Coup d’Etat : La CEDEAO « punit » le Mali, le Sénégal va en souffrir

Un embargo économique et commercial contre Bamako risque d’asphyxier la population malienne. Mais le Sénégal aussi, sera un des grands perdants, du fait du poids que représente le Mali sur les activités du port de Dakar.

Sitôt le coup d’Etat effectif au Mali, que la Cedeao a décidé de sanctions fermes contre Bamako. En plus d’une possible intervention militaire pour rétablir l’ordre constitutionnel, l’organisation régionale compte mettre le Mali sous embargo. Plus d’échanges économiques ou commerciaux avec le pays, tant que les putschistes ne rendront pas le pouvoir.

Une réaction inopportune, aux yeux de Mamadou Abdoulaye Mbengue, expert de la Cedeao sur les questions de migration, par ailleurs Secrétaire exécutif d’Enda Diapol. «La décision a été prise dans la précipitation et l’émotion. La Cedeao est allée trop vite en besogne. Une telle mesure risque d’asphyxier le Mali et ajouter aux difficultés de la population», s’inquiète-t-il.

D’après Mbengue, une crise économique qui viendrait s’ajouter à celle politique risque d’être fatale à la population. Il appelle donc l’organisation sous-régionale à prendre en compte l’épanouissement des Maliens.

Par ailleurs, le Mali pourrait ne pas être le seul à en pâtir. Le Sénégal aussi devrait durement ressentir les contrecoups d’une telle mesure.

En effet, le flux de marchandises maliennes qui passent par le Sénégal est énorme. Bamako est un partenaire stratégique du Port autonome de Dakar (Pad). «Le trafic du Mali représente 17 à 18 % du trafic du port de Dakar», révèle le directeur général du Pad Aboubacar Sadikh Bèye, dans le numéro 23 (nov-dec 2018) de «Tam-Tam du Docker», bimestriel du port.

D’après les statistiques du Port autonome de Dakar, le trafic avec le Mali a été multiplié par 10, en l’espace de 10 ans. «Quand tu prends les statistiques de 2002, on était à 500 000 tonnes. Aujourd’hui, on en est à 3 500 000 tonnes», affirme le directeur général des Entrepôts maliens au Sénégal, Fousseynou Soumano, dans ce même journal d’entreprise.

En fait, le Sénégal concentre 65 à 70 % des imports et exports maliens. Cela donne un trafic entre 400 à 500 camions par jour.

Augmentation de la croissante depuis 10 ans

Cette importance stratégique fait que ce pays voisin a droit à beaucoup d’avantages au port de Dakar. «Une zone dédiée spécialement au Mali au môle 3 d’une superficie de 2 350 m2 de magasins couverts, 17 000 m2 de terre-pleins et 50 000 m2 à Bel Air abritant les Entrepôts maliens au Sénégal», rappelait, en 2014, l’ancien DG du Pad Cheikh Kanté. Il y a aussi des tarifs exceptionnels tels que l’abattement de 10 % pour la location de hangars et 50 % sur les redevances maritimes.

Malgré tout, les opérateurs maliens se sentent encore à l’étroit. Depuis quelques années, ils demandent à avoir une extension. «Aujourd’hui, avec les pics que nous avons, il est pratiquement impossible de continuer les activités du Mali au niveau de la zone active du port. Là-dessus, nous avons proposé à ce qu’il y ait une zone neutre en dehors de Dakar, d’un commun accord avec les autorités portuaires et douanières», rappelait Soumano.

C’est dire donc l’importance du Sénégal par rapport aux imports-exports du Mali. D’après l’économiste Malick Sané, cela s’explique par deux raisons. D’abord, la position privilégiée de Dakar. «Le Sénégal est un pays largement ouvert sur l’économie mondiale ; ce qui se traduit par l’importance de ses transactions commerciales internationales, aussi bien du point de vue des exportations que du point de vue de ses importations».

Ensuite, l’enclavement dont est victime Bamako. «Le Mali, voisin immédiat du Sénégal, n’a pas de frontière maritime et reçoit une bonne part des exportations sénégalaises», relève-t-il.

Ainsi donc, le port de Dakar pourrait souffrir d’un embargo contre le Mali. Il se pose alors la question de savoir si Dakar a intérêt à laisser la Cedeao décider de sanctions économiques contre Bamako.

Obligé de se conformer aux décisions de la Cedeao

D’après Malick Sané, le Sénégal doit tout faire pour que le Mali ne soit pas déstabilisé du fait des interconnexions. «Etant donné l’importance des relations commerciales entre les deux pays, toute crise prolongée dans l’un des deux pays aura des répercussions dommageables dans le pays voisin, aussi bien dans le secteur formel que dans le secteur informel, avec le commerce transfrontalier», prévient Sané.

En effet, autant le Mali importe du ciment, des produits pétroliers finis, des produits alimentaires, des produits chimiques et des produits manufacturés, autant le Sénégal importe de Bamako du bétail, des tissus et autres produits agricoles, rappelle l’économiste.

Seulement, ajoute-t-il, Dakar étant dans une organisation régionale, il ne peut pas passer outre les mesures prises. «Il doit exécuter les décisions de la Cedeao pour ne pas affaiblir une institution phare de la région», recommande-t-il.

Même point de vue de la part de Mamadou Abdoulaye Mbengue, selon qui l’Etat du Sénégal est obligé de s’accommoder des décisions prises, même si c’est contraire à ses intérêts immédiats. Il suggère ainsi au Sénégal de parler à l’entité régionale afin d’éviter que le blocus économique soit maintenu.

Par : Babacar WILLANE

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