Ce que la BBC nous apprend de l’état de la Presse sénégalaise…

J’ai lu ici et là que la presse sénégalaise est paresseuse, que l’investigation est (presqu’)inexistante et cetera
Nous avons des carences, on traîne énormément de lacunes et la conférence de presse de tout à l’heure en est illustrative.

Mais parler de nullité de la presse est à mon avis un jugement hâtif et généralisateur à tort.

Beaucoup de journalistes cèdent à la facilité, ne veulent ou ne savent tout simplement pas comment s’y prendre mais beaucoup aussi en ont les capacités, veulent mais ne peuvent pas se mettre au niveau de Mayeni Jones.
Où existe-t-il dans un grand média une cellule « Enquêtes » ou des journalistes dédiés auxquels on concède temps et moyens afin de raconter les affaires sérieuses du Sénégal dans une perspective plus approfondie ?

Imaginez une journée de reporter classique, dans une rédaction où règne le crédo de l’hyper-productivité à moindre coût, où la qualité se juge au nombre de reportages superficiels, quand sera-t-il possible pour un journaliste exerçant dans ces conditions, bataillant même pour qu’un véhicule soit mis à sa disposition, de quitter cette bulle pour s’élever au-dessus des évidences ?

Sans compter une formation absente soit à l’école ou à l’intérieur des rédactions désertées ou peuplées par des expérimentés qui ont perdu toute passion, on enchaîne les éditions où plus aucun reportage ne parvient à être construit convenablement pour prétendre être au niveau d’un 20h d’une chaîne étrangère qu’on nous présenterait comme référence.

L’information est en elle-même le parent pauvre des médias. Les éditions d’information sont présentes, omniprésentes dans notre quotidien certes mais de quoi s’agit-il ?
2 ou 3 conférences de presse, un séminaire, un autre atelier gouvernemental, une polémique stérile entre 2 hommes politiques aux idées insignifiantes, un agrément sportif qui ambiancent un salon où la Télé sert en ces moments de meuble entre 2 séries télévisées avec un journal « rempli » avec ses 30 minutes insipides.

A vrai dire, nous sommes à la merci des agendas communicationnels des politiques, ONG et autres personnalités publiques. On n’impose pas l’actualité, on nous la fait rapporter et lorsqu’il nous appartient de demander des comptes soit autre chose que poser des questions type « quel est objet de la rencontre ? que pensez-vous de … ? » on faillit inéluctablement car courant tendre le micro à 1000 et 1 experts pour des « extraits » mais insuffisamment imprégnés des sujets que nous abordons, comme aujourd’hui.

Au final on effleure les sujets, on rapporte tout brut des éléments de compréhension qui mis ensemble auraient permis de mettre en forme tout un puzzle par un simple effort supplémentaire d’inquisition.

Ce qu’a fait la journaliste nigériane, ce n’est rien d’autre qu’une enquête comme en sont capables bien des confrères que j’ai en tête, aidée par une source bien au fait de la question et détentrice d’éléments fondamentaux que sont les papiers et mails précisant les opérations et montants mais surtout des moyens à la hauteur de l’impact qu’aura et a eu dans une société démocratique une telle investigation. C’est sous ce rapport moins lucratif qu’idéologique qu’il convient de voir l’information. C’est très loin de la vue que la plupart des leaders de médias ont chez nous, un programme tant qu’il ne rapporte pas de publicités supérieures au temps de diffusion ne mérite pas sa place dans la grille encore moins un investissement conséquent.

Les Talk-shows où se succèdent les scandales en direct et les bêtises bénéficient de plus que la plage horaire qu’il leur faut mais quelle chaîne réserverait au Sénégal les 2h de temps de « Cash Investigation » à une heure de grande écoute ?

D’autres facteurs vont encore intervenir dont 2 particulièrement:
– L’absence (volontaire ?) jusqu’à présent de règlementation sur l’accès à l’information d’intérêt public qui fait que même le document le plus basique est aussi difficile d’accès qu’un dossier top secret
– L’absence de culture de lanceurs d’alerte car comme je me plaisais à entendre Elise Lucet dire tout à l’heure, pour des révélations d’envergure il faut souvent être mis sur une piste et avoir les coudées franches pour ne pas avoir à être censuré encore moins devoir le faire soi-même
De ce que j’en sais, pas tous mais beaucoup de journalistes en ont (eu) des idées d’enquête dans la tête mais les ont refoulées depuis fort longtemps.

Et pourtant un médium comme la télévision que je connais le plus serait extrêmement utile dans l’éveil d’une conscience critique.
Aujourd’hui, ç’aurait été uniquement le contenu des écrits de 2016 sur le gaz et le pétrole qui était retranscrit de manière médiatiquement convenable et fouillée en vidéo il n’y aurait pas le même impact auprès de l’opinion notamment illettrée et ça me permet d’en venir à l’orientation de nos chaînes nationales.
Est-ce que les diffuseurs en valent eux-mêmes la peine ?
Autant ils sont parvenus à supplanter les Telenovelas par une profusion de mini-séries autant elles ne consentent pas le strict minimum à leurs travailleurs pour que d’autres médias n’aient pas à nous révéler des choses sur la marche de notre société.

Tu te tues à la tâche, viens armé de passion, finis précarisé, payé 50.000FCFA ou rien avec un statut de stagiaire ou sans-papier qui se tape tout le boulot d’un grand reporter, aveuglé par la pseudo-notoriété et le « plaisir » d’entendre sa voix à a radio/télé, tourmenté pourtant par la manière d’assurer ton transport et la subsistance du lendemain et pris dans une routine qui t’abrutit car n’ayant même plus le temps de prendre son temps pour se documenter et s’enrichir dans un secteur où les connaissances sont extrêmement pointures de jour en jour pour au final que des vedettes du spectacle douées pour débiter des énormités soient grassement payées et courtisées par tous les patrons de presse peu importe leur niveau d’inculture.

Il n’est pas question de jalousie, loin de moi l’idée, mais de rétribution et d’équilibre ou plutôt de proportionnalité dans le traitement de l’effort intellectuel et physique des uns et des autres.
De la presse sénégalaise en tant que telle le plus grand salaire d‘un reporter lambda que je connaisse était aux environs de 260.000 FCFA pour des personnes qui produisent 98% de la matière sur laquelle surfent les éditorialistes et chroniqueurs considérés par l’opinion comme les seuls et véritables journalistes.

Je ne parle même pas des correspondants régionaux, payés pour quelques maigres 2.000 ou 2.500 FCFA par reportage ou tout simplement bénévoles d’ailleurs comptant sur des perdiems pour colmater des fins de mois. Il y a énormément à découvrir dans leurs localités, ils sont assis sur d’énormes mines d’informations mais jamais vous ne verrez leurs grands formats passer dans les écrans.

Je passe aussi sur la Télévision publique, RTS, aux journalistes enchaînés à leurs privilèges et dont j’ai assez parlé (https://bit.ly/2wzuGPl), mais je m’inquiète pour l’alternative Privée plus que préoccupée mais obsédée par le divertissement.

Puis, pour finir, il nous faut à nous de la Presse une introspection continue, au Public aussi de faire la sienne.
La presse en ligne aussi décriée qu’elle soit, cruciale dans le marché de l’information à l’heure qu’il est, n’est et ne sera que ce que nous en ferons (et j’en profite pour vous demander de vous désabonner des sites que vous insultez tous les jours).

Le modèle économique fondé uniquement sur la publicité ne peut profiter à aucun projet d’information sérieuse et viable (https://bit.ly/2wz8x3B).
Soit on adopte une formule participative, payante ou semi-payante telle que comprise ailleurs ou bien on sombre dans la course au clic, à l’instantanéité douteuse et au sensationnel sans intérêt pour espérer grappiller quelques sous de la publicité (en ligne).

Le citoyen doit prendre la pleine mesure de la valeur de l’information.
Tout ira pour le mieux si chaque lecteur prompt à décrier la presse, verra un moyen de soutenir un journalisme de qualité en ses 100 FCFA lui servant à acheter et non emprunter le journal qu’il trouve crédible et d’ailleurs, il y a énormément de scandales qui sont révélés par la presse papier ces dernières semaines. Je pense à Enquête, Quotidien, Le Témoin ou encore Libération dans une certaine mesure mais sans écho véritable au final.

Une presse libre et d’investigation ne peut s’épanouir qu’épaulée par une opinion publique réactive et concernée pas celle qui se rue vers les faits divers et là je n’indexerai personne pour éviter moi-même de généraliser mais j’inviterai chacun à se demander à quel type d’actualité il réagit le plus, lui et son entourage, et quel programme d’information sérieux lui vaut de dépenser son temps, argent n’en parlons même pas.

D’ailleurs je ne défends aucun journaliste, je n’ai jamais pu cerner la « solidarité entre confrères » parfois teintée d’hypocrisie dont j’entends parler souvent depuis que je fréquente le journalisme au CESTI, je suis plutôt adepte d’une solution toute simple mais visiblement radicale pour certains : que tout reporter qui se sait dans un cadre matériel et/ou moral insuffisant pour exercer le métier (pour lequel il se doit d’être passionné) se batte dans son organe pour faire changer sa situation, tente une autre expérience ou simplement endure sa condition crasseuse et son image dégradée auprès du public.

Moussa Ngom
Journaliste indépendant

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