Je dois dire qu’avant d’écrire ces lignes, j’ai cherché à vérifier si le Pr Amsatou Sow Sidibé n’avait pas déjà déposé une lettre de démission de ses fonctions de ministre Conseiller à la présidence de la République. Elle a déclaré dans différents médias que si les incidents de la lapidation du cortège du Président Macky Sall à l’Université de Dakar avaient pu se produire, c’est que le président de la République ne l’a pas consultée. Plus précise, Madame le ministre Conseiller indique que «Macky Sall n’écoute pas ses conseillers».
Alors, se demande-t-on, qu’est-ce que Mme Amsatou Sow Sidibé continue de faire à son poste si tant est qu’elle avoue elle-même et publiquement qu’elle ne sert à rien aux fonctions dont elle est investie et que le chef de l’Etat ne l’écoute point ? En continuant d‘émarger à la présidence de la République, Amsatou Sow Sidibé laisse le sentiment qu’elle profite d’une situation de sinécure et d’avantages injustifiés.
Elle devrait tirer la conséquence de son constat pour retourner à ses enseignements à l’Université ou à d’autres vacations. Une telle attitude la grandirait hautement. Quand il avait le sentiment de ne pas servir à grand-chose aux fonctions de ministre Conseiller à la présidence de la République, Jacques Diouf, ancien directeur général de la Fao, avait préféré se dégager du Palais présidentiel. Ils sont certainement nombreux les conseillers, les chargés de mission ou les ministres Conseillers comme Amsatou Sow Sidibé.
Il arrive d’entendre des récriminations du genre, mais elles se limitent encore à une certaine intimité privée. Ces collaborateurs du Président Macky Sall, frustrés de ne pas pouvoir accéder au «patron» comme ils l’auraient souhaité, se sont gardés d’étaler leurs états d’âme dans les médias.
Il convient de se demander le profilage des conseillers du chef de l’Etat. Les nominations à cette fonction obéissent-elles à un profilage pertinent en fonction de la qualité de l’expertise attendue par le chef de l’Etat pour éclairer ses décisions ? Force est de dire qu’on trouve du tout dans l’entourage d’un chef de l‘Etat. Qui sait ce qui peut se passer dans la tête d’un chef d’Etat ? Il est le seul à pouvoir dire ses motivations profondes pour décider de telle ou telle nomination, surtout en fonction de paramètres qu’il est toujours le seul à posséder. Il s’y ajoute qu’un chef a souvent besoin de canaux divers pour se faire une opinion sur telle ou telle question.
Un conseiller de François Hollande qui garde scrupuleusement l’anonymat confie au journal Le Figaro : «François Hollande est une éponge, il absorbe tout sans rien laisser paraître. Ce qui me frappe, c’est qu’il ne veut pas dépendre de son seul Cabinet ou d’un seul gourou, qu’il veut rester libre de ses opinions et de ses décisions. C’est pourquoi il a besoin de ses capteurs, qu’il compartimente ses contacts et qu’il demande à ses amis de continuer à le joindre directement sur son portable, sans intermédiaire.» On pourrait remplacer dans cette citation le nom François Hollande par celui de Macky Sall.
Il reste que l’utilisation de canaux officieux ou de «discrets visiteurs du soir» constitue un moyen efficace pour un chef d’Etat de recueillir des avis moins obligés, moins révérencieux ou moins complaisants que ceux de ses collaborateurs officiels. Il convient cependant que ces interlocuteurs demeurent des tombes. Il n’est pas rare de voir des personnes se targuer de faire l’opinion du chef de l’Etat ou de fanfaronner dans des salons dakarois pour faire croire qu’elles ont «l’oreille du Président», qu’elles inspirent les décisions du chef.
Des pratiques de trafic d’influence sont de coutume et de nombreux faits remontent au Palais. De plus en plus, la gouvernance publique, dans ses facettes les plus secrètes, se retrouve dans la rue depuis que des personnes dépourvues d’un vécu, d’une expérience professionnelle et d’une culture ou d’une pratique des institutions ont été placées jusqu’au cœur de l’Etat.
Ce phénomène, il faut le souligner, n’est pas l’apanage seul du Sénégal. En France, on a vu Patrick Buisson, «éminence grise» du Président Nicolas Sarkozy, pousser le bouchon de la déloyauté jusqu’à enregistrer secrètement le président de la République française. Chaque année, le Press club de France remet le Prix de l’humour politique, récompensant l’auteur de la «phrase la plus hilarante de l’année, qu’il s’agisse indistinctement d’humour volontaire ou involontaire». Ne serait-il pas une bonne idée d’instituer le «bonnet d’âne» de la plus grosse bourde politique ?
Qui connaissait les conseillers de Léopold Sédar Senghor ou d’un Abdou Diouf ? Sans doute que le boom des médias et le culte du narcissisme sont pour quelque chose à ce phénomène qui fait que les conseillers sortent de l’ombre pour s’exposer aux lumières des plateaux de télévision. Est-ce cette mouche qui a piqué le conseiller juridique, le Pr Ismaïla Madior Fall, qui était connu comme un homme discret et très humble ?
De plus en plus, le spécialiste en droit public du chef de l’Etat s’épanche dans les médias pour donner son avis que l’on devrait croire exclusivement destiné au chef de l’Etat. Ismaïla Madior Fall intervient sur de nombreux débats publics. Quand le débat se pose sur la question de la durée du mandat présidentiel, il ne réserve pas ses analyses au chef de l’Etat, mais les partage avec le grand public.
Ismaïla Madior Fall a entretenu publiquement le débat pour ne pas dire la polémique avec l’opposition durant tout le processus d’élaboration de la réforme des collectivités locales à travers ce qu’il est convenu d’appeler l’Acte 3 de la décentralisation. Aussi, quand un groupe de députés saisit le Conseil constitutionnel pour attaquer une loi réformant le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, Ismaïla Madior Fall s’immisce allégrement dans les affaires du Législatif, lui le conseiller du président de la République, pour donner un avis sur la recevabilité d’un tel recours devant le Conseil constitutionnel, au risque de se faire désavouer par le président nouvellement nommé du Conseil constitutionnel, le juge Sakho.
Si le Pr Fall était démangé par l’envie de donner son expertise sur la question, il aurait été plus judicieux qu’il le fît simplement par une note adressée à son «patron». A moins que ce soit le chef de l’Etat qui lui demande de jouer un tel rôle. Le cas échéant, il faudrait changer l’intitulé de ses fonctions pour ne pas continuer à faire désordre, car dans un Etat républicain, les titres renvoient à une posture.