Chantre de la chloroquine face au Covid-19, mais qui est Didier Raoult?

Il est atypique… et provocateur. Et si son traitement contre le Covid-19, que le gouvernement a décidé de tester, se révèle efficace, ce grand spécialiste marseillais des virus marquerait l’histoire de la médecine de masse. Au grand dam de ses nombreux détracteurs.

Il faut dire que cet inconnu du grand public il y a encore quelques semaines est aujourd’hui au cœur la crise du coronavirus. Le professeur marseillais Didier Raoult affirme avoir trouvé un traitement peu cher pour soigner les malades, l’hydroxychloroquine , qu’il administre désormais à ses patients volontaires. Portrait d’un médecin pas comme les autres, qui suscite autant l’admiration et l’espoir que la crainte et l’exaspération…

Un homme « brillantissime »

Didier Raoult, c’est d’abord un CV long comme le bras. Le scientifique marseillais est considéré comme l’une des références mondiales dans la recherche en maladies infectieuses. Spécialiste mondial des Rickettsies, ces bactéries intracellulaires à l’origine notamment du typhus, Didier Raoult a aussi décrypté le génome de la bactérie à l’origine de la maladie de Whipple, près d’un siècle après l’apparition de cette pathologie. Le professeur marseillais a même donné son nom à deux nouvelles bactéries pathogènes qu’il a découvertes, Raoultella planticola et Rickettsia raoultii.

Le professeur Didier Raoult a également été couronné en 2010 d’un grand prix de l’Inserm, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale. « C’est un garçon qui peut avoir le prix Nobel, lance même son ami médecin de longue date, le président LR de la région Paca Renaud Muselier. Il est brillantissime. » Une qualification reconnue jusqu’au plus haut sommet de l’Etat, puisque le professeur Didier Raoult fait partie du conseil scientifique sur le coronavirus, collège d’experts sur lequel le gouvernement affirme s’appuyer pour prendre des décisions.

Didier Raoult est aujourd’hui le directeur d’une structure décrite comme unique en France, née de sa propre volonté : l’IHU Méditerranée Infection. Ce pôle d’expertise marseillais sur les maladies infectieuses a la particularité de concentrer à la fois des chercheurs et des soignants autour de ces questions. Dans un rapport rendu en 2003 au ministre de la Santé de l’époque, son confrère marseillais Jean-François Mattei, Didier Raoult prônait la mise sur pied dans toute la France de sept « forteresses Vauban » comme le rappelle un proche collaborateur.

Il faudra toutefois attendre la fin d’année 2016, soit une quinzaine d’années plus tard, pour que Didier Raoult inaugure son « bébé », l’IHU Méditerranée Infection, dans un bâtiment de 24.000 m2 tout près de la Timone.

Un franc-tireur

Ces dernières semaines, dans la gestion de la crise sanitaire du coronavirus, le professeur marseillais Didier Raoult a décidé d’adopter sa propre stratégie, faisant parfois fi des recommandations gouvernementales. Le scientifique s’est d’abord démarqué en prônant les bienfaits de la chloroquine, un antipaludéen, pour soigner le coronavirus, en s’appuyant sur les résultats d’une étude chinoise contestée avant de lancer son propre processus.

Ce dimanche, dans un communiqué de presse, l’IHU a pourtant annoncé avoir décidé, sur l’impulsion de Didier Raoult, de pratiquer des tests de dépistage à quiconque présentant un état « fébrile » le souhaiterait. Autrement dit, un énorme coup de pied dans la fourmilière scientifique et gouvernementale qui pour le moment n’organise aucun dépistage massif de la population. Les mêmes malades au sein du service de Didier Raoult se verront également administrer un traitement à base d’hydroxychloroquine et d’azithromycine, un antibiotique. « Conformément au serment d’Hippocrate que nous avons prêté, nous obéissons à notre devoir de médecin », se justifient Didier Raoult et ses équipes dans ce communiqué.

Des prises de position qui agacent certains. « Etre un professeur de microbiologie prétentieux et imbu de votre personne n’est pas un crime, lance ainsi le docteur Baptiste Beaulieu sur les réseaux sociaux. Mais quand ce caractère nuit à la crédibilité de votre propos et discrédite un traitement potentiellement efficace contre un virus mortel, ça le devient. La personnalité de Didier Raoult est aussi responsable de cet imbroglio autour de la chloroquine. Et compte tenu du contexte, il serait bon que le Mickaël Vendetta de l’infectiologie se domine un peu. »

Ses contradicteurs ont le don d’exaspérer Didier Raoult, comme il l’avait affirmé auprès de 20 Minutes il y a quelques mois, non sans une certaine hargne. « Les ragots des uns et des autres, je m’en fous, disait-il. Ça ne m’intéresse pas. Mon métier, c’est les maladies infectieuses, et ce depuis quarante ans. Je me sens obligé, car je crois que c’est maintenant nécessaire, de communiquer ce que je sais, et non pas des opinions, sur la recherche en maladies infectieuses. Après, ce que vous en faites, je ne suis pas prophète. Je m’en fous. J’essaie d’être le plus clair possible. »

« Didier Raoult est une figure iconoclaste, résume Laurent Saccomano, président de l’union régionale des professionnels de santé des médecins libéraux de la région Paca. Il est connu pour ne pas s’empêcher de communiquer et d’exprimer très haut ce qu’il pense très bas, même si c’est ce n’est pas en accord avec la doctrine nationale. » Et d’ajouter : « On dira que c’est un héros si on montre dans quinze jours que ce qu’il affirme est valide. On dira qu’il est coupable si le résultat de cette étude est négatif. »

Une personnalité clivante

Cette polémique qui secoue le médecin marseillais n’est pas la première qu’il traverse. Didier Raoult a en effet déjà fait parler de lui dans le passé pour d’autres coups d’éclats, comme lorsqu’il a dénoncé l’interdiction du voile à l’université en 2016 ou qu’il a exprimé ses doutes face au réchauffement climatique et à ces modèles mathématiques catastrophistes qui ne seraient qu’une forme moderne de « divination » selon ces termes.

« C’est une personnalité très atypique, reconnaît lui-même Renaud Muselier. Il est très particulier. Mais il est toujours libre dans sa tête, sans aucune pression extérieure. C’est un pur scientifique. »

Plus récemment, à quelques mois de l’inauguration de l’IHU, des employés de cette structure ont accusé des chercheurs de l’équipe de Didier Raoult d’agressions sexuelles, comme le révélait à l’époque Marsactu. Interrogé sur ces faits par nos confrères au moment de l’inauguration de l’IHU, Didier Raoult répliquait alors : « Je vous remercie d’avoir décrit ce lieu comme un lupanar. J’ai fait installer un distributeur de préservatifs. »

Cette inauguration s’est faite sans aucun ministre de la Santé, ni secrétaire d’Etat, ce que Didier Raoult déplorera haut et fort lors du dévoilement de la plaque. « Tout est très compliqué, soupire son ami Renaud Muselier, tout en rappelant que la région a fortement financé le projet. Comment un truc aussi puissant, grand, aussi bien placé peut-il se monter en étant loin des sphères centrales parisiennes. Mais avec une telle structure, Didier Raoult a montré qu’il était visionnaire » Surtout, Didier Raoult était en conflit avec le mari de l’époque de la ministre de la santé Agnès Buzyn, Yves Lévy, le tout sur fond d’accusation de conflits d’intérêts visant le directeur de l’Inserm. De son côté, l’Inserm, ainsi que le CNRS, ont retiré en janvier 2018 leurs labels aux deux nouvelles unités de l’IHU.

Interrogés par 20 Minutes, plusieurs scientifiques marseillais s’exaspèrent, sous couvert d’anonymat, d’une certaine mégalomanie, notamment après sa dernière interview dans La Provence, dans laquelle il déclare : « Dans mon monde, je suis une star mondiale. » Face à ces critiques, Renaud Muselier se fait son meilleur avocat : « Quand on est classé numéro 1, dire qu’on est le meilleur, est-ce de la mégalomanie ou simplement faire un constat ? »

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici