Pour les avocats sénégalais de Bibo Bourgi, Antoine Félix Diome se serait fourvoyé dans la confiscation des biens de leur client pour au moins trois raisons
La réponse du berger à la bergère est intervenue jeudi matin, toujours dans les colonnes du journal de Madiambal Diagne. Pour les avocats sénégalais de Bibo Bourgi, Antoine Félix Diome se serait fourvoyé pour au moins trois raisons. D’abord, parce qu’il n’a pas tenu compte de la saisine de la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) d’Abidjan, qui fait office de cour de cassation en matière de droit Ohada. Intervenue début août, cette saisine aurait dû, à elle seule, suspendre l’exécution du jugement de la CREI. Même constat pour le « rabat » visant l’arrêt de la cour suprême sénégalaise, lui aussi théoriquement suspensif en matière de confiscation. Quant à l’argument invoqué par Antoine Félix Diome, selon lequel il n’aurait pas été informé à temps du rabat d’arrêt, le camp Bourgi rappelle que la loi lui donnait deux mois pour lui signifier cette démarche, délai qui a été respecté.
Enfin et surtout, selon les avocats, Antoine Félix Diome a confondu son ancienne casquette de procureur spécial – « à qui incombe l’exécution des sanctions pénales » – avec celle, plus récente, d’agent judiciaire de l’État – « qui n’est que partie civile ». Or le procureur de la CREI a, quant à lui, reçu la signification du rabat d’arrêt dès le 25 août – comme le montre un acte d’huissier que JA a pu consulter. L’agent judiciaire de l’État se serait donc substitué indûment – et précipitamment –au Parquet spécial de la CREI. « Ils sont en train de dépouiller mon client frauduleusement, en violation de leurs propres textes », tonne Me Dreyfus-Schmidt.
Enjeu politique
Derrière ce débat d’initiés qui peut sembler exclusivement juridique, l’enjeu est bel et bien politique. Depuis le début de la procédure intentée contre Karim Wade et ses co-accusés, les libertés prises par l’appareil judiciaire sénégalais envers les droits de la défense ont en effet été régulièrement épinglées par différentes instances, de la Cour de justice de la Cedeao au groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire, en passant par les principales ONG sénégalaises de défense des droits de l’homme. « L’État du Sénégal viole ses lois en décidant déjà de la confiscation du patrimoine des personnes condamnées par la CREI », estime ce vendredi Le Quotidien. Dimanche 25 octobre, interviewé sur i-Télé, Macky Sall avait d’ailleurs dû s’expliquer longuement devant Audrey Pulvar sur les divers manquements reprochés à la CREI.
Alors qu’une première audience devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi), l’instance arbitrale de la Banque mondiale, s’est tenue à Paris le 19 octobre entre les avocats de Bibo Bourgi et ceux du Sénégal et que la procédure devant la CCJA est toujours au stade de la mise en état, la précipitation de l’agent judiciaire de l’État à faire main basse sur le pactole de l’homme d’affaires franco-sénégalais pourrait donc bien se retourner, demain, contre son promoteur.