« La vaste réforme ou la salade institutionnelle ? », Par Babacar Justin Ndiaye

Babacar Justin Ndiaye sur la situation au Pds : « Dès que le Roi perd le pouvoir, les courtisans d’hier, se transforment en pit-bulls, et lui mordent les mollets » Cet article est une propriété de Senego.com, pour éviter tout problème de plagiat, merci de bien vouloir citer la source : http://senego.com/2015/06/11/babacar-j-ndiaye-sur-la-situation-au-pds-des-que-le-roi-perd-le-pouvoir-les-courtisans-dhier-se-transforment-en-pit-bulls-et-lui-mordent-les-mollets_245416.html Copyright © Senego.com

Le Président de la république a prononcé, le 31 décembre, un discours long et enchevêtré (avec des thèmes passablement imbriqués) mais assez saisissable et divisible en trois volets que sont la politique intérieure, les efforts de développement et la politique étrangère. Dans les heures consécutives à l’allocution, les commentateurs issus des chapelles politiques et surgis des horizons non politiques, ont fait des discours sur le discours de Macky Sall. Inutile donc, d’ajouter un discours-fleuve à une orgie de discours ! Toutefois, il convient de fixer – ne serait-ce qu’un halo de lumière – sur le chapitre institutionnel de l’adresse présidentielle.

Certes, les Assises dites nationales ne sont pas un conclave sans consistance ; tout comme la Commission nationale de Réforme des Institutions (CNRI) ne manque pas de vues relativement lumineuses. Cependant, la trajectoire historique du Sénégal prouve éloquemment que la panacée ne découle pas et ne découlera jamais de nos institutions à l’état brut. Par voie de conséquence, les réformes institutionnelles à la pelle (annoncées, envisagées ou mises en route) ne produiront qu’une ratatouille niçoise (version institutionnelle) très peu digeste. Les faits – têtus sous tous les cieux – ont démontré amplement que les constitutions et les institutions (choses inanimées) ne valent que ce que valent les hommes et les femmes qui les animent, donc leur donnent vie. La Constitution du Sénégal est un tas de mots. Pardonnez-moi, cette définition triviale ! Mais encore, faut-il que les acteurs soient capables de se hisser à la hauteur de cette colline d’articles et d’alinéas, tous vecteurs de valeurs démocratiques et républicaines. Facile de le répéter dans un discours, difficile de le réaliser au quotidien !

Bien entendu, le souci de modernisation et de stabilisation de la Constitution – préoccupation affichée par le Président Macky Sall – est louable. La meilleure alliée du chef de l’Etat étant d’abord l’étymologie. En effet, « Constitution » dérive du latin cum (ensemble) et statuo (fixer, établir). Ce qui fait une belle jonction avec la volonté de sacralisation exprimée dans le message présidentiel de la Saint-Sylvestre. En revanche, l’ennemie numéro un de ce catéchisme politico-institutionnel est indéniablement sa propre désincarnation. La succession des évènements (trame de l’actualité) en fait foi, depuis mars 2012. La liste étant longue, on en extrait trois exemples phares.

Dans une république souveraine et vieille d’un demi-siècle de gouvernance démocratique avancée (comme le Sénégal) la séparation des pouvoirs est, à la fois, la charpente et la clé de voûte du magma d’institutions que sont les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire organiquement flanqués de leurs nombreux démembrements. N’empêche, l’Assemblée nationale – matrice des lois – a giflé la Cour suprême, au travers d’une bruyante et gênante résolution de soutien au ministre de l’Education nationale, contrarié par un arrêt évidemment suprême. Si on voulait ruiner la vitalité de l’institution judiciaire, on ne s’y prendrait pas autrement. A la lumière d’un tel comportement, que vaut un wagon de textes porteurs de réformes ? Lorsque le député élu au suffrage universel – par le même canal de légitimité que le Président de la république – est plus pro-gouvernemental que le ministre, aucune réforme magique ne lui inoculera le sérum de la séparation des pouvoirs. D’où la vanité et le surréalisme d’un paquebot plein de réformes constitutionnelles et institutionnelles.

Il va sans dire que tous les Sénégalais pétris de civisme et attentifs au devenir des générations montantes sont farouchement opposés au recrutement de tout élève-maitre incapable de conjuguer le verbe « mourir » au futur. Mais ils sont aussi fermement en désaccord avec toute attitude de rébellion (même verbale) contre une décision de justice, elle-même, extraite des entrailles des lois votées par l’Assemblée nationale. Du reste, des voies de recours et de contre-attaque sont à la portée du ministre. La tricherie dans un concours officiel et national n’est-elle pas un délit ? Tout sauf une défiance qui vexe le pouvoir judiciaire et contrecarre son indépendance. Après tout, ce n’est pas la Cour suprême qui a matériellement organisé le concours. Elle n’a rien à voir avec les ratés. Gardons-nous de hâter le déclin des lois ! Il y va de la sauvegarde du Sénégal qui est au-dessus de tous les partis.

L’autre exemple illustratif du fossé entre l’incantation et la praxis, renvoie à l’apologie de la transhumance. Djibo Leyti Ka, auteur des discours les plus véhéments et les percutants contre la transhumance, après la défaite de Wade (il voulait être le père d’une loi anti-transhumance) a franchi, aujourd’hui, le Rubicon. Preuve que Le problème n’est pas dans les textes mais dans les têtes. Autrement dit, les mœurs politiques contrebalancent les règles du jeu. Même lorsque celles-ci figurent, en bonne place, dans des Constitutions plébiscitées par voie référendaire. La modernisation, la stabilisation et la sacralisation, chères à Macky Sall, restent au stade de la poésie…constitutionnelle. Parce que tributaires des servitudes du système que sont le besoin d’un bassin électoral (sans cesse élargi et garant de victoire) et la soif inextinguible d’étrenner un second mandat. Un phénomène amplifié par la saison africaine des premiers tours gagnants (un coup, KO). Suivez mon regard qui balaye les scènes électorales en Afrique !

Le troisième exemple souligne fort bien le divorce entre le verbe et la vérité, c’est-à-dire entre le discours sur la Constitution, un soir de fin d’année, et les manœuvres politiques qui ont la peau dure. Il s’agit, ici, de l’ingéniosité de l’ingénieur Macky Sall qui a réussi le tour de force de mettre en congé voire de crucifier, en douceur, l’exercice des libertés les plus élémentaires dans une démocratie adulte. Une prouesse qui – contrairement aux apparences – n’est pas strictement policière. Le quatrième Président du Sénégal a convoqué la métaphore du puissant train, avec sa longue rame de wagons et ses machines de tête. Pour le figer et le rouiller sur place, il a démonté, acheminé et déposé les trois locomotives de l’effervescence et de la mobilisation démocratiques (la presse mordante, la société civile et l’intelligentsia dominante) au réfectoire du Palais.

Le résultat est frappant : les manifestations (y compris les plus légitimes) restent dans les limbes. Parce que non aiguillonnées et non stimulées par l’élite qui, en démocratie, est la boussole des masses. Mieux, le leader de l’APR, Macky Sall, a vassalisé les cerveaux et éteint les lumières. Les intellectuels qui furent, hier, les porte-étendards de la pensée contestataire, de la pensée protestataire, de la pensée réfractaire et de la pensée voltairienne sont, aujourd’hui, les commissaires de la Police…des idées.

A Pikine, une manifestation programmée dans les limites territoriales de la municipalité – très loin de la place de l’Indépendance – par une population grandement ulcérée par la profanation continue des tombes (un motif vraiment domestique sans rapport avec la vie chère, la pauvreté tenace ou le mandat présidentiel) a été interdite. Aucune levée de boucliers n’a été enregistrée dans les différents segments de la société sénégalaise. Question : où est l’incidence de l’Acte 3 de la Décentralisation, un Acte censé octroyer directement et entièrement des prérogatives aux populations curieusement interdites de colère ouverte ? En définitive, les faits confortent l’opinion de Stendhal : « Les discours des hommes politiques ne sont que les masques qu’ils appliquent sur leurs actions ». Celui du 31 décembre n’y échappe pas, malgré les réformes hardies qu’il fait miroiter.

Théoriquement, les réformes constitutionnelles et/ou institutionnelles sont des changements importants en vue d’une réelle amélioration. Dans la pratique, les écueils sont légion. Certains d’entre eux (les obstacles) sont consubstantiels à la politique active. Ainsi, le choc entre le catalogue des vœux et les casse-têtes du champ politique, installe souvent les leaders, dans le culte de l’efficacité au détriment de l’attachement sincère aux idéaux charriés par les grandes modifications constitutionnelles. Quand le chef de l’Etat Macky Sall parle, on écoute ses explications, mais on aimerait entendre ce qui est tu. Par exemple, ce référendum mort-né ou ressuscité-mort qui a, de plus en plus, l’air d’une voie de contournement de l’engagement pris avant le second tour de la dernière présidentielle, portant sur la réduction du mandat.

PS : Je ne commente pas le volet économique du discours présidentiel de fin d’année. Je le soumets volontiers au test infaillible du temps ou de la durée. « L’économie réelle, c’est le ventre et la poche. Tout le reste n’est que littérature économique » disait l’ex-ministre de l’Economie et des Finances du Sénégal et ancien chef du département Afrique du FMI, notre compatriote Mamoudou Touré. Dans le même ordre d’idées, Winston Churchill corsait les choses de façon, à la fois, drôle et savante : « Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées ».

Dewénati, bonne année 2016 !

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