matière d’investissement et les limites de toutes les formes de dépendance (alimentaire, économique, etc.). 

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