Compagnonnage Amadou Bâ, Abdoulaye Daouda Diallo et Abdoulaye Diouf Sarr : Ces « amis » qui se tiennent sous haute surveillance

Amadou Bâ, Abdoulaye Daouda Diallo
Amadou Bâ, Abdoulaye Daouda Diallo

L’unité affichée par Abdoulaye Daouda Diallo et Abdoulaye Diouf Sarr autour d’Amadou Bâ, est-elle sincère ? C’est l’une des questions que nous avons posées à Momar Diongue et Bacary Domingo Mané. D’après le journal « Point Actu », tous les deux estiment que c’est une unité de façade. Et que la grande inconnue reste l’attitude des militants, qui pourraient trouver par là, le moyen d’exprimer leur colère contre le choix du chef de l’Etat.

Momar Diongue : « Le Président ne se fait pas trop d’illusions»

Il me semble qu’Abdoulaye Daouda Diallo et Abdoulaye Diouf Sarr se sont plutôt livrés à une séance de rattrapage sous l’égide du Président Macky Sall. Parce qu’il y a eu récemment beaucoup de problèmes entre Abdoulaye Daouda Diallo et Amadou Bâ, des appréhensions et une certaine méfiance. Et ils ont entrepris de colmater les brèches et de recoller les morceaux. Cela aurait été une entente sincère si vraiment c’était à l’initiative des acteurs.

Or, il me semble que c’est le Président Macky Sall qui est derrière tout ça. La preuve la plus éloquente, est la sortie récente d’Abdoulaye Daouda Diallo quand il a déclaré qu’il se rangeait derrière le candidat choisi par le Président de la république, en l’occurrence Amadou Bâ et qu’il le soutiendrait. Mais sans une seule fois citer le nom d’Amadou Bâ. Là, il parlait avec cœur. Là, avouerait-il quelque part que c’est à son corps défendant qu’il s’était plié tout simplement aux demandes incessantes, sans doute, du président de la République et de certains guides religieux, comme on l’a dit dans la presse.

Lesquels guides religieux ont dû faire une pression sur lui pour l’amener à revoir sa position, à se ranger derrière le candidat du Président. Il me semble quand même assez difficile de comprendre que le même Abdoulaye Daouda Diallo, moins d’un mois après, puisse ravaler toute sa déception et se ranger derrière Amadou Bâ, de façon sincère, je ne crois pas que cela soit aussi sincère que cela.

Pour ce qui est de Abdoulaye Diouf Sarr, je crois que les ressentiments de la défaite lors des Locales de janvier 2022 sont encore trop forts pour qu’il fasse table rase de tout cela. Abdoulaye Diouf Sarr et ses partisans ont eu à reprocher à Amadou Bâ, d’avoir été un de ceux qui ont contribué à leur défaite très humiliante à Dakar, lors des Locales. Je ne crois pas que ces ressentiments soient totalement dissipés et que le soutien d’Abdoulaye Diouf Sarr soit aussi sincère. Il ne faut pas se fier seulement aux apparences en politique.

Parfois, ceux qui sont les mieux habilités à vous faire un coup bas, sont ceux qui, en façade, vous montrent qu’ils sont en alliance avec vous. Mais, ils sont capables de vous faire les coups les plus tordus. Je ne crois pas que cet accord soit sincère. Ce n’est pas de gaieté de cœur qu’ils ont eu à le faire, ils l’ont fait sous l’instigation du président de la République. Et il n’y a pas trop longtemps, il y a eu des évènements dont les ressentiments sont encore assez forts chez les uns et les autres. La dernière sortie d’Abdoulaye Daouda Diallo, où il n’a pas cité une seule fois le nom d’Amadou Bâ, alors qu’il devait le soutenir. Pour Diouf Sarr, le souvenir de la défaite très humiliante des Locales, ne s’est pas dissipé. Une défaite attribuée à une entreprise de sabotage orchestrée en grande partie à Amadou Bâ et à quelques-uns des responsables de l’APR, qui n’avaient pas été favorables à sa candidature à la mairie de Dakar.

Pour ce qui est de la deuxième question, le Président Sall ne se fait pas trop d’illusions. Il sait, sans doute, que cette élection ne se gagnera pas au premier tour. Il en est très conscient, il veut simplement limiter les dégâts et faire en sorte que le candidat officiel du parti ait la chance au moins de sortir premier au premier tour. Pour cela, devant les candidatures de Boun Dionne, Aly Ngouille Ndiaye, Mame Boye Diao, il fallait quand même fédérer un certain nombre de responsables qui avaient fait acte de candidature à la candidature comme Diouf Sarr, Abdoulaye Daouda Diallo, pour essayer de renforcer un peu le camp d’Amadou Bâ et de lui permettre d’avoir des chances de sortir premier au premier tour.

Le Président Sall ne se fait pas trop d’illusions, c’’est pour cette raison que je pense que le Président est dans une perspective de retrouvailles des candidats de Benno en cas de second tour. C’est pour cette raison qu’on ne l’a pas trouvé très ferme par rapport à la candidature de Mame Boye Diao et de Boun Dionne. Ces candidatures, même si elles ne vont pas dans le sens du choix opéré par le président de la République, elles peuvent constituer quand même des moyens pour, en cas de second tour, faire en sorte que la famille Benno se retrouve derrière le candidat Amadou Bâ, qui sortirait premier au premier tour. Le Président veut se donner toutes les garanties pour cela.

Maintenant, est-ce que les militants vont suivre ? C’est une autre paire de manche. Au-delà des militants de l’APR, il faudra se poser la question : est-ce que Benno dans son ensemble va suivre ? Il y a récemment deux évènements qui tendent à faire croire que, quelque part, il y a des états d’âmes au niveau de Benno, qui ne militent pas en faveur du ralliement de tout le vote de Benno en faveur du candidat du président de la République. Récemment, on a entendu les difficultés qu’il y a au niveau des délégués au parrainage, à la coordination des parrainages. Les alliés se sentent un peu marginalisés.

Auparavant, on a vu que lors de la désignation du candidat de Benno, il n’y a eu aucun allié, ne serait-ce que pour la forme, aucun n’a eu à faire acte de candidature, alors qu’ils auraient pu le faire. D’autant qu’au dernier moment, il reviendrait au président de la République de choisir. Cela aurait permis de sauver les formes, de mettre les apparences, d’associer de façon plus étroite et concrète, les alliés au candidat choisi par le président de la République. Cela n’a pas été le cas. Au-delà même des militants de l’APR, il faudrait se demander si tous les militants de Benno vont aller dans le sens souhaité par le président de la République. Rien n’est moins sûr !

Maintenant, est-ce que c’est un moyen de pression de la part du Président de ramener Abdoulaye Daouda Dillo et Abdoulaye Diouf Sarr aux côtés d’Amadou Bâ ? Je crois que le Président dispose déjà d’un moyen de pression : d’abord le choix qu’il a eu à opérer sur Amadou Bâ, qui en lui-même est une forme de pression. D’ailleurs, c’est sans surprise qu’Amadou Bâ a dit qu’il ferait tout son possible pour mériter sa confiance. Ensuite, il l’a maintenu jusqu’à présent à la tête du gouvernement, parce qu’il veut lui permettre d’avoir l’exposition, cet avantage sur les autres candidats.

Car, s’il va quelque part pour inaugurer quelque chose, on ne sait si c’est le candidat Amadou Bâ ou le PM qui vient. De toute façon, sa position de Premier ministre lui donne une longueur d’avance sur les autres candidats qui n’occupent pas cette position. Ça aussi, est un autre moyen de pression. Mais, je ne crois pas que le fait de lui adjoindre Abdoulaye Daouda Diallo et Abdoulaye Diouf Sarr, soit un moyen de pression. Le Président cherche à limiter les dégâts, pour qu’il n’y ait pas assez d’éclatement du vote de Benno qui ne permettrait pas à Amadou Bâ de ne pas arriver premier au premier tour. Il est aussi en train de recoller les morceaux.

BACARY DOMINGO MANÉ, JOURNALISTEANALYSTE POLITIQUE : « LE CAMP DU POUVOIR NE PART PAS FAVORI »

C’est un secret de polichinelle qu’entre ADD et Amadou Bâ, le courant ne passait pas. C’est aussi la même chose avec Abdoulaye Diouf Sarr, qui avait des problèmes avec Amadou Bâ. On les voit maintenant s’afficher ensemble, pour les besoins de la présidentielle, dès l’instant que le Président a choisi un candidat. ADD et ADS ont décidé de s’aligner, alors qu’au départ, chacun avait des velléités de briguer le suffrage des Sénégalais. Aujourd’hui, évidemment, il faut renvoyer l’image d’une entente entre ces différentes personnalités, autour du candidat Amadou Bâ.

Bien sûr, ils ne vont pas extérioriser leur mal, leurs différences, tout le monde le sait. Ils vont afficher une entente pour faire croire que la mayonnaise a bien pris. Dans tous les cas, ils ont besoin de montrer des gages d’une bonne unité, parce qu’en face, il y a des velléités de dissidence. Je fais allusion à Boun Abdallah Dionne, Aly Ngouille Ndiaye et Mame Boye Diao. Il fallait donc montrer pour la photo qu’ils sont tous unis derrière Amadou Bâ. Ce dernier qui avait des problèmes avec les deux autres, fait comme s’il n’y avait absolument rien du tout entre eux.

On prépare la Présidentielle, il faut renvoyer une image d’unité. Maintenant, on ne va pas afficher les problèmes partout, surtout qu’on va vers une élection présidentielle, alors que le camp du pouvoir ne part pas du tout favori. Alors, loin de là. Ils ont besoin d’un minimum qui est pour moi, que ces trois personnalités s’affichent pour la photo d’abord. C’est du marketing politique, pour montrer que la famille est soudée, qu’ils sont prêts à se battre ensemble pour faire gagner Amadou Bâ. Ce dernier va aussi taire tous les problèmes, il s’emploiera à être le candidat du rassemblement, même s’il y a des problèmes antérieurs. Mais, il faut les taire, parce que ce n’est pas le moment. Cela peut revenir à la surface, mais peut-être après les électionsn quand Amadou Bâ va gagner la Présidentielle. On ne sait jamais. Il faut simplement dire que c’est pour la cosmétique, c’est une unité de façade.

On a besoin d’afficher une image qui donne l’impression que les trois frères se sont retrouvés, se sont parlés et se sont compris, parce qu’il y a un enjeu qui reste la Présidentielle de 2024. Et le camp du pouvoir ne part pas favori. Il ne fallait pas y rajouter ; il fallait montrer un camp soudé mais en lame de fond, tel n’est pas le cas. A la surface, il faut faire croire le contraire, car les problèmes sont mis entre parenthèses. Il ne faut pas croire que les problèmes que les uns et les autres avaient, se sont dissipés. Ils sont mis entre parenthèse, le temps d’une campagne électorale, d’une élection, qui risque d’être difficile pour le pouvoir.

Avec les dissidents de l’APR, il faut montrer qu’eux forment une famille unie. Par rapport à l’opposition, il ne faut pas montrer qu’on est désuni, d’où la photo de famille. Cela règle une chose en surface, parce qu’on a une famille unie, prête à aller en guerre ensemble, à la pêche des voix. En aucun cas, cela ne veut dire que les problèmes sont réglés. Loin de là. Les militants d’Abdoulaye Daouda Diallo et d’Abdoulaye Diouf Sarr vont-ils respecter les consignes de vote ? Je ne suis pas certain, parce que le choix d’Amadou Bâ ne fait pas l’unanimité. Dans ce milieu, les choses qui se disent dans les coulisses et celles qui transparaissent, ne sont pas pareilles.

La grande inconnue, reste le vote des militants. Vont-ils voter pour Amadou Bâ ? Ce n’est pas évident du tout. L’unité de façade va sauver les meubles pour le moment, en apparence. Quand le moment viendra de choisir qui va présider aux destinées du Sénégal, les gens vont décider et la décision sera individuelle. ADS ne dira pas à ses militants à haute voix, ne votez pas pour Amadou Bâ. Il leur dira de resserrer les rangs pour la victoire d’Amadou Bâ. Ce discours sera entendu par certains et non par d’autres, parce qu’il y a des personnes dans son camp qui auront décidé de ne pas voter pour Amadou Bâ, pour X raisons. Il ne faut pas croire que la campagne électorale sera le moment rêvé pour solder les comptes avec celui qui est considéré comme le bourreau de leur leader.

Ce sont des interrogations. Idem pour Abdoulaye Daouda Diallo. Ses militants vont-ils respecter les consignes de vote ? Ce n’est pas évident du tout. Puisqu’ADD n’a pas été désigné par le chef de l’Etat, alors que son nom avait été avancé, ses militants ne seraient-ils pas dans une logique de rébellion et atteindraient le jour du scrutin pour montrer qu’ils ne sont pas d’accord avec le choix du Président. La grande inconnue pour l’APR et Benno, reste les militants qui sont derrière ces leaders qui avaient la prétention de se présenter à la présidentielle et qui n’ont pas été choisis. On ne peut présager de leurs comportements, mais c’est là où le travail doit se faire. Certains vont faire un vote-sanction, c’est évidemment parce qu’ils voudraient montrer qu’ils ne sont pas d’accord avec le choix d’Amadou Bâ. Pour moi, c’est cela l’enjeu de la Présidentielle de 2024, notamment pour le pouvoir.

La présence d’ADD et d’ADS comme moyen de pression sur Amadou Bâ ? De prime abord, il les a choisis pour renforcer son candidat. Il fallait renforcer Amadou Bâ, parce que d’autres ont préféré quitter la barque. Le Président voudra compter sur Diouf et ADD de l’APR et de Benno, pour que le candidat qu’il a choisi, gagne. La politique a ceci de particulier : ce qui se joue dans les coulisses, n’a rien à avoir avec ce qui se passe sur la scène. Ce qui se passe sur la scène, tout le monde le voit, alors que ce qui se trame dans les coulisses, relève d’une autre dynamique. C’est une hypothèse… Peut-être pour limiter son champ d’action, ses prérogatives, ses pouvoirs pour l’amener à douter et à être beaucoup plus inclusif dans ses décisions.

Cette pression va amener Amadou Bâ à être beaucoup plus regardant par rapport aux consignes que le président de la République qui l’a choisi, l’invite à respecter. Sinon ce qui risque de se passer, c’est qu’il vienne avec ses hommes de confiance et éloigne de son champ de décision, les autres. On peut bel et bien envisager que la présence de Abdoulaye Daouda Diallo et Diouf Sarr, peut fonctionner comme une pression exercée sur Amadou Bâ, pour l’amener à être plus inclusif, pour qu’il ne fasse pas cavalier seul avec ses amis et ses proches. C’est une manière de le serrer, de le ferrer, pour créer les conditions d’ancrage dans l’APR et de Benno. Sinon, il peut privilégier ses amis, ce qui peut amener des frustrations au sein de Benno.

La meilleure façon de le neutraliser, c’est de lui coller des personnalités comme ADD, qui est président d’une institution et Diouf Sarr. Les deux perspectives peuvent être valables : il a fait appel à ces personnalités pour renforcer le candidat Amadou Bâ et aussi, exercer une forme de pression pour circonscrire son champ de décision et avoir la mainmise sur lui, le compresser pour qu’il soit un candidat inclusif, qu’il ne soit pas à la botte de ses amis, qui ne sont pas forcément de l’APR, de Benno. Cela permet aussi, de conserver la dynamique de groupe et d’éviter la frustration.

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